Hinkley Point : le feu vert britannique ne résout… presque rien

Par Dominique Pialot  |   |  921  mots
Le gouvernement britannique donne son feu vert au projet d'Hinkley Point
Après six semaines de réexamen du dossier, le ministère britannique de l’Energie vient d’approuver le projet de construction de deux réacteurs nucléaires par EDF et le chinois CGN. Mais les inquiétudes suscitées par ce dossier depuis plusieurs mois n’en sont pas levées pour autant.

La satisfaction était générale ce 15 septembre, tant du côté de l'électricien que du gouvernement français. Après six semaines de suspens, le ministère de l'énergie britannique a en effet confirmé qu'il donnait son feu vert au projet controversé de construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point.

Certes, le gouvernement de Theresa May a souhaité glisser une clause additionnelle dans l'accord qui devrait donc être très prochainement signé : dans l'hypothèse où EDF (qui doit porter les deux tiers de l'investissement de 21 milliards d'euros) souhaiterait céder une partie de sa participation et devenir actionnaire minoritaire, il devrait soumettre cette décision au gouvernement. "C'est une précaution sur un point qui n'est aujourd'hui pas couvert par la réglementation (à l'inverse des centrales déjà construites pour lesquelles cette clause est déjà prévue, ndlr), a précisé Jean-Bernard Lévy, PDG de EDF, lors d'une conférence téléphonique ce matin. Mais ça n'est pas du tout à l'ordre du jour, a-t-il martelé. Nous ne sommes pas à la recherche d'investisseurs."

Prix d'achat et calendriers confirmés

C'est la seule modification du projet demandée par le gouvernement britannique sur le plan économique ou juridique. Le prix de 92,50 £ le mégawattheure que la Grande-Bretagne s'engage à payer pendant 35 ans dans le cadre d'un « contract for performance » est donc confirmé. Il est pourtant largement contesté car nettement supérieur aux prix de gros actuels.

Jean-Bernard Lévy se félicite de ce feu vert qui va permettre au projet de suivre ce cours et affirme-t-il, de respecter le calendrier qui prévoit la pose du premier béton en 2019, pour une mise en service en 2025. Une durée de construction plus courte que celle prévue pour Flamanville et même pour le projet d'EPR chinois de Taishan, qui suppose donc que les causes des retards et surcoûts (avec un budget passé de 3,3  milliards en 2004 à 10,8 milliards aujourd'hui) observés sur ce chantier ait auparavant été résolues. Et que Flamanville se termine bien à la date aujourd'hui prévue (avec 6 ans de retard sur le calendrier initial), puisque les deux chantiers (et surtout les engagements financiers correspondants) sont précisément conçus pour s'enchaîner.

"La relance du nucléaire en France et en Europe"

Chez EDF comme au sein du gouvernement français, cette décision du gouvernement britannique sonne comme "la relance du nucléaire en Europe". Pour Jean-Bernard Lévy, elle donne le signal de la construction d'une nouvelle série de centrales nucléaires. A la fois en France, au-delà des 10 ans, peut-être même 20 ans de prolongation des centrales actuelles dont le principe a été récemment entériné. Mais aussi pour les pays européens voisins qui "n'ont pas tranché sur la façon dont ils allaient assurer de façon sûre, efficace, prévisible, décarbonée et compétitive, leur fourniture d'électricité."

Il est de bonne guerre, tant pour l'entreprise que ses fournisseurs (dont Areva) ou le gouvernement de se réjouir de cette nouvelle. Certes, environ 64% des sous-traitants seront des entreprises britanniques et le contrat devrait permettre la création de 4.500 emplois en France, à mettre en regard des 25.000 prévus en Angleterre, ce dont se réjouissent d'ailleurs les syndicats et le patronat anglais.

Un dossier qui reste épineux

Mais la suspension d'Hinkley Point au bon vouloir du nouveau gouvernement anglais, rendue publique le 28 juillet dernier, n'était que l'une des nombreuses péripéties dans un dossier qui en a connu bien d'autres. Rien de tout ce qui avait jusque là suscité l'opposition ou à tout le moins l'inquiétude sur le bien-fondé du projet, jusqu'au sommet de l'entreprise, n'a pour autant été résolu. Notamment, la capacité d'EDF de financer ce projet pharaonique (dont elle doit assumer 66% d'un investissement aujourd'hui estimé à 21 milliards d'euros), question qui avait entraîné la démission du directeur financier en mars dernier. Certes, une recapitalisation de 4 milliards d'euros, dont 3 souscrits par l'Etat a été annoncée fin avril pour soulager un endettement de 37,4 milliards d'euros, venant s'ajouter au programme de cession d'actifs de 10 milliards d'euros et au plan d'économies annuelles de 1 milliard d'ici à 2019. Mais cela n'a pas suffi à calmer les inquiétudes en interne.

Les agences de notation sceptiques

Les syndicats auraient préféré que la renégociation du contrat permette d'obtenir un tarif moins élevé et un calendrier plus étalé. Surtout, ayant jugé ne pas avoir disposé de l'information nécessaire pour rendre un avis, le Comité central d'entreprise (CCE) a déposé un recours en justice contre la décision de l'entreprise de s'en passer, dont l'audience doit se tenir le 22 septembre. Des administrateurs salariés ont par ailleurs contesté devant le tribunal de commerce les conditions du vote du conseil d'administration. Interrogé sur ces sujets ce matin, Jean-Bernard Lévy n'a pas souhaité faire de commentaire. Sur l'avertissement donné il y a quelques semaines par les agences de notation, il a reconnu ne pas disposer d'information complémentaire. Par la voix de son vice-président Paul Marty, Moody's a confirmé ses premières déclarations : "Le projet Hinkley Point est, du fait de son ampleur et de sa complexité, de nature à détériorer le profil de risque à la fois commercial et financier d'EDF, dans la mesure où le bilan du groupe devra assumer les conséquences financières d'une très longue phase de construction au cours de laquelle cet investissement ne générera pas de trésorerie."