Audi et BMW prêtent des voitures aux dirigeants européens... en pleine négociation sur le CO2

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  706  mots
Audi A3
Audi et BMW prêtent généreusement des véhicules de luxe aux dirigeants de certains Etats membres. Et ce, alors que l'Union européenne débat des futures normes d'émission de C02 des véhicules et que l'Allemagne fait pression pour protéger ses constructeurs. Certains responsables politiques et associations y voient un possible conflit d'intérêts.

Conflit d'intérêts? Audi et BMW mettent généreusement des voitures à disposition des dirigeants de certains pays  européens... en pleine négociation sur les émissions de CO2 des voitures. Que des officiels roulent tranquillement dans de grosses limousines de luxe fortement émettrices de gaz à effets de serre est déjà en soi paradoxal et pose question. Mais, que les bénéficiaires soient en plus des représentants d'Etats sur lesquels l'Allemagne peut faire pression pour favoriser les constructeurs germaniques de haut de gamme dans la bataille en cours sur la réduction du CO2 apparaît pour le moins limite

Conflit d'intérêts difficile à prouver

C'est ce dont s'inquiètent des responsables politiques et des associations de l'Union européenne, explique l'agence Reuters. "Bien sûr, un conflit d'intérêts est difficile à prouver. Mais on peut dire que certains constructeurs auto allemands arrivent au bon moment quand ils sponsorisent ou mettent des voitures à disposition", explique ainsi prudemment à l'agence Reuters Rebecca Harms, co-présidente des Verts, la quatrième formation politique au Parlement européen. Il est "très dommageable que des gouvernements risquent d'endommager leur crédibilité et celle de la présidence européenne", assure Olivier Hoedeman, du Corporate Europe Observatory, un observatoire de la corruption.

Les pays incriminés sont le  Danemark, Chypre, l'Irlande, la Lituanie et la Grèce, explique l'agence Reuters. La Grèce, qui a pris la présidence de l'Union en janvier utilise ainsi librement 69 Audi. Elle reconnaît d'ailleurs sur Twitter qu' "Audi est un grand sponsor de la présidence grecque". Marcella Smyth, porte-parole de l'ancienne présidence irlandaise, se justifie en rappelant pour sa part que la présidence a économisé,  à travers ces mises à disposition de voitures entre autres, 1,4 million d'euros. 

Etats bénéficiaires et constructeurs expliquent que  ces opérations de "soutien" ressortent d'une pratique légale soumise à des règles strictes. Audi, filiale de Volkswagen, souligne  - cyniquement - que la mise à disposition de véhicules lui permet "d'améliorer la réputation et la popularité".

Grand débat sur le CO2 des véhicules

En novembre dernier, l'Allemagne avait obtenu partiellement gain de cause en Europe sur les futures normes d'émissions de C02 des voitures particulières. Bruxelles avait décidé en effet de différer de 2020 à 2022 l'objectif de réduire les rejets de CO2 des voitures particulières neuves de plus de 130 grammes aujourd'hui à 95 grammes par kilomètre en moyenne, et donc de donner deux ans de plus aux constructeurs.

L'obligation de réduire les émissions moyennes des voitures neuves dans l'Union à 95 grammes au kilomètre interviendra en fait dès la fin de l'année 2020. Mais, des bonifications (les "super-crédits") - qui permettraient aux constructeurs de compenser les niveaux d'émissions des véhicules à forte consommation par celles, plus faibles, des voitures hybrides rechargeables ou électriques, même si celles-ci sont vendues à de très faibles volumes - seront accordées. Et, grâce à ces véhicules,  les constructeurs pourront reporter ce délai jusqu'à 2022, a-t-on expliqué de source européenne.

Les allemands spécialistes des gros véhicules

Les constructeurs allemands, orientés vers le haut de gamme et dont la situation est plutôt florissante grâce notamment aux excellentes ventes de leurs berlines à hautes performances ou leurs 4x4 à fortes marges hors d'Europe, produisent des véhicules plus gros et puissants que Renault, PSA ou Fiat. Logiquement, ceux-ci émettent plus de CO2 au kilomètre, puisque ces émissions sont corrélées aux consommations.Orientés essentiellement vers les petits véhicules, les constructeurs français étaient réticents à accorder un délai, qui favoriserait les constructeurs allemands.

Vent debout pour défendre son industrie automobile florissante, l'Allemagne était prête à brandir la menace d'une réduction, voire d'une suspension, des programmes d'investissements des constructeurs germaniques dans les pays de l'Union européenne qui s'opposeraient à un assouplissement des normes sur les émissions de C02, affirme-t-on de sources diplomatiques, selon l'agence Reuters... La très puissante Fédération allemande de l'automobile VDA avait vigoureusement incité Angela Merkel à défendre auprès de  Bruxelles l'industrie germanique, contre vents et marées. Le Parlement européen doit voter cette semaine sur la question.