Alimentation : définir des critères d'un "bon produit"

[THE VILLAGE] Pour les participants de l'atelier "L'agriculture autrement", le consommateur est le principal acteur de la transition vers une alimentation plus propre, saine et juste. Il doit être éduqué dès le plus jeune âge, mais aussi orienté par une identification claire des critères du mieux produire et du bien manger.
Giulietta Gamberini
Pour choisir ses aliments en fonction des saisons ou des modes de production, le rôle de l'école sera à l'avenir essentiel.
Pour choisir ses aliments en fonction des saisons ou des modes de production, le rôle de l'école sera à l'avenir essentiel. (Crédits : iStock)

Inscrite tant dans la chair des humains, qui doivent s'alimenter tous les jours, que dans la culture des peuples, qui en ont fait une marque de civilisation, la nourriture peut contribuer de manière puissante à la construction d'un futur plus durable et inclusif. Et innombrables sont déjà les initiatives, dans l'ensemble de la France, qui participent à l'essor d'une « transition alimentaire », en promouvant des pratiques agricoles plus respectueuses de la biodiversité, des modes de distribution partageant plus équitablement la valeur ajoutée avec les producteurs, une cuisine privilégiant les produits locaux et de saison afin de réduire le gaspillage...

Mais face à un modèle fondé sur l'obsession de la productivité, les prix bas et l'asservissement des campagnes par les villes, les meilleures pratiques peinent à se démocratiser et à changer d'échelle.

À Saint-Bertrand-de-Comminges, l'atelier "L'agriculture autrement : produire mieux, se nourrir autrement", accueillant sept change makers venus partager leurs visions, était justement consacré à cet enjeu, celui de la meilleure façon d'accélérer l'essor d'une agriculture et d'une alimentation différentes.

Une pléthore d'impératifs

Les débats ont permis de constater l'existence d'un accord quasi unanime sur une idée forte, qui a constitué le fil rouge des discussions : celle de l'importance d'embarquer dans le changement les consommateurs, forts de leur pouvoir d'achat et du pouvoir de faire bouger les choses par leur exemple. De plus en plus préoccupé par sa propre santé comme par celle de la planète, ce consommateur, qui se veut désormais également citoyen, est toutefois confronté à des décisions complexes à prendre. Peut-il se fier aux informations sur les produits fournies par les fabricants, dont les messages évoluent en fonction justement de cet intérêt croissant des clients pour leurs engagements de développement durable ? Et comment connaître, hiérarchiser, voire concilier, une pléthore d'impératifs : le respect de l'environnement, du bien-être animal, de la santé, du juste prix ou encore des circuits courts de production ?

Flécher les aides agricoles

L'éducation semble alors être la première des clés de voûte, ont convenu les participants à l'atelier, et ce dès le plus jeune âge, afin de permettre l'essor d'une nouvelle génération plus consciente des enjeux de ses choix alimentaires. L'école peut alors jouer un rôle fondamental, en consacrant du temps à l'apprentissage de ce qui était, hier encore, connu par tous, mais qui est aujourd'hui de plus en plus rarement appris en famille : comment choisir ses aliments en fonction des saisons, des lieux ou des modes de production, comment les cuisiner en enrichissant leur goût et en préservant leurs qualités nutritionnelles, comment associer tradition et inventivité afin d'éviter tout gaspillage...

Une autre démarche est toutefois aussi parue incontournable aux participants, afin de permettre aux consommateurs de s'orienter dans leurs choix alimentaires : s'engager dans la définition, bien que difficile et complexe, du « bon produit », préalable à l'éventuelle création de labels voire de systèmes de notation.

« Il faut sortir du seul critère du prix », a martelé le chef étoilé Thierry Marx.

Dans le même temps, Pierre Pujos, agriculteur adepte de l'agroécologie dans le Gers, soulignait la nécessité de valoriser les services écosystémiques rendus par les pratiques évitant l'utilisation de produits chimiques. Intégrant critères environnementaux, nutritionnels et sociétaux, une telle réflexion devra impérativement être menée librement par l'ensemble des acteurs des filières agricoles et agroalimentaires, en synergie avec les consommateurs, ont convenu les participants de cet atelier.

Elle gagnerait toutefois à être soutenue politiquement, sur le plan national comme au niveau de l'Union européenne, d'où une demande en ce sens vis-à-vis des pouvoirs publics. Elle pourrait ensuite constituer le cadre de référence d'une réflexion ultérieure visant à mieux flécher les aides agricoles vers les bonnes pratiques, voire à la mise en place de véritables taxes pour les moins vertueuses.

Dans le cas où les dangers de certains aliments sont avérés et aussi importants que ceux de l'alcool et du tabac, les discussions ont fait aussi émerger la nécessité de contrer dès à présent le pouvoir de désinformation des marques.

Une demande adressée au législateur s'est finalement imposée : celle d'une loi qui, à l'instar de la loi Evin, limiterait les publicités promouvant les produits à très fort indice glycémique. Même si des campagnes visant à « ringardiser » la malbouffe seraient sans doute aussi très efficaces vis-à-vis des plus jeunes, a rappelé Hélène Binet, porte-parole de La Ruche qui dit oui !, plateforme qui facilite le contact entre consommateurs et producteurs locaux.

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ENCADRÉ

Les trois propositions de l'atelier "L'agriculture autrement"

  • 1. Instaurer des cours de cuisine obligatoires, voire des stages en milieu agricole, tout au long des trois cycles scolaires, afin d'y éduquer l'ensemble des élèves aux enjeux liés à la nourriture : modes de production des aliments, saisonnalité, propriétés nutritionnelles, goût, patrimoine gastronomique, lien social...
  • 2. Soutenir politiquement une définition collective du « bon produit », autour de critères environnementaux, nutritionnels et sociétaux, afin de parvenir à la création de labels et de systèmes de notation orientant les consommateurs dans leurs choix. Cette définition collective doit être élaborée à la fois par les citoyens et l'ensemble des acteurs des filières agricoles et agroalimentaires.
  • 3. Adopter une « loi Evin du sucre », limitant fortement le droit de faire de la publicité pour les produits à haut indice glycémique.

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Les change makers qui ont contribué au workshop : Hélène Binet (La Ruche qui dit oui !), Jean-Louis Cazaubon (président de la Chambre d'agriculture des Hautes-Pyrénées), Thierry Marx (chef étoilé), Denis Méliet (fondateur du restaurant le J'Go), Pierre Pujos (agriculteur bio à Saint-Puy), Maximilien Rouer (cofondateur de Ferme France), Bruno Roussel (directeur délégué de l'Agriculture à la Région Occitanie).

Giulietta Gamberini

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