Biotechnologies : comment relancer la France dans la course aux médicaments du XXIe siècle

SÉRIE D'ÉTÉ - ÉPISODE 5/5. Les experts en sont convaincus : l'avenir du médicament passe par les biotechs. Si l'Hexagone accuse aujourd'hui un retard certain, ses atouts sont nombreux pour ne pas passer à côté d'un enjeu majeur qui devrait contribuer à l'autonomie sanitaire française.
(Crédits : Andreas Gebert)

Depuis le début de la pandémie du COVID-19, certaines biotechs ont su se repositionner sur le coronavirus à toute vitesse. Elles ont concentré leurs technologies et leur savoir-faire autour de nouveaux projets SARS-CoV-2 et, du coup, ont su susciter l'intérêt des investisseurs. C'est le cas dans le diagnostic avec des entreprises telles que Novacyt (Île-de-France), Biosynex (Strasbourg) ou Eurobio Scientific (Île-de-France) se sont mis à développer tests Covid. De leur côté, les spécialistes de l'immunité et des maladies inflammatoires ont lancé des essais autour de leurs molécules chargées d'éviter les dangereux orages immunitaires provoqués par le coronavirus chez certains patients. C'est le cas d'InnatePharma (Marseille), d'Abivax (Paris) ou encore d'Inotrem (Meurthe-et-Moselle). D'autres start-ups enfin travaillent sur le projet de vaccin, comme la française OSE Immunotherapeutics (Nantes), qui développe un vaccin multi-cibles différencié avec un focus sur les lymphocytes T mémoire ou Valneva (Nantes), mais aussi la biotech américaine Moderna Therapeutics qui a vu ses cours s'envoler grâce à son candidat vaccin soutenu par la Maison-Blanche. Au printemps sur Euronext, les biotechs investies dans la recherche contre le COVID-19 ont flambé. Elles suscitent d'immenses espoirs.

De fait, avec leurs nouveaux process capables de créer des médicaments à partir d'éléments vivants ou issus du vivant, les biotechnologies apparaissent aujourd'hui, aux yeux de la plupart des experts, comme l'avenir de la pharmacie. Elles permettent de créer des traitements personnalisés et de mettre au point des solutions face à des maladies que la pharmacie chimique ne parvenait pas à soigner jusqu'ici. Une vraie révolution donc pour la médecine. Il y a vingt ans, ces technologies biologiques relevaient de la recherche. Elles consistaient à cultiver ou modifier génétiquement des cellules pour mieux comprendre leurs interactions et tous les mécanismes du vivant. Au fil des découvertes, ce bricolage biologique a donné l'idée de médicaments qui rééduqueraient ou feraient réagir nos cellules au contact d'autres éléments dont on a découvert les effets. Ces traitements sont des assemblages de différentes matières vivantes ou issues du vivant telles que les protéines, les enzymes, les gènes, des atomes et même des formes de virus qui jouent le rôle de vecteurs. Ces mélanges visent à corriger les effets de maladies génétiques ou même à rééduquer le système immunitaire du patient afin qu'il sache mieux identifier et détruire un microbe dangereux ou des tumeurs cancéreuses qui lui échappaient jusque-là.

Développés par de jeunes sociétés issues du milieu de la recherche, ces bio médicaments ont eu du mal à arriver sur le marché. Leurs développements sont longs et les start-ups disposaient rarement des budgets nécessaires aux développements cliniques, en vue d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Mais depuis que les grands laboratoires ont compris leur intérêt, les premiers bio traitements ont été autorisés. Ce sont essentiellement des anti cancéreux comme l'Herceptin de Roche contre le cancer du sein et plus récemment, l'Opdivo de Bristol Meyer Squibb ou encore le Kymriah® de Novartis contre la leucémie. On a vu aussi apparaître les premières thérapies pour guérir des maladies génétiques comme le Strimvelis de GSK, contre de déficit du système immunitaire des enfants (appelés bébés bulles).

L'avenir du médicament est biologique

Si la France veut améliorer son autonomie sanitaire, il s'agit de ne pas passer à côté des biotechnologies. Pendant les premiers mois de la pandémie, il est apparu que les lignes françaises de production des pharmas sont beaucoup trop concentrées sur les anciens traitements chimiques dits "matures" et nous produisons peu de médicaments innovants. Pourquoi ? C'est simple : avec ses politiques de réduction systématique des dépenses de santé et ses complexités et lenteurs administratives, l'Hexagone n'attire pas les investissements des big pharmas. En dix ans, la France est passée de la 1re à la 4e place en Europe dans la liste des pays producteurs de médicaments et sur les 91 nouveaux traitements autorisés en 2019, seulement six sont produits en France.

Or, dans ce domaine comme dans d'autres, les retards ne se comblent pas d'un coup de plume. Les bio médicaments naissent dans un terreau très spécifique : ils sont très longs et coûteux à développer, ils manquent de matières premières facilement accessibles, d'experts reconnus capables de les mettre en relation et de moyens de production européens. La discipline, il est vrai, est encore jeune. Pour les investisseurs, ce sont par conséquent des paris onéreux et risqués, dont les résultats, aléatoires, ne se verront qu'à long terme. Même si, bien sûr, certains bio médicaments peuvent se révéler de véritables jackpots et devenir les best-sellers de la pharma. Si demain, elle ne veut pas devenir totalement dépendante des puissances chinoises et américaines, voire de ses voisins européens mieux dotés (Suisse, Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne) la France va devoir revoir sa copie et miser sérieusement sur ces technologies d'avenir de la santé.

Quels sont nos atouts ?

Pour Pascal Le Guyader, Directeur Général Adjoint du Leem, syndicat professionnel des industries pharmas, la France possède des atouts pour se positionner dans la course.

« Avec 700 biotechs, nous sommes leader du nombre d'entreprises créées en Europe et deuxième au niveau mondial pour celles qui sont cotées sur le marché public. Nous disposons de deux filières bien identifiées dans les secteurs de la thérapie génique et de la thérapie cellulaire. Mais nous devons structurer ces filières et améliorer leur écosystème afin de rester dans la course, voire de prendre la première place européenne. »

Autre point fort français : l'expertise en thérapie génique développée autour de l'AFM Téléthon depuis plus de vingt ans. Au Sud de Paris, l'AFM Téléthon créé un véritable pôle autour du Généthon basé à Corbeil (Essonne), Capitalisant sur cet écosystème de pointe, l'AFM et Bpifrance ont co-investi en 2016 sur la CDMO (Contract Developement and Manufacturing Organization) Yposkesi, à travers le fonds SPI (Sociétés de Projets Industriels). Cette plateforme de 180 salariés dispose de procédés de production performants et de  capacités de production et accompagne de jeunes biotechs, mais aussi de gros laboratoires américains dans le développement de leurs thérapies géniques.

Enfin, un de nos gros atouts est l'excellence de nos formations en biotechnologies qui expliquent notamment le nombre de start-ups créées en France. Mais comme le constate Paul Mirland, chargé de projet industrie au Leem :

« Nous formons des jeunes très compétents, mais nous ne savons pas les retenir. Une fois diplômés, ces talents sont happés par l'Allemagne, la Belgique et la Suisse. Dans ces pays, il est plus simple de développer son projet grâce aux incitations fiscales et des règlementations moins dissuasives pour implanter des capacités de production permettant d'aller au bout des essais cliniques. »

Un exemple ? Le fleuron français DBV Technologie est parti poursuivre le développement de son immunothérapie contre l'allergie aux arachides aux États-Unis, faute de relais financiers français suffisants et vient de recevoir un premier accord de la FDA.

Et quelles sont nos faiblesses ?

Malgré ces bonnes dispositions, le terreau d'innovation biotech français a du mal à former des licornes. Nous disposons bien de sociétés reconnues à l'international, telles que Cellectis (Paris) avec ses immunothérapies oncologiques, Innate Pharma (Marseille), Genfit (Nord) ou encore Nanobiotix (Paris), mais elles ont presque toutes bénéficié de fonds provenant de l'étranger. D'une part, les investissements français restent encore en dessous des besoins. Avec des projets innovants, les start-ups parviennent à lever 10 ou 20 millions d'euros et au mieux, jusqu'à 50 millions d'euros en passant par le marché public. Largement insuffisant pour aboutir, comme le précise Dominique Constantini, directrice générale d'OSE Immunotherapeutics :

« Dans les biotechnologies pour la Santé, nous avons besoin de gros moyens de financement avec des montants importants de plusieurs dizaines de millions d'€ pour aller au bout de nos projets. Aux États-Unis, les meilleures levées de fonds peuvent atteindre un milliard de dollars ! »

Pour son développement, OSE Immunotherapeutics a choisi une autre formule : des partenariats conclus tôt dans le développement du médicament avec de gros labos, comme Servier et Boehringher Ingelheim. Suivant les contrats, la société cède son projet ou cofinance l'étude en partenariat avec le laboratoire.

Selon les experts, le financement des biotechs en France serait néanmoins en voie d'amélioration. C'est du moins ce qu'espère Franck Mouthon, président de France Biotechs :

« Alors que de nombreux projets, dont la naissance avait été financée par des fonds de recherche français et les premières étapes par des fonds d'amorçages, s'efforçaient de poursuivre leur développement avec difficultés, le dispositif de Philippe Tibi sur le financement des entreprises technologiques françaises incite à réindustrialiser dans les nouvelles technologies. Il devrait permettre à nos start-ups d'aller au bout de leurs développements en finançant le « late stage » avec une première diversité de fonds labellisés spécifiques en healthtech tel que le fonds Jeïto dirigé par Rafaèle Tordjman. »

Autres limites qui réduise l'attractivité et la compétitivité des sociétés biotech, les solutions innovantes ont bien du mal à trouver leur futur modèle économique à cause du « french health paradox ». Dans un pays où l'Assurance maladie bloque le remboursement des innovations santé, sous prétexte que le budget la Sécu ne doit pas augmenter, dans un pays où les patients n'imaginent pas payer eux-mêmes leurs traitements, car ce qui n'est pas labellisé "Sécu" est sans doute une arnaque, difficile d'attirer la confiance des investisseurs. Pour Franck Mouthon, il faudrait réunir les conditions d'un dialogue fort avec le régulateur et l'évaluateur pour devrait permettre de rassurer investisseurs et patients.

« Notre système de soins a eu une position systématiquement très défensive face aux Healthtechs. Une vision plus offensive lui permettrait de pré-évaluer les innovations de façon prospective sur les bénéfices qu'elles pourraient apporter dans les parcours  service de soins. Ainsi en cohérence avec le déploiement des fonds labellisés par le dispositif de Philippe Tibi, des avis précoces engageants de la part du régulateur et de l'évaluateur généreraient beaucoup de valeur. En effet, cela aurait un fort apport pour l'entreprise et les investisseurs en matière de stratégie de développement et d'accès marché, et pour l'État, pour sa la capacité à anticiper la prise en charge des innovations dans les parcours de soins des patients. »

Pour les start-ups et leurs solutions, le manque de lignes de productions françaises dédiées aux biotechnologies est également un problème bien identifié. Avec Yposkesi en passe de doubler de surface en 2022, les capacités de productions françaises devraient faire face aux besoins et le développement des bio-réacteurs est une priorité. En outre, parmi nos pépites, Treefrog therapeutics (Bordeaux) développe un procédé industriel pour optimiser le rendement dans la production de cellules souches et Atlantic Bio GMP, une plateforme de production créée par l'EFS, l'Établissement français du Sang.

Quelles solutions ?

Pour améliorer nos chances de figurer parmi les champions européens, les bonnes idées ne manquent pas. Au-delà des simplifications administratives et règlementaires indispensables pour améliorer l'écosystème français, au-delà de la professionnalisation des fonds pour trouver les moyens de mener les meilleurs projets jusqu'au marché, les start-ups françaises auraient déjà bien besoin de structurer leur filière. Une agence pluridisciplinaire pour catalyser l'ensemble des compétences nécessaires au développement des biotechnologies, comme l'explique Alain Lamproye, CEO de la CDMO Yposkesi :

« Comment capitaliser sur nos start-ups et faire en sorte que tout le monde travaille ensemble ? Car ces nouveaux médicaments nécessitent de nombreuses compétences telles que virologie, biosynthèse, chimie des matériaux, etc. Une structure commune réunissant toutes ces compétences améliorerait le développement de la filière. L'État est sans doute le mieux placé pour les catalyser autour d'une agence française de développement des biotechnologies. »

De telles agences existent déjà en Grande-Bretagne, mais aussi en Belgique, un pays qui a su se doter d'une large filière de production avec des plateformes et des bioréacteurs dont la France aurait intérêt à s'inspirer. À condition de ne pas en faire encore un « machin » bureaucratique.

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Commentaires 2
à écrit le 27/08/2020 à 17:26
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la france, c'est parfait pour la r&d, grace au cir pour tout le reste, prodution commercialisation, industrialisation, la france de gauche est passee par la contruire une usine? mais oui, faut du grand capital, bourgeois et capitaliste, ca tombe bi...

à écrit le 27/08/2020 à 11:16
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En nous associant puissamment à ceux qui travaillent sur la physique quantique mais vu que notre oligarchie européenne s'est arrêtée au 19ème siècle c'est mort. Alors on danse...

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