"Gilets jaunes" : "Les pertes sont estimées à 1 milliard d'euros pour le commerce"

Par Grégoire Normand  |   |  1341  mots
Jacques Creyssel est délégué général de la fédération du commerce et de la distribution. (Crédits : DR)
ENTRETIEN - À quelques heures d'un week-end qui s'annonce explosif, le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, Jacques Creyssel, redoute une possible amplification des violences à l'égard des commerçants, l'un des secteurs les plus touchés depuis le début de la mobilisation des "Gilets jaunes".

À la veille d'un week-end qui fait craindre une explosion de violence, les commerçants se préparent au pire. Dans un récent communiqué, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) a récemment demandé "aux pouvoirs publics de tout faire pour que la liberté de circulation et l'accès à tous nos magasins, et à tous nos entrepôts soient totalement respectés."

De son côté la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, en a appelé vendredi aux entreprises, soulignant que "tout le monde doit faire sa part" face à "l'urgence sociale absolue" dont témoigne la crise des "Gilets jaunes". "Que les grandes entreprises montrent l'exemple - et il y en a beaucoup qui sont prêtes à le faire, qui le disent. Et il y a des branches qui ont fait l'accompagnement des salaires ces dernières années, d'autres moins. Je sais qu'elles sont prêtes à le faire, il faut le faire", a-t-elle martelé.

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 LA TRIBUNE - Quelles sont les principales conséquences pour le secteur du commerce et de la distribution ?

JACQUES CREYSSEL - Les trois semaines que nous venons de vivre ont des conséquences économiques extrêmement importantes pour le commerce. Cela s'est traduit le premier week-end par une baisse de 35% du chiffre d'affaires, et notamment 50% en régions. Pour le second week-end, la perte d'activité a été estimée à 20%. Enfin, lors de la troisième mobilisation, le recul serait de l'ordre de 20% à 25%. Nous sommes très inquiets pour les deux prochains jours qui s'annoncent encore plus difficiles. Cette diminution concerne tous les secteurs et essentiellement les régions, même si on se focalise parfois sur Paris.

Cette baisse de chiffre d'affaires est également sensible en semaine. Il y a énormément de blocages entre le lundi et vendredi, même si chaque week-end, il y a des centaines de magasins qui sont fermés ou bloqués par des barrages filtrants. De plus en plus d'entrepôts sont également bloqués. Ce qui pose un problème au niveau des marchandises avec des répercussions sur la toute la chaîne. L'industrie agroalimentaire est en grande difficulté, en particulier sur les produits frais. Il y a également des conséquences sur les rayons des magasins qui commencent à être vides. L'autre répercussion est le risque que le consommateur ne vienne plus parce qu'il peut avoir peur de circuler. Ils ne savent pas si le magasin va être ouvert. Le cumul de tous ces facteurs se traduit par une baisse constante du chiffre d'affaires. Ce qui est totalement catastrophique pour le commerce.

Avez-vous une estimation de la perte du chiffre d'affaires pour le secteur du commerce et de la distribution ?

On estime déjà qu'il y a plus d'un milliard d'euros de pertes de chiffre d'affaires. Le secteur du jouet accuse déjà 120 millions d'euros de pertes. Les hypermarchés et supermarchés ont des pertes de l'ordre de 500 millions d'euros. Au niveau local, les conséquences négatives peuvent se concentrer sur les petites villes et les villes moyennes. Les magasins les plus fragilisés sont souvent situés dans ces zones. Une grande partie des conséquences économiques se situent en régions et non pas à Paris.

Au niveau de l'emploi, quelles sont les principales répercussions ?

Beaucoup de magasins ont dû mettre des employés au chômage partiel. Une très grande partie des renforts pour Noël ont été arrêtés. Plusieurs milliers de jeunes n'auront pas le job qu'ils auraient pu avoir traditionnellement en cette période. C'est aussi la période de l'année où le chiffre d'affaires est le plus important avec le "Black Friday" et tous les achats de Noël. Au mois de décembre, les commerçants peuvent réaliser un chiffre d'affaires trois fois supérieur à la normale. Les conséquences peuvent être totalement dramatiques pour de nombreux commerçants. La consommation depuis le début de l'année est assez mauvaise, par ailleurs.

Existe-il un système de soutien spécifique au sein de votre réseau ?

À la suite de notre demande, le gouvernement a mis en place un système de soutien. Les chefs d'entreprise peuvent désormais faire des demandes de report d'échéance bancaire, la possibilité pour les magasins d'ouvrir le dimanche alors qu'ils n'avaient pas le droit de le faire, des assouplissements, un allongement des délais pour payer des impôts. Notre principale demande est le libre accès pour nos clients comme pour nos salariés à la fois aux magasins et aux entrepôts. Dans la journée d'hier, une dizaine d'entrepôts parmi les plus importants de France étaient bloqués. Toute la journée, des entrepôts et des magasins ont été bloqués pendant huit ou dix jours.

 Est-ce qu'il y a des reports possibles de la part des clients ?

Sur les produits alimentaires, le report est très faible. Il va y avoir des pertes très importantes sur les produits frais. Ils ont besoin d'être vendus rapidement. Sur le non-alimentaire, il peut y avoir des effets de report mais quand les magasins sont bloqués pendant quatre semaines consécutives. Le report est de plus en plus difficile vers les magasins physiques. Le report se fait déjà sur Amazon. Le secteur du jouet, par exemple, qui connaît des difficultés. Les magasins ont perdu jusqu'à 50% de ventes les samedis. Le risque est que les parents aillent acheter leurs jouets sur Amazon.

Êtes-vous en relation avec les pouvoirs publics ?

Je suis en liaison permanente depuis trois semaines avec la cellule de crise du ministère de l'Intérieur pour lui faire part de toutes nos difficultés. Nous avons demandé que les accès soient rétablis. Et nous sommes également en relation avec Bercy. Cette semaine, nous avons rencontré Bruno Le Maire à deux reprises. Pour la question du chômage partiel, nous travaillons avec le ministère du Travail.

Est-ce que vos demandes ont été satisfaites ?

Les demandes qui consistent à obtenir des jours supplémentaires d'ouverture, des facilités bancaires ont été globalement satisfaites. C'est moins le cas du côté des assurances malgré les efforts du ministre. Quand un magasin ne peut pas ouvrir à cause de personnes situées devant le magasin, les pertes peuvent être couvertes par l'assurance "perte d'exploitation". Quand c'est un barrage qui interdit l'entrée à 50 mètres, là ce n'est pas couvert.

Par ailleurs, la faible disponibilité des forces de l'ordre le week-end qui sont sur les manifestations notamment à Paris, ne permet pas d'assurer la sécurité pour tous les accès. C'est la principale difficulté alors que c'était un engagement clair du gouvernement. Nous demandons des moyens supplémentaires de manière régulière pour sécuriser l'accès aux magasins mais les forces de l'ordre n'ont pas de moyens suffisants pour assurer la sécurité de plusieurs milliers de points de vente.

Au niveau du secteur commercial, quelles pourraient être les conséquences à plus long terme ?

Tous ces événements légitiment encore plus une de nos demandes qui consiste à assurer l'égalité de concurrence entre le commerce physique et le commerce en ligne. La crise actuelle avantage de manière extrêmement forte ces grandes plateformes. Notre demande ne se limite pas forcément à la taxe Gafa en cours de discussion au niveau européen. Nous pensons qu'il faut revoir entièrement la fiscalité. Les impôts locaux comme la taxe foncière ou la taxe sur les surfaces commerciales ne sont pas supportées par ces plateformes, hormis de manière marginale sur les entrepôts. Cette crise qui avantage Amazon montre bien à quel point il faut changer la donne. Les grandes plateformes situées à l'étranger notamment sont les grands gagnants de cette crise.

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