Ouverture dominicale : pourquoi Leroy Merlin et Castorama échappent à la condamnation

Par Marina Torre  |   |  683  mots
Castorama et Leroy Merlin ont "commis une faute" selon le Tribunal de commerce de Bobygny, mais ils échappent à la condamnation.
Pour avoir ouvert plus de cinq dimanches par an sans autorisation, Castorama et Leroy Merlin sont reconnues coupables de faute par le Tribunal de commerce de Bobigny. Mais les enseignes ne sont pas pour autant condamnées, contrairement à ce que souhaitait Bricorama. Explications.

Certes, ouvrir le dimanche sans autorisation, est une "faute". Mais la distorsion de concurrence que reproche Bricorama à Castorama et Leroy Merlin ne serait pas prouvée pour autant. Tel est le jugement rendu ce mardi par le tribunal de commerce de Bobigny qui déboute Bricorama de sa demande au titre de concurrence déloyale.

Une faute…

Plus précisément, le tribunal constate dans son jugement - dont la Tribune s'est procuré une copie - que les deux enseignes de bricolage qui avaient été mises en cause par leur rival :

"ont commis une faute en ouvrant leurs magasins plus de cinq dimanche par an et en ne produisant pas les autorisations administratives nécessaires."

Bricorama affirme avoir perdu 25 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012 et s'estime victime d'une "inégalité de traitement" vis-à-vis de Castorama et de Leroy Merlin. Un préjudice qui lui, n'est pas prouvé, estime la Cour.

... mais pas un préjudice

Le groupe avait tenté de démontrer qu'ayant été condamné à fermer ses portes le dimanche cette année-là, sa clientèle s'était reportée chez ses concurrents, qui eux, continuaient d'ouvrir. Mais l'expertise "non-contradictoire" visant à démontrer ce préjudice occultait les autres difficultés économiques rencontrées par les magasins en question dont certains souffraient par ailleurs d "une baisse générale du secteur d'activité.

En décembre 2012, après une plainte déposée par des représentants syndicaux (FO et CGT), l'enseigne a été condamnée par la Cour d'appel de Versailles à fermer ses portes le dimanche. Cette année-là, le chiffre d'affaires a certes reculé, mais pas ses bénéfices, comme l'indique le rapport d'expert produit par le groupe. Les magistrats en concluent que le résultat du groupe étudié dans cette affaire "n'a pas été affecté par la fermeture de la plupart des magasins Bricorama le dimanche dans sa globalité."

"L'expertise n'était pas suffisamment concentrée sur les zones de chalandise concernées par la fermeture", commente à cet égard Me Jean-Michel Lepretre, avocat associé au sein du cabinet Orrick. Ce dernier reconnaît qu'il s'agit d'une "matière où le préjudice est très difficile à démontrer" dans la mesure où il faudrait être capable de démontrer que tous les clients d'un magasin se reporteraient forcément sur un autre si le premier est fermé.

"Nul n'est censé invoquer sa propre turpitude"

Ce dernier pointe en outre un manque de crédibilité du plaignant qui reproche à ses clients de faire ce que lui-même ne peut plus faire. "Nul n'est censé invoquer sa propre turpitude", rappelle ce spécialiste en litige des sociétés qui ajoute : "cela reviendrait à contester une amende pour excès de vitesse au motif que votre voisin roulait plus vite."

Sur le fond, le Tribunal de grande instance de Bobigny se déclare incompétent pour décider de la légalité ou non des dérogations qui ont pu être accordées en d'autres occasions à Leroy Merlin et Castorama, lesquelles ont d'ailleurs passé outre des condamnations à la fermeture.

Combat judiciaire

"Le tribunal n'a pas été au bout du constat", a de son côté réagi Jean-Claude Bourrelier, le patron de Bricorama, cité par l'AFP. L'un de ses avocats, Me Frédéric Naquet, a quant à lui, qualifié cette décision de "jugement en demi-teinte" et regretté l'absence d'une "expertise judiciaire, qui aurait pu permettre" d'évaluer l'existence du préjudice.

Décret en suspens

Dans cette situation toujours floue et face aux bravades des enseignes qui ont continué d'ouvrir le dimanche malgré les interdictions, le gouvernement a nommé en septembre 2013 l'ancien patron de la Poste, Jean-Paul Bailly, à la tête d'une commission d'étude sur le travail dominical et nocturne.

Un premier décret a été publié le 31 décembre, autorisant les magasins de bricolage à ouvrir le dimanche jusqu'au 1er juillet 2015. Mais le Conseil d'Etat, saisi en référé par les syndicats, a suspendu son application, obligeant le gouvernement à présenter un nouveau texte.

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