Oscar Farinetti, roi enthousiaste du "made in Italy"

Le fondateur d’Eataly confirme le succès de son enseigne haut de gamme avec l’ouverture d’un premier magasin parisien.
Giulietta Gamberini
Oscar Farinetti tout sourire.
Oscar Farinetti tout sourire. (Crédits : Reuters)

Aux yeux des Italiens,il représente l'une des rares success-stories entrepreneuriales de la dernière décennie, réalisée de surcroît en misant sur l'orgueil national en pleine période de crise. Né en 1954 à Alba, la ville piémontaise de Ferrero, Oscar Farinetti -dont le prénom à l'état civil est en réalité Natale - est l'architecte d'Eataly, premier retailer ne proposant que des aliments « made in Italy » haut de gamme. Depuis son lancement en 2007 à Turin, la marque a multiplié à travers le monde ses concept-stores, où à la possibilité de remplir son panier de pâtes, jambon, huile d'olive, vin et autres spécialitésitaliennes « bonnes, propres et justes » est associée celle de les déguster dans des restaurants sur place, ainsi qu'une offre didactique autour de le la gastronomie et de l'alimentation.

Eataly en compte désormais plus d'une douzaine dans la Botte, six aux États-Unis (dont deux à New York), quatre dans les pays du Golfe, deux à Tokyo,d'autres à Munich, Stockholm, Moscou, Istanbul, São Paulo,Séoul, pour un chiffre d'affaires qui a atteint, en 2018, quelque 600 millions d'euros. Le 12 avril, le premier magasin français ouvrira à Paris, sur 4.000 mètres carrés dans le Marais, en partenariat avec les Galeries Lafayette.

Homme de gauche

« Fils de », Oscar Farinetti a su mettre à profit un riche héritage dont la complexité incarne l'histoire et la culture de l'Italie du Nord du XXe siècle. Issu d'un milieu très modeste, son père, Paolo Farinetti, était un diri geant d'entreprise visionnaire,fondateur en 1967 d'une chaîne de supermarchés dont le nom, Unieuro, pariait sur la réussite du marché unique européen naissant. Ancien résistant, il était aussi membre du Parti socialiste italien, engagé dans la vie politique locale. Fortuné qui se déclare « de gauche »,Oscar Farinetti est ainsi convaincu qu'« un vrai entrepreneur n'est jamais mû que par le business, mais sait lier les affaires à ses "objectifs poétiques" ». Après avoir progressivement transformé Unieuro en un groupe pionnier de l'électronique et de l'électroménager, il décide d'investir les profi ts réalisés par la vente de la chaîne en 2002 au britannique Dixons Retail (528 millions d'euros) dans un projet alliant son ancienne passion pour la nourriture à un nouvel engagement pour l'Italie. « La nourriture est le produit suprême, et l'alimentaire le secteur des secteurs, puisqu'il privilégie ce que nous mettons dans notre corps. »

Et l'Italie, malgré sa « biodiversité agroalimentaire, gastronomique, géographique et culturelle » - à laquelle a largement contribué le mouvement Slow Food, fondé en 1986 par Carlo Petrini, autre Piémontais et « maître » pour Farinetti - n'avait avant lui aucun retailer capable de « raconter » à l'international cette « merveille », a-t-il expliqué à la presse italienne et étrangère. Depuis, les magasins de Farinetti, dont le succès s'appuie sur la simplicité autant que sur la variété de la cuisine italienne, et qui reproduisent lecharme des traditionnels marchés de quartier de la péninsule, sont devenus un tremplin pour des gammes entières de produits artisanaux de niche qui, sans ce soutien, n'auraient ,jamais su s'exporter. Ils ont permis la création de plus de 8.000 emplois. Pour celui qui a ouvertement soutenu l'ascension, puis le gouvernement du représentant du Parti démocrate Matteo Renzi, mais qui affirme aujourd'hui « soutenir le nouveau gouvernement » de coalition entre le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue du Nord car ,il a le mérite d'« être là », les résultats de son entreprise au bénéfice de l'Italie sont une autre manière plus pragmaique de faire de la politique.

Optimiste invétéré

Dans un moment où la méfiance vis-à-vis du progrès et le repli sur soi tentent les Italiens, Oscar Farinetti a choisi de faire de l'optimisme - déjà le slogan
de l'une de ses meilleures publicités pour Unieuro, « Bienvenue dans l'ère de l'optimisme » - une devise qu'il déploie à chacune de ses nombreuses apparitions publiques. L'Italie peut s'en sortir en visant deux objectifs : doubler la valeur des exportations des meilleurs produits « made in Italy » ainsi que le nombre des touristes étrangers, aime-t-il répéter. « La vie est un film avec une fin heureuse... avec plein de défaites au milieu », a-t-il également - plus philosophiquement - affirmé.

Mais pour y arriver, gare aux critiques, à l'attentisme, à la méfiance. Il s'agit surtout d'« abandonner les plaintes face aux carences du présent et devenir les premiers protagonistes du changement », plaide-t-il dans un de ses livres, "Rappellons-nous le présent" [non traduit, ndlr]. Face à un marché du travail « en grande difficulté », à l'origine en Italie d'un grave phénomène de « fuite des cerveaux », « le moment est venu d'inventer de nouveaux métiers : le futur des jeunes est dans l'entreprise », estime d'ailleurs le tenace Piémontais. Un optimisme parfois moqué, notamment à l'aune d'une gestion des ressources humaines et des relations avec les fournisseurs souvent critiquées, mais qui détone dans une Italie où le sentiment de décadence domine.

Nouvelle aventure

D'autant plus que sa philosophie du changement, Oscar Farinetti se l'applique à lui-même sans arrêt. Loin du modèle de la chaîne uniforme de supermarchés, chaque Eataly s'adapte aux spécificités du pays où il s'implante, et offre des produits locaux haut de gamme. Dans certains, celui de Rome notamment, l'entreprise teste même des partenariats avec des enseignes non alimentaires comme Ikea. À Bologne, Eataly est devenu Fico Eataly World : un « parc d'attractions agroalimentaire » abritant jardins, animaux et laboratoires, afin de permettre aux visiteurs d'explorer les parcours du « made in Italy » gastronomique, allant du champ à l'assiette.

Auteur d'un recueil de « quasi-poésie », propriétaire ou associé de nombreux domaines viticoles à travers toute l'Italie, le bouillonnant Oscar Farinetti, qui a cédé ses participations dans Eataly à ses trois enfants et, depuis 2015, la direction générale à Andrea Guerra, ancien PDG de Luxottica, est d'ailleurs déjà passé à « la troisième grande aventure » de sa vie. « Tous les dix-douze ans, j'en ai marre de ce que je suis en train de faire. Se remettre en jeu, c'est beau », juge-t-il. Dès 2020, il compte lancer à Turin Green Pea : encore un concept-store dont le destin est d'être exporté à travers le monde, mais qui se consacrera à la vente de véhicules, de vêtements et de meubles. Tous « made in Italy », ils auront en commun des matériaux et des processus de fabrication écologiques. Car « il ne nous reste que vingt ans pour sauver la vie de la planète », et aussi parce que le respect de la Terre est « la nouvelle frontière du luxe » et la « propreté » des produits « la crête décisive de l'avenir », prophétise le visionnaire Farinetti.

Giulietta Gamberini

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