Comment Renault étudie et va fabriquer la voiture à moins de 4.500 euros

Par Alain-Gabriel Verdevoye, à Chennai (Inde)  |   |  1076  mots
Marc Nassif (au centre), PDG de Renault India jusqu'à fin janvier, reçoit une récompense pour le Duster indien.
Le centre technique Renault-Nissan près de Chennai étudie la nouvelle plate-forme pour véhicules à moins de 4.500 euros qui sortiront en 2015. Ils seront fabriqués par l'usine toute proche. Une vraie révolution.

La haute technologie au milieu de nulle part. Tout au long des 50 kilomètres de route chaotique depuis Chennai, dans un tintamarre de klaxons entre vieux bus sans fenêtres, camions antédiluviens, deux roues, piétons, tuk-tuks, vaches, inextricablement enchevêtrés, on se dit que le chauffeur s'est perdu.

Un des centres névralgiques de l'industrie automobile indienne, ici, entre champs misérables et bidonvilles ? Allons ! Et pourtant si. La zone d'activités, ilot de modernité, surgit tout à coup. Renault et Nissan, mais aussi Daimler, Hyundai, Ford, BMW, se sont installés là. Sans parler de leurs fournisseurs.

 

Préparation pour les voitures à très bas coûts

 

Quelques kilomètres séparent « RNAIPL », l'usine de l'Alliance, du « RNTBCI », le centre d'ingénierie de Renault et Nissan. Créé en 2007, ce dernier a précédé l'usine, mise en chantier l'année suivante et inaugurée en 2010.

 Le « RNTBCI » est aujourd'hui l'un des plus gros centres techniques automobiles de la région. De 1.000 personnes à ses début, ce bureau d'études en est à 4.500 aujourd'hui. Petite antenne locale du Technocentre français de Guyancourt ? Pas du tout. « C'est le centre de l'ingénierie frugale pour pays émergents », explique Karim Mikkiche, son directeur. « On étudie les véhicules pour l'Inde, l'Asie-Pacifique et faisons des expertises pour le monde entier », précise-t-il.

Le centre technique comprend même un des deux studios de design de Renault en Inde. L'autre se situe à Bombay. L'intérieur du concept de « Crossover » à très bas coûts Kwid, présenté par Renault au salon de New Delhi, la semaine dernière, a été concocté par les bureaux indiens.

« En 2014, nous passons à une nouvelle phase, celle de participer à l'élaboration du produit, de le développer entièrement. C'est le cas de la plate-forme « CMF-A » (ndlr : voitures à très bas coûts). Nous savons intervenir désormais dès les débuts d'une nouvelle voiture », souligne le dirigeant.

C'est l'an prochain que l'Alliance Renault-Nissan va mettre effectivement en production, à Chennai, les premiers véhicules à très bas prix. Au salon de New Delhi, Nissan a d'ailleurs présenté un concept, la Redi-Go, qui préfigure de près cette future voiture de 3,60 mètres de long (comme une Twingo), mais à cinq portes, qui devrait coûter moins de 4.500 euros (contre 7.700 euros pour une Dacia Logan en France). Une vraie révolution pour ce centre technique, où la moyenne d'âge est extrêmement basse (29 ans), et qui avait précédemment adapté le 4x4 Duster au marché local.

 

Une des plus grosses usines du monde

 

« RNAIPL », le site industriel, n'est pas non plus une petite usine locale. Non, c'est même l'une des plus grosses usines de l'Alliance dans le monde. Elle peut potentiellement produire 480.000 unités annuelles, ce qui est énorme, beaucoup plus que ce que fabrique annuellement chaque usine française de Renault. Ce site presse, emboutit, peint, assemble. Il produit aussi des moteurs, notamment le 1,5 diesel de Renault. Il a fabriqué 230.000 voitures l'an dernier, dont 30% pour Renault, le reste pour Nissan.

Renault y produit les Pulse et Scala, étroitement dérivées de petits véhicules Nissan, le Duster. Les berline Fluence et 4x4 Koleos sont assemblés en « CKD », c'est-à-dire à partir de pièces importées pour l'essentiel de Renault Samsung en Corée. Le Duster, en revanche, est très intégré localement. Il est produit avec plus de 60% de composants indiens. Et l'objectif est d'atteindre les 80% cette année. Nissan fabrique la Micra, exportée notamment vers l'Europe, sa version à quatre portes Sunny, le monospace Evalia ainsi que le Terrano, un clone de Duster à la calandre et aux feux arrière près. L'usine s'apprête à à fabriquer les voitures à très bas coûts de la nouvelle plate-forme l'an prochain.

Pourquoi l'Alliance Renault-Nissan a-t-elle choisi un endroit pareil pour installer une usine ? « Les coûts de production sont plus bas que dans le nord de l'Inde. Il y a l'attractivité du port, de bonnes conditions qui nous ont été faites. La politique gouvernementale est très attractive », affirme-t-on sans trop de précisions. Visiblement, on ne veut pas s'étendre sur ce sujet. Lors de notre visite, les salaires des opérateurs étaient également secret d'Etat, malgré nos demandes insistantes !

 

Conditions de travail dures

 

Le site - où nous avons pu voir une banderole avec une citation du président Carlos Ghosn accompagnée de sa photo, dénotant un étonnant culte de la personnalité - est moderne, mais très peu automatisé. Normal : la main d'œuvre ne coûte pas cher. Et elle est très jeune : 25,6 ans en moyenne, voire 23 à la tôlerie où le travail est très dur. Il peut y faire 35 degrés et, même si les dirigeants affirment qu'il y a un système de ventilation, nous avons pu constater qu'il y faisait très, très chaud (30 degrés à l'extérieur lors de notre passage).

A la tôlerie justement, le taux d'automatisation est de 20% à peine, ce qui est faible. Nous avons pu voir des femmes manipuler de très grosses pièces de tôlerie à la main. Certaines opérations de montage exigent par ailleurs d'avoir les bras levés, comme nous l'avons également remarqué, ce qui n'est plus le cas en Europe depuis de longues années. Mais, comme le personnel est très jeune, pas la peine de prendre les précautions ergonomiques que requiert la moyenne d'âge élevée dans nos usines tricolores ! Le site emploie au total 8.000 personnes. Rythme de travail : 7 heures et demie par jour, six jours sur sept. 

Mais, il ne faut pas juger de la pénibilité ou des salaires avec nos critère d'européens. Les salaries ont beau être très faibles comparés aux émoluments des opérateurs européens ou même marocains, par rapport aux salaires pratiqués dans la zone, ceux-ci sont corrects. Et l'embauche permet de sortir nombre d'opérateurs de la misère. La formation peut également permettre aux ouvriers de chercher ensuite à travailler ailleurs.

Le « RNTBCI » comme le « RNAIPL » ont en tous cas l'honneur d'être les premiers centres totalement intégrés de l'Alliance Renault et Nissan. « 90% des ressources sont communes », assure Karim Mikkiche. Ils servent même d'expérience-pilote pour une future intégration des compétences au sein de l'Alliance dans le monde, qui a été annoncée récemment. L'Inde, à la pointe du progrès ?