Comment Volkswagen réussit à gagner autant d'argent

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1458  mots
La Volkswagen Jetta Hybrid
Volkswagen enregistre un bénéfice opérationnel record. Le deuxième constructeur auto mondial jouit d'un gros trésor de guerre. Voici les recettes de la formidable réussite du consortium allemand.

Certes, le bénéfice net 2013 de Volkswagen est en chute de plus de moitié. Mais cette dégringolade s'explique par un résultat 2012 de référence artificiellement gonflé par l'intégration de Porsche. Dès lors, les résultats du groupe Volkswagen sont en fait excellents. Un bénéfice net de 9,1 milliards d'euros représente une vraie manne par rapport aux pertes de PSA. Le consortium automobile allemand affiche, sinon, un bénéfice opérationnel record à 11,7 milliards (11,5 milliards en 2012). Soit une marge de 6% du chiffre d'affaires. Pas mal pour un groupe en partie généraliste qui affronte la crise en Europe.

Les livraisons ont crû de 4,9% à des chiffres historiques de 9,73 millions d'unités, qui font du premier groupe auto européen le deuxième mondial, derrière Toyota mais pour la première fois devant GM.  Le flux de trésorerie est positif de 4,4 milliards d'euros et les liquidités nettes font rêver: 16,9  milliards d'euros... Mais comment Volkswagen parvient-il à engranger de tels profits?

Audi A3 quatre portes

Pionnier en Chine

Tout d'abord, Volkswagen a été très tôt implanté en Chine. Et ses co-entreprises locales ont généré des profits record l'an dernier, affirme le groupe, dépassant ceux de 2012. Volkswagen n'en donne pas le montant, toutefois, qu'il communiquera le 13 mars prochain, lors de la conférence de bilan annuelle à Berlin.

Les deux co-entreprises avec SAIC et FAW, qui génèrent le tiers des ventes mondiales du groupe allemand, avaient  enregistré la bagatelle de 3,7 milliards d'euros de bénéfice d'exploitation au titre de 2012!  Par comparaison, DPCA, la co-entreprise de PSA avec Dongfeng, a versé tout juste 100 millions d'euros de dividende au groupe tricolore en 2013... Et ce, alors que Volkswagen et PSA se sont implantés au même moment, au milieu des années 80.

Volkswagen a écoulé 3,27 millions de véhicules en Chine l'an passé, en hausse de 16,2%. Soit six fois les volumes de PSA. Le consortium de Wolfsburg veut porter ses capacités de production annuelles dans le pays à plus de quatre millions d'ici à 2018. Il a annoncé un investissement de 9,8 milliards d'euros entre 2013 et 2015.

Gamme très complète

Volkswagen est très intercontinentalisé, puisqu'il vend 61,5% de ses véhicules hors du Vieux continent, contre la moitié pour Renault, 42% pour PSA. Volkswagen est parmi les deux premiers constructeurs traditionnellement au Brésil. Ses ventes ont dépassé les 900.000 unités en Amérique du sud en 2013. Elles étaient toutefois en baisse de 10%. Le groupe de Wolfsburg est aussi implanté en Amérique du nord avec 880.000 ventes (+5,6%). En Europe, malgré le recul des marchés, le constructeur a quand même pu livrer 3,65 millions de véhicules (-0,5%), dont 1,85 million en Europe de l'ouest hors Allemagne (+0,1%).

Volkswagen jouit d'une gamme de véhicules complète avec ses plates-formes modulaires mondiales. Patron du directoire de Volkswagen de 1993 à 2002, Ferdinand Piëch s'était forgé la réputation de roi des plates-formes. Volkswagen fut en effet l'un des premiers constructeurs à systématiser la stratégie d'une multiplication des modèles à partir de plates-formes communes, engrangeant un durable avantage compétitif.

Volkswagen Golf VII break

Plates-formes modulaires mondiales

La dernière plate-forme modulaire du consortium, la "MQB", celle de la dernière Golf VII, franchit une étape supplémentaire. Elle devrait donner naissance à plus de 40 modèles et générer 3,5 millions d'unités annuelles d'ici à 2018. Soit un record absolu dans toute la production mondiale. Volkswagen dispose de la gamme la plus large de toute la production mondiale, de la minuscule Up produite en Slovaquie aux  hyper-luxueuses limousines Bentley, en passant par les petites Volkswagen Polo ou Seat Ibiza, les compactes Volkswagen Golf ou Audi A3, la familiale Volkswagen Passat, les grosses Audi A8, toute une pléiade de 4x4, du Skoda Yeti à l'Audi Q7 ou aux Porsche Macan et Cayenne, des cabriolets, monospaces, pick-ups... Il y a aussi les ultra-sportives comme la Porsche 911, la Lamborghini Aventador ou la Bugatti Veyron. Enfin, toute une gamme de modèles "locaux"  existe en Amérique du sud (Gol, Fox...) ou en Chine (Lavida, Santana...).

Le consortium dispose de l'avantage d'un éventail de marques pour couvrir le spectre du marché, de la Skoda tchèque ou de l'espagnole Seat en entrée de gamme  au haut de gamme Audi, avec Bentley, Lamborghini, Porsche, les constructeurs de poids-lourds réputés MAN ou Scania... L'éventail comprend même les motos de Ducati. Bref, pas un créneau qui soit négligé, conséquence de la volonté hégémonique de l'ancien patron Ferdinand Piëch, petit-fils de Ferdinand Porsche et toujours président du conseil de surveillance de Volkswagen AG! Pour animer tous ces modèles, Volkswagen propose en parallèle une gamme de moteurs impressionnante, du  trois cylindres de 60 chevaux au V12 de 700 chevaux, voire au W16 de 1200 chevaux (Bugatti)!

Bentley Flying Spur

Réputation de qualité - parfois usurpée

Contrairement à une légende, les Volkswagen ne sont pas les modèles les plus fiables de la production mondiale. Les diverses enquêtes auprès des consommateurs ont en effet plutôt tendance à plébisciter les marques japonaises (Toyota, Honda, Subaru) à cet égard. Mais, si le taux de pannes de ses voitures est supérieur à celui des nippones, le constructeur germanique n'en demeure pas moins synonyme de qualité sur tous les marchés. Une solide réputation que d'aucuns estiment usurpée. Il n'empêche.

Volkswagen doit cette image d'indestructibilité de la fameuse Coccinelle originelle de 1938. Le constructeur allemand a aussi compris très tôt qu'il fallait soigner la qualité de finition, c'est-à-dire l'apparence des véhicules. Du coup, les véhicules du groupe font robuste et les carrosseries, les intérieurs, vieillissent bien. La qualité perçue des Audi est même jugée aujourd'hui comme la meilleure dans la production automobile mondiale par la plupart des experts.

Haute technologie au programme

Cette réputation de qualité - certes excessive - s'accompagne d'une image de haute technologie. Le groupe Volkswagen a su lancer dès le milieu des années 1970 un petit diesel léger sur sa Golf, et en même temps un petit moteur sportif à haut rendement (GTI); en 1980, le fameux système à quatre roues motrices ("quattro"); en 1988, son premier moteur noble de forte cylindrée V8; en 1989, le premier TDI (diesel à injection directe) ultrasobre; en 2003, la boîte à double embrayage de série "DSG" qui combine la douceur de la transmission automatique, la rapidité de réaction et des basses consommations - avec quelques problèmes de fiabilité cependant à la clé.

Porsche Macan

Stabilité des dirigeants au profil automobile

Contrairement à GM, Fiat ou PSA, Volkswagen se caractérise par l'incroyable stabilité de ses dirigeants, imprégnés de culture maison. A la manière de Toyota au Japon, par exemple. Après un début de carrière chez l'équipementier auto Bosch, Martin Winterkorn entre dès 1981 chez Audi, où il s'occupe essentiellement de qualité. En 1993, il passe chez Volkswagen où il supervise également la qualité. Il se chargera aussi du développement technique de la marque, puis de la recherche et du développement.

En 2002, il repassera chez Audi pour prendre la présidence de la firme aux quatre anneaux, avant de devenir président directeur du consortium en janvier 2007. Bref, une carrière qui se sera totalement déroulée dans l'industrie automobile allemande et en presque totalité au sein du consortium. Fort de ce savoir-faire, Martin Winterkorn examine et essaie personnellement toutes les nouveautés du groupe et de la concurrence. L'homme est réputé pour sa connaissance et son souci du détail. Il est capable sur un salon de tester la commande de réglage de la colonne de direction ou d'ouverture d'un capot de n'importe quel modèle rival! Et il a su s'entourer de véritables hommes de l'automobile comme le patron des ventes Christian Klingler...

Seat Leon

Un rouleau compresseur avec... des faiblesses

Bref, Volkswagen apparaît comme un vrai rouleau compresseur, qui fait peur aux concurrents. Ceci dit, le groupe n'est pas sans faiblesses. Outre les incidents de fiabilité qui ont dû donner lieu à des rappels massifs en Chine, le consortium ne réussit pas partout. Il a ainsi du mal à percer aux Etats-Unis, où il a connu une longue éclipse. Sa gamme n'apparaît pas aujourd'hui tout-à-fait adaptée aux goût des américains.

Par ailleurs, le consortium de Basse-Saxe doit aussi prochainement renouveler ses dirigeants. Ce qui risque de poser des problèmes, notamment de lutte pour le pouvoir entre prétendants. Enfin, cet énorme vaisseau de 572.800 salariés au 31 décembre 2013  (549.700 un an plus tôt) soulève forcément la question de sa  manoeuvrabilité. Difficile de gérer un tel mastodonte.