Augmentation de capital d'EDF : le coûteux sauvetage du nucléaire français

Par Dominique Pialot  |   |  923  mots
L'Etat français contraint de renflouer les acteurs du nucléaire.
L’augmentation de capital annoncée ce 7 mars par EDF s’inscrit dans une dynamique de renflouement par l’Etat des acteurs du nucléaire, qui pèse lourdement sur les finances publiques.

[Article publié le 8 mars à 6h30 et mis à jour à 18h avec la clôture du cours de Bourse d'EDF au plus bas historique]

C'est ce 7 mars que EDF a lancé son augmentation de capital "d'environ 4 milliards d'euros", annoncée en avril 2016. Il s'agit à l'époque de faire face à un « mur d'investissements » dans lequel le projet de construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point dans le sud de l'Angleterre (18 milliards) et les charges de maintenance de son parc nucléaire (grand carénage, estimé par l'opérateur à 50 milliards, par la Cour des Comptes à 100 milliards) pèsent particulièrement lourd. Sans compter le rachat en novembre dernier d'Areva NP, imposé par l'Etat pour un montant de 2,5 milliards d'euros.

Le secteur énergétique fragilisé par l'effondrement des prix de gros

Cette opération, à laquelle l'Etat actionnaire s'est engagé à participer à hauteur de 3 milliards, fait suite à la recapitalisation par l'Etat d'Areva entérinée en janvier dernier pour un montant de 5 milliards d'euros.

Ces démarches sont menées dans le cadre «d'une réorganisation et un redéploiement», d'aucuns diraient d'une tentative de sauvetage, de la filière nucléaire française.

Le secteur de l'énergie dans son ensemble traverse une mauvaise passe, notamment en Europe, où les prix de gros connaissent une baisse brutale. Pour EDF, celle-ci coïncide de surcroît avec l'ouverture à la concurrence du marché des particuliers. Les résultats présentés en février par l'opérateur historique font état d'un chiffre d'affaires en recul de 5,1% et de 6,7% pour l'excédent d'exploitation brut (EBITDA).

La filière nucléaire française dans la tourmente

Dans ce secteur énergétique en plein bouleversement, le nucléaire est tout particulièrement fragilisé. Il subit le contrecoup de l'accident de Fukushima, qui a tout à la fois incité certains pays à abandonner progressivement cette énergie, et entraîné une hausse des coûts liée à de nouvelles exigences en matière de sécurité. Et se trouve de plus en plus fréquemment en concurrence avec des énergies renouvelables qui ont vu ces dernières années leurs coûts s'effondrer.

Dans ce contexte, la filière française présente un visage à part. Areva n'a échappé à la faillite qu'au prix d'un démantèlement de ses activités. Après avoir cédé sa division NP (conception, fabrication et maintenance des réacteurs) à EDF, et engagé celle de la branche Areva TA (propulsion nucléaire navale) auprès de l'Etat, le CEA et DCNS, elles sont aujourd'hui restreintes au cycle du combustible, depuis l'extraction du minerai d'uranium jusqu'au traitement  des combustibles usés. Un flou subsiste au sujet de l'EPR en construction à Olkiluoto en Finlande et qui accuse déjà plusieurs années de retards et un dépassement de budget de plusieurs milliards. EDF a en effet refusé de le reprendre bien qu'il soit initialement logé dans la division NP.

EDF bientôt scindé en deux ?

Quant à EDF, malgré un renforcement de ses fonds propres avoisinant les 8 milliards, incluant l'augmentation de capital et la prise de dividendes de l'Etat actionnaire sous forme d'actions plutôt que de cash sur les exercices  2015, 2016 et 2017 ses perspectives à court terme restent sombres comme l'a précisé son PDG, annonçant pour 2017 une année encore difficile avant un rebond.

Il lui faut d'ailleurs encore séduire d'autres investisseurs que l'Etat pour un milliard d'euros. L'opérateur historique va solliciter ses 800 000 actionnaires individuels (parmi lesquels ses salariés), mais table essentiellement sur des investisseurs institutionnels, comme l'a précisé son PDG Jean-Bernard Lévy dans un entretien aux Echos. Mais, outre un endettement qui demeure élevé à à 37,4 milliards d'euros, le refus constant de toute hausse des prix par le gouvernement (la Commission de régulation de l'énergie à qui revient désormais de les encadrer pourrait se montrer plus compréhensive), ou encore la menace européenne qui plane sur les tarifs réglementés, pourrait freiner leurs ardeurs. Sans compter les incertitudes sur les chantiers de l'EPR ou le coût du démantèlement sur lequel subsiste un certain flou, dénoncé notamment par un récent rapport parlementaire.

L'opérateur historique pourrait-il être amené à scinder ses activités comme l'ont fait les allemands RWE et E.ON ? Certains observateurs le pensent, mais la direction a jusqu'à présent toujours démenti.

La valeur des participations de l'Etat en chute libre

Outre leur renflouement, le poids de l'Etat dans ces entreprises grève les finances publiques en faisant chuter la valeur du portefeuille de l'agence des participations de l'Etat (APE) avec la dégringolade de leurs cours de Bourse. Ce mercredi, l'action EDF a perdu près de 8%, terminant à 7,91 euros, son plus bas historique depuis son introduction en Bourse il y a 11 ans. Le secteur de l'énergie, qui représentait 81% du portefeuille de l'APE en 2008, n'en pèse aujourd'hui plus que 46%.

L'agence a d'ailleurs choisi le plus mauvais moment pour vendre ses actions Engie (dans l'objectif affiché de soutenir la filière nucléaire), au plus bas avant de remonter à peine quelques semaines plus tard après la publication de ses résultats médiocres mais attendus, et des perspectives rassurantes présentées par l'entreprise.

Et cette litanie de cession de participations n'est sans doute pas terminée, puisque l'Etat doit encore prendre une décision d'ici à la fin 2017 concernant les 20% qu'il détient dans Alstom...

De quoi apporter de l'eau au moulin de la Cour des Comptes, qui lui a recommandé à récemment de réduire son taux de participation dans certaines entreprises publiques.