La France, un marché automobile de pays pauvre

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  929  mots
La Clio IV, la plus vendue en France, est produite majoritairement en Turquie
55% des voitures immatriculées en France étaient des "petits" modèles d'entrée de gamme au premier trimestre... Contre une moyenne de 43% en Europe occidentale. Cet appauvrissement est fâcheux, alors que ces véhicules, pour l'essentiel à zéro marge, sont surtout produits hors de l'Hexagone.

Ca se confirme: la France prend des allures de pays pauvre. Les petites voitures d'entrée de gamme ont représenté 55% des immatriculations totales de voitures neuves au premier trimestre, selon les données du CCFA (Comité des constructeurs français d'automobiles). Et ce, contre 52% il y a un an et 51% en 2012. Un poids énorme et démesuré. La France s'éloigne de la moyenne ouest-européenne, où les "petites" (type Renault Twingo, Peugeot 208) représentent à peine 43% des ventes.

Les segments supérieures ont beaucoup perdu

Toutes les autres catégories de voitures chutent en France (proportionnellement) dans l'Hexagone. Les "compactes" (genre Renault Mégane, Peugeot 308) ne sont plus qu'à 30% du total, contre 31% un an auparavant. Les ventes de "compactes" en France sont toutefois dans la moyenne ouest-européenne. En revanche, les autres segments à plus forte valeur ajoutée et en principe à hautes marges sont en berne.

Les familiales (gamme "moyenne supérieure" type Peugeot 508) pèsent  seulement 12% du marché total en France, contre 13% en 2013 et... 16% en Europe occidentale. Enfin, le "haut de gamme", spécialité des constructeurs allemands que les français ne concurrencent plus, il est réduit à presque rien: 4% à peine du marché français, contre 5% il y a deux ans et 11% en moyenne pour l'Europe occidentale (attention: les pourcentages du CCFA sont des arrondis, leur somme pouvant ne pas faire 100%)...

Pas étonnant, dans ces conditions, que Renault et PSA soient devenus à leur corps défendant des spécialistes de petits véhicules... qui ne se vendent  quasiment qu'en Europe occidentale, principalement du sud. En effet, la plupart de ces petits véhicules - sauf les Dacia - sont trop chers pour l'Inde ou le Brésil, des marchés pourtant portés eux aussi sur les "petites".  Et ces modèles sont  pratiquement invendables en Russie, Chine, Asie du sud-est et en Amérique du nord.

"Made In France" défavorisé

Favorisés par les pouvoirs publics à coup de bonus-malus et de discours et mesures anti-automobiles, ces petits modèles à zéro marge - sauf les Dacia à bas coûts - sont en grande partie produits... hors de France! L'orientation vers le bas du marché hexagonal est donc une mauvaise nouvelle pour le "made in France". Les Dacia à bas coûts de Renault sont fabriquées en Roumanie et au Maroc.

La petite Renault Twingo est assemblée en Slovénie, tout comme 60% des Clio. Les Peugeot 107-108 et Citroën C1 proviennent de République tchèque.  PSA a d'ailleurs averti récemment que les "petites voitures généralistes" seraient à l'avenir fabriquées toutes hors de France. PSA perd trop d'argent à produire des Citroën C3 ou une partie des Peugeot 208 dans l'Hexagone.

Les "compactes" de Renault et PSA sont, elles, produites en France - sauf la  Mégane de Renault assemblée en Espagne. Problème: leurs volumes de production chutent: Renault a produit ainsi l'an passé 258.000 Mégane III (y compris le monospace Scénic), contre 898.000 Mégane il y a dix ans! Des volumes divisés par plus de trois.

Chez Peugeot, la gamme compacte (308, 3008) a enregistré 400.000 véhicules en production l'an passé, contre 515.400 modèles 307 en 2005. Seule Citroën a maintenu ses scores de "compactes". PSA a fabriqué en effet 410.000 Citroën C4, C4 Picasso et DS4 l'an passé, contre... 430.000 véhicules compacts en 2005.

Le haut de gamme disparaît

Côté "moyennes supérieures", toutes produites en France pour le marché européen, la Bérézina du marché français leur porte fortement préjudice.  La gamme "moyenne supérieure" de Renault a d'ailleurs quasiment disparu en dix ans. La familiale Laguna a totalisé 17.900 unités produites en 2013,  contre 145.000 il y a dix ans! Cette gamme  représente... moins de 1% des ventes totales du groupe Renault aujourd'hui (hors filiale coréenne Renault-Samsung), contre 10% il y a dix ans. Un véritable effondrement.

Chez PSA, Il s'est produit 86.800 Peugeot 508 l'an dernier - dont une bonne partie en Chine -, contre 259.000 Peugeot 407, son prédécesseur, en 2005. Et, à l'époque, toutes étaient assemblées dans l'Hexagone. Il faut ajouter 86.800 Citroën C5 et DS5 - oui, le même nombre que de 508 -, contre 95.000 C5 et Xantia en 2005. Ici aussi, seul Citroën réussit à limiter la casse.

Quant aux limousines de "haut de gamme" tricolores, elles n'existent plus malgré les discours de PSA, après l'arrêt de la Citroën C6 vendue au compte-gouttes. Ni PSA ni Renault  ne produisent non plus de 4x4 "haut de gamme", ces modèles ayant tendance à remplacer les limousines de même catégorie. Quant au monospace Espace de Renault, qui peut être assimilé au "haut de gamme", ses volumes de production ont atteint 7.500 unités à peine en 2013, contre 64.500 il y a dix ans. Tout est dit, même si Renault promet une relance de son Espace avec une nouvelle mouture en fin d'année.

En une décade, la production automobile de Renault surtout, mais aussi de PSA, s'est indéniablement orientée vers le bas. Les orientation des pouvoirs publics se sont combinées avec la montée du chômage et donc la baisse du pouvoir d'achat de certaines catégories. Certes, après avoir crû, la taille moyenne des voitures et la cylindrée des moteurs ont tendance à redescendre en Europe. Il n'empêche. Cet "appauvrissement" des constructeurs tricolores - alors que les allemands poursuivent leur lucrative orientation "haut de gamme" - explique en partie leurs mauvais résultats financiers et... la réduction par deux de leur production dans les usines hexagonales en dix ans. Triste constat.