Chez Amazon, la donnée abonde mais les robots sont encore rares

ENQUÊTE. Vilipendé pour les conditions de travail imposées à ses salariés, le géant de la vente en ligne nous a ouvert les portes de son site de Lauwin-Planque, dans les Hauts-de-France, l’une de ses cinq plus grosses usines à colis en Europe.
François Manens
Les employés emballent à la main... avec un logiciel pour mesure la longueur du scotch.
Les employés emballent à la main... avec un logiciel pour mesure la longueur du scotch. (Crédits : Reuters)

"Work hard, have fun, make history ["Travaillez dur, amusez-vous et faites l'histoire", ndlr] », est-il écrit en lettres majuscules au-dessus des six portes de sécurité qui mènent à l'usine. Même dans son entrepôt de Lauwin-Planque, en banlieue de Douai (59), Amazon garde son accent américain. À peine passées les portes, deux éléments accaparent l'attention. D'abord, l'omniprésence du jaune foncé d'Amazon, peint sur les structures métalliques et les chariots. Ensuite, le vrombissement de la chaîne, installée en hauteur, où circulent les colis. Quelques postes de radio tentent de s'imposer par-dessus le bruit, alors qu'aucun employé ne porte de boules Quies ou de casque. Sur le tableau consacré aux remarques affiché dans l'entrée, un travailleur anonyme se plaint du choix de RTL 2 comme station pour le plateau.

Notre guide pour la journée, Jean-Stéphane Phinera-Horth, salue les employés que nous croisons d'un fist bump typique chez l'oncle Sam. Grand, souriant, le responsable du site porte une chemisette sous son gilet de sécurité, un jean large et un badge très usé, sur lequel sa photo est en partie effacée. Cet ingénieur a fait ses débuts chez Amazon à l'entrepôt d'Orléans en 2011. Passé par le site de Wroclaw en Pologne, il dirige depuis 2016 les 90.000 mètres carrés de l'entrepôt LIL1 que nous visitons. Les salariés connaissent bien son visage puisqu'il circule sur le site chaque matin et organise une rencontre avec eux par trimestre. « Dans le Nord, plus que dans les autres entrepôts où j'ai été, le bonjour est important », glisse-t-il.

La visite commence par les 26 quais d'arrivage où affluent les produits. Jean-Stéphane en profite pour détailler la puissance de frappe de l'entrepôt. Le site fonctionne sept jours sur sept avec un cycle en deux-huit, renforcé en trois-huit à l'approche du Black Friday et de noël. 2.500 salariés en CDI s'y activent quotidiennement, et l'effectif est doublé avec des intérimaires et des CDD en période de pointe. Une fois débarqués, les produits avancent sur la chaîne jusqu'aux postes où des agents les identifient et les étiquettent avec des QR codes, en suivant les instructions affichées sur leur écran. Placés sur des chariots, les articles continuent ensuite leur parcours.

Produits et salariés traqués

On nous dirige vers le dernier des trois étages, où se trouvent une partie des étranges rayonnages de l'entreprise. Les objets sont stockés de façon quasi aléatoire dans des petits casiers appelés bins, comme aux États-Unis. Ici, le rangement consiste à faire rentrer le plus de produits dans le moins d'espace possible. Dans un casier, une figurine de dragon côtoie un jeu de société, deux livres, un paquet de feutres et un portant pour papier toilette. Les objets les plus petits sont disposés dans des bacs. Les plus imposants sont dirigés vers un entrepôt spécifique à Boves, près d'Amiens. « On sait à peu près quel espace reste disponible dans chaque cellule », explique notre guide.

Lorsqu'un employé dépose ou récupère un des 15 millions d'objets qui circulent sur le site, il scanne son code-barres et celui de la bin. Numéros de l'allée, de l'étagère, du casier et du produit : toutes les données sont enregistrées. Pour circuler de manière efficace, les opérateurs - surnommés pickers (« cueilleur »)- se fient au parcours optimal calculé par un logiciel et affiché sur leur boîtier.

Ce formidable outil de suivi des produits a, comme toute technologie, un côté pervers, puisqu'il permet également de suivre... les déplacements de chaque employé. Aux États-Unis, des documents rendus publics par le site The Verge attestent du suivi extrême des salariés par l'entreprise. Entre août 2017 et septembre 2018, Amazon a, de son propre aveu, licencié environ 300 employés qui ne respectaient pas les minimums de productivité. Soit plus de dix pour cent des effectifs sur les sites incriminés. « Le système d'Amazon suit le taux de productivité de chaque individu et génère automatiquement des avertis sements et ruptures de contrats liés à la qualité ou à la productivité, sans intervention des managers », peut-on lire dans une lettre publique de l'ogre de l'e-commerce.

À Lauwin-Planque, le système est plus humain, selon Jean-Stéphane Phinera-Horth.

« On évalue les objectifs de production sur une moyenne de dix semaines. Mais ils sont fixés à partir d'une production inférieure à la moyenne », explique le responsable du site.

En cas de sous-performance, le salarié est convoqué à un entretien avec ses supérieurs afin d'en discuter. Ces avertissements sont très rares. Jamais Jean-Stéphane n'a eu à licencier un employé pour manque de productivité. D'ailleurs, le turnover sur le site ne s'élève qu'à cinq pour cent par an. Mais, dans d'autres situations, le groupe se montre moins clément. En janvier, il a licencié pour faute grave deux salariés de LIL1 qui avaient appelé au blocage du site sur leur profils Facebook, ouverts au public. Interrogé par le quotidien régional La Voix du Nord, Amazon avait souligné « un manquement grave à leur obligation de loyauté et une envie manifeste de dénigrer et de porter préjudice à l'entreprise ».

Où sont les robots ?

Alors qu'à New York, les entrepôts d'Amazon grouillent de robots autonomes capables de déplacer les étagères de produits à toute allure, le site de Lauwin-Planque, pourtant le plus mécanisé de France, reste très peu robotisé. L'emballage est ainsi réalisé à la main, avec l'aide d'un logiciel pour choisir le bon carton et évaluer la bonne longueur de scotch. Les agents doivent déplacer eux-mêmes les chariots et déposer les colis sur le tapis roulant. Une seule machine nous est présentée lors de notre visite, juste avant la zone de départ.

En à peine trois secondes, ce robot, baptisé SLAM, vérifie le poids du colis puis y appose une étiquette avec l'adresse de livraison, à l'aide de deux longs bras fonctionnant en alternance. Impressionnant d'efficacité, SLAM n'en reste pas moins unique ici, alors que seulement 26 des 175 sites d'Amazon disposent de la nouvelle organisation robotisée. Jusqu'ici absentes des cinq sites français, les machines autonomes débarqueront cet à Brétigny-sur-Orge (Essonne). Ces nouveaux locaux de 142.000 mètres carrés accueilleront des robots H : Drive pour assister les 500 futurs employés. Mais, en attendant la généralisation des robots, Amazon a besoin de main-d'œuvre. Cinq cents CDI supplémentaires ont rejoint Lauwin-Planque l'an dernier, et d'autres recrutements sont prévus pour 2019.

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EN CHIFFRES

Le site de Lauwin-Planque

90.000 mètres carrés au sol
2.500 CDI et 15 millions de produits
500.000 colis expédiés par jour

François Manens

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Commentaires 2
à écrit le 27/05/2019 à 21:04
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Normal, ,les bavards se gargarisent d'IA, alors que dans la réalité ce sont encore des algorithmes (certes complexes), qui sont à l'intelligence artificielle ce que les huitres sont au prix Nobel de physique. L'IA , la vraie, celle capable de traite...

à écrit le 27/05/2019 à 9:01
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Pourtant sur la photo on en voit trois de robots ! Deux en orange et un en jaune...

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