Festival de Ramatuelle : « le théâtre nous met face à nous-mêmes »

FESTIVAL. Celle qui préside depuis trente-cinq ans à la destinée du festival de théâtre de Ramatuelle a décidé de le maintenir cet été, malgré la crise. Rencontre avec une entrepreneure qui a toujours su conjuguer culture et économie.
Jacqueline Franjou a fait carrière dans le secteur privé, et a dirigé sept ans durant le Women’s forum. [C.BRUNEAU]
Jacqueline Franjou a fait carrière dans le secteur privé, et a dirigé sept ans durant le Women’s forum. [C.BRUNEAU] (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - En pleine crise sanitaire, avez-vous un temps envisagé d'annuler le festival ?

JACQUELINE FRANJOU - Évidemment, l'arrivée de la pandémie a été un choc. Mais il ne m'est jamais venu à l'idée de baisser les bras. Je suis restée en relation presque quotidienne avec le ministère de la Culture, qui m'a toujours encouragée. J'ai fait mienne la phrase d'Alexandre Dumas qui clôt Le Comte de Monte-Cristo : « Attendre et espérer ».

Quelle était votre ambition en le créant en 1985 ?

Apporter la culture au village. J'ai transformé ce projet en réalité. J'ai fait construire le théâtre en vingt-sept jours et vingt-sept nuits. Une fois que le festival a été créé avec la complicité de la municipalité, dont je faisais partie, nous n'avons cessé de le réinventer avec Jean-Claude Brialy, qui en était le directeur artistique. Nous avons mis en place la première billetterie informatisée dans le Var, les premiers tirés à part dans le domaine culturel, et, tout travail méritant salaire, refusé le bénévolat. Le festival a changé l'état d'esprit du village en lui apportant un supplément d'âme. Il est devenu un écosystème, nécessitant de nombreux et fidèles partenaires financiers.

Le festival a-t-il un impact sur le territoire ?

La presqu'île de Saint-Tropez était perçue comme un lieu de villégiature festif d'abord bohème puis « bling bling ». Ramatuelle était vu comme un village de paysans viticulteurs attachés à leur terre et à leur plage de Pampelone. Depuis, des gens connus s'y sont installés, telle Juliette Gréco. Si le festival a la réputation de rassembler « tout le CAC40 », toutes les couches sociales, jusqu'aux plus modestes, s'y côtoient grâce au théâtre. C'est ça, le miracle de Ramatuelle : le mélange des gens et des genres.

En cette période de crise, la culture peut-elle participer à la relance de l'économie ?

Bien sûr, Ramatuelle en est le symbole. Au-delà de l'apport en communication, le festival participe aussi à la relance du secteur hôtelier et des commerces. L'hôtel Le Baou, par exemple, est occupé principalement par nos artistes, nos mécènes et notre public. Les soirs de représentation, les restaurants refusent du monde. Nous faisons des courses sur place, nous nous fournissons chez les commerçants. Nous embauchons les gens localement.

Quel est pour vous le rôle de la culture dans la société ?

La culture façonne notre personnalité. Lire, écouter de la musique, regarder les médias dont la mission citoyenne est de communiquer des informations justes, d'expliquer dans tous les domaines, de parler du patrimoine et de proposer des programmes drôles. L'humour est quelque chose d'indispensable. La culture, c'est aussi la diversité, de nos paysages, de notre patrimoine, de notre histoire. On a aussi besoin d'une culture historique pour cultiver la paix.

En quoi la culture favorise-t-elle la paix ?

Quand vous avez une formation culturelle, vous avez à votre disposition plusieurs systèmes de logique qui vous permettent de construire un certain nombre de messages. La culture, c'est le mot juste, c'est le dialogue, c'est une ouverture d'esprit. Catherine Lalumière, ancienne vice-présidente du Parlement européen, plusieurs fois ministre sous Giscard et actuelle présidente de la Maison pour l'Europe à Paris, m'a écrit une longue lettre dont je vous lis un extrait :

« Plus que jamais les pays en Europe choisissent des formes de pouvoir autoritaires, critiquant les valeurs humanistes, l'état de droit, l'indépendance de la justice, les droits de l'homme. On voit revenir racistes, antisémites, anti-islamiques. (...) Ce retour en arrière est inquiétant. On voudrait que Ramatuelle soit ce signe de bonheur et de paix pour toujours. »

Il faut transmettre cette force de paix par le théâtre. Cette année nous accueillons la troupe de Et pendant ce temps Simone... veille, un spectacle drôle sur la place des femmes dans notre société ; Abd al Malik, artiste engagé pour un monde plus fraternel avec Le Jeune Noir à l'épée, donné au Théâtre de la Ville et au musée d'Orsay. Michel Boujenah et Charles Berling viendront jouer Inconnu à cette adresse, un des textes les plus poignants sur la montée du nazisme. Oui, le théâtre nous met face à nous-mêmes.

Vous qui, en tant qu'ex-CEO du Women's Forum de 2010 à 2017 savez comment soutenir une cause, comment faire en sorte que le secteur de la culture, qui apporte tant à notre société, soit mieux soutenu par l'État ?

La culture n'est pas à ce jour la priorité absolue. Il faut sauver le travail et la santé avant tout. Mais le tourisme, qui est une pratique culturelle, constitue un enjeu économique et donc social essentiel pour notre pays. Il faut accepter que l'État ne puisse pas tout et que les moyens financiers ne suffisent pas. Le ministère de la Culture fait face à de nombreux enjeux et devrait être plus soutenu par une profession très diversifiée qui tend toujours la sébile et dont les porte-parole sont peu audibles et adoptent souvent un mode revendicatif, plutôt que constructif.

Dans une période divisée, la culture ne pourrait-elle pas justement rassembler ?

Le théâtre et la culture permettent effectivement d'apprendre à dialoguer. Je me suis aussi aperçu que lorsque vous faites chanter les gens, ils apprennent à respirer, ils se décoincent. Pourquoi pas du théâtre dans les entreprises ? Il y a bien des chorales. C'est la meilleure chose qui soit. Quand on fait un boeuf, c'est un miracle. Je me souviens de Christophe qui a débarqué un soir au restaurant du festival et qui s'est mis au piano.

Tout le monde a chanté ensemble, que ce soit le président d'entreprise, l'ouvreuse, le serveur. Encore faut-il que les gens aillent moins sur les réseaux sociaux, qu'ils apprennent à s'exprimer, à échanger, et comprennent que les dialogues reposent sur la compréhension des uns et des autres et non sur la violence. Je rêve de paix et de voir les gens s'aimer et dialoguer librement. Je terminerai par ces mots : Remettez vous au travail, chers amis !

____

INFORMATIONS PRATIQUES

Festival de Ramatuelle et les nuits classiques du 28 juillet au 10 août 2020 www.festivalderamatuelle.com (La Tribune est partenaire du festival de Ramatuelle.)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.