Alors que pas moins de 37% des salariés d'EDF ont fait grève ce mercredi contre la demande de l'Etat-actionnaire de vendre davantage d'électricité à bas prix à ses concurrents, le gouvernement persiste et signe. Et pour cause, afin de contenir la facture d'électricité des ménages et des entreprises face à la flambée des prix de l'énergie, appeler l'opérateur historique à la rescousse était en fait la « seule solution possible, non partielle ou inefficace » pour protéger les consommateurs, répète-t-il à l'envi. Et ce, même si la décision devrait coûter environ 8 milliards d'euros sur 2022 à EDF, selon les calculs provisoires du groupe.
Car la crise énergétique à laquelle l'Europe est confrontée est « exceptionnelle », martèle-t-on à Bercy. C'est même « la plus grave depuis plusieurs décennies », ajoute-t-on. Un discours éloigné de celui tenu par l'exécutif à l'automne dernier, au moment où le ministère tablait sur une « augmentation conjoncturelle » des prix.
« Le choc gazier est comparable au choc pétrolier de 1973 », a même lancé Bruno Le Maire à des journalistes.
De quoi engager la « responsabilité » de l'Etat, appelé à « utiliser tous les leviers à sa disposition pour amortir ce choc [...] avec des mesures radicales et rapides », fait-on valoir dans son entourage. « Sans quoi nous aurions ouvert en France une crise sociale et économique ». Et de rappeler les montants exorbitants en jeu : « si le gouvernement n'avait pris aucune décision [...] la facture d'électricité aurait augmenté de 35%. Soit de 300 à 350 euros en moyenne pour le consommateur. Et les sommes auraient été beaucoup plus importantes pour les milliers d'entreprises » gourmandes en énergie, a ainsi justifié le cabinet du ministre.
"Défense de l'intérêt général"
C'est dans ce cadre, et en insistant sur « l'effort collectif dans la défense de l'intérêt général », que l'exécutif a donc décidé d'augmenter « à titre exceptionnel » de 20 TWh le volume d'électricité qu'EDF devra vendre à prix cassé à ses concurrents en 2022, dans le cadre du dispositif ARENH (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Ce qui « sera intégralement et automatiquement répercuté sur la facture des consommateurs, ménages comme entreprises », a-t-on assuré à Bercy, rappelant que l'Etat a lui aussi mis la main à la poche, en dépensant 15,5 milliards d'euros en tout en 2022 pour protéger les consommateurs contre l'explosion des prix de l'énergie.
« Cela correspond à l'idée que nous nous faisons d'EDF : c'est un grand service public détenu à plus de 80% par la puissance publique. Jamais les Français, les entreprises et les ménages n'auraient compris qu'un grand service public de l'électricité ne prenne pas sa part, dans ces circonstances exceptionnelles, pour atténuer le choc », soutient-on à Bercy.
Plus tôt dans la journée, le patron des députés LREM, Christophe Castaner, avait lui exprimé sur France 2 sa surprise face au mouvement de grève : « Je ne le comprends pas parce que quand vous avez la fierté d'être dans une entreprise publique comme EDF, vous assumez aussi de contribuer à la solidarité nationale ». De quoi attiser la colère de la FNME-CGT (le syndicat majoritaire), qui a dénoncé dans la foulée des « propos déplacés ».
« Nous répondons que la fierté, ça ne paie pas, et que ses propos, bien médiocres, n'ont que le seul but d'opposer les salariés, qui défendent réellement le service public de l'énergie, aux citoyens. [...] Et lui, quand portera-t-il enfin la défense de l'intérêt général en allant au bout de ses propos et en portant la sortie du marché [européen, ndlr] de l'énergie, aussi néfaste pour les usagers que pour les travailleurs ? », réagit Fabrice Coudour, son secrétaire fédéral.
En effet, ce marché s'est construit sur le principe de la vente au coût marginal, c'est-à-dire que les prix dépendent du coût nécessaire à la mise en route de la toute dernière centrale appelée en renfort pour répondre aux pics de demande sur le réseau électrique. Ce qui explique l'explosion de la facture en France lorsque les prix du gaz augmentent, alors même que la production d'électricité de l'Hexagone ne dépend pas des énergies fossiles, mais principalement du nucléaire et de l'hydraulique.
Réforme du marché européen de l'énergie
A cet égard, le cabinet de Bruno Le Maire affirme pousser pour une réforme sur le long terme de ce marché européen de l'énergie, en plus des mesures d'urgence. « Son fonctionnement n'a pas de sens, aussi bien d'un point de vue économique qu'environnemental, en nous amenant à payer le prix de l'électricité décarbonée au prix du gaz [...] Vous ne réussirez jamais la transition énergétique comme ça », explique-t-on. Concrètement, Bercy plaide plutôt pour que le consommateur « paie son électricité à un coût de production qui reflète le mix national ».
« Cela ne veut pas dire qu'on veut complètement casser le marché européen de l'électricité, mais qu'on souhaite qu'il y ait une meilleure régulation de ce marché, notamment de détail », explique un conseiller.
Et de rappeler que le sujet a « été discuté » récemment dans des conseils européens de l'énergie et au niveau des conseils de chef d'Etat. Réunis la semaine dernière à Amiens, les ministres de l'Énergie de l'UE ont ainsi échangé sur les façons de contrer la flambée, avec d'éventuels ajustements à venir de ce système, alors que la France a pris la présidence du Conseil européen. Mais, précise-t-on à Bercy, quelles que soient les volontés de l'Hexagone, contrairement au relèvement du plafond de l'ARENH, ces règles « ne peuvent pas être changées en quelques mois ».
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