Ecomouv est-il le champion d'Europe de la collecte "d'écotaxe" la plus chère ?

Par Marina Torre  |   |  1338  mots
La Bretagne, haut lieu de la contestation anti-taxe poids lourd en France.
Le contrat officiellement signé en 2012 avec la société de gestion de la taxe “poids lourds“ en France fait polémique. Ses frais sont-ils trop élevés? Il se révèle bien plus onéreux que son équivalent allemand, mais beaucoup moins que le slovaque.

 La polémique "Ecotaxe" n'en finit pas d'enflammer les routes de France et les rangs de l'Assemblée. Au cœur de la controverse : le contrat signé par le précédent gouvernement avec Ecomouv, co-entreprise partagée entre Autostrade per l'Italia (70%), Thales, la SNCF, SFR et Steria. C'est elle qui est chargée de  gérer le système électronique de collecte de la taxe sensée s'appliquer dès le 1er janvier aux poids lourds à partir de 3,5 tonnes. 

En France, les responsables politique se déchirent à propos d'Ecomouv

Tandis que la droite se déchire sur la responsabilité de la signature ce contrat de partenariat public-privé contesté, il fait l'objet d'une demande d'ouverture d'enquête au tribunal de Nanterre par les députés EELV. L'un d'eux, le député de la 10e circonscription des Bouches du Rhône, François-Michel Lambert, interrogé par la Tribune, dénonce un "scandale d'état", qui serait du même ordre que "l'affaire Tapie" car, à ses yeux si "les ressorts ne sont pas les mêmes au départ", les deux affaires ont le "même impact" et, dans les deux cas, "l'intérêt général n'est pas respecté". Et de souligner la date de signature du contrat: le 6 mai 2012, date de la défaite de Nicolas Sarkozy. 

Ce qui pose problème, bien sûr, ce sont les frais de fonctionnement du dispositif, ceux qui sont exigés par le prestataire (en surplus des frais que devra l'Etat en raison de la suspension du projet). En cumulant les coûts d'installation de l'infrastructure et ceux d'exploitation pour une durée de 11 ans effective, il apparaît que 27% des recettes annuelles totales générées par ce dispositif reviendront à Ecomouv'. Si l'on ne compte que les versements annuels hors coûts d'installation (soit 250 millions d'euros), un peu plus de 20% des recettes attendues devraient être reversées au prestataire. Un niveau supérieur au modèle allemand abondamment cité dans les études préparatoires au Grenelle de l'environnement qui l'avait institué. 

 >> Écotaxe: le contrat de collecte devient un enjeu politique

  •  Allemagne : un système cher à l'achat, rentable sur le long terme?

Le système allemand, - ou Lastkraftwagen Maut raccourci en LKW Maut, a été mis en place en 2005. Pour 16 centimes d'euros par km en moyenne, les camions de plus de 12 tonnes peuvent circuler sur le réseau autoroutier habituellement gratuit en Allemagne.

 Le tarif varie en fonction du poids, du nombre d'essieux ou encore des émissions polluantes du véhicule. Celui-ci est repéré par un système satellitaire embarqué qui mesure la distance parcourue.

 La société qui collecte la taxe, Toll Collect est gérée par un consortium regroupant Daimler Chrysler, Deutsche Telecom et français Cofiroute). Sur les 4,4 milliards d'euros récoltés l'an dernier, quelque 600 millions ont atterri dans les caisses de cette société, soit environ 13% du total.

Toutefois, l'installation de ce système reposant sur un contrôle satellitaire s'est révélée très coûteuse. Ce dispositif serait même le "plus cher de tous" les systèmes similaires en Europe,  explique Scott Wilson, consultant britannique en stratégie logistique auprès du cabinet Leigh Fisher. A l'époque sa "technologie d'avant-garde" justifiait semble-t-il ces coûts élevés. L'avantage, ajoute le spécialiste du transport routier, c'est que si "le coût initial des unités à bord est élevé, les coûts à long terme le sont moins". Sauf que, depuis 2004, l'Etat affronte Toll Collect devant les juges pour un conflit concernant des retards sur la mise en œuvre du projet. En outre, la grille tarifaire est remise en cause par des usagers.

Dans l'Hexagone, le dispositif consiste en un système électronique embarqué permettant de mesurer les distances parcourues et de transmettre des données aux portiques de détection installés sur la route. 

La France s'est d'ailleurs inspirée de son voisin allemand à plus d'un titre puisque c'est la mise en place de cette taxe outre-Rhin qui, déportant une partie du trafic des poids lourds vers l'Alsace a contribué à ce que cette région serve de pilote pour le teste de "l'écotaxe" française.

  • 40%:la part des frais de fonctionnement du "péage céleste" slovaque

La solution du repérage satellitaire est aussi en vigueur en Slovaquie depuis 2010 où elle est gérée par la société Sky Toll (littéralement, "péage du ciel"), en partie détenue par le français Sanef. Comme en France, les camions dès 3,5 tonnes sont concernés, autrement dit les transporteurs internationaux ne sont pas les seuls visés. 

L'an dernier, la compagnie a collecté 155.52 millions d'euros au total. Son contrat, d'une durée de 13 ans portait sur un montant total de 852,1 millions d'euros. Autrement dit, lissé sur la durée d'exploitation, et en prenant en compte une collecte totale annuelle de 150 millions d'euros en moyenne, le coût d'exploitation atteint... 40%! Il est donc deux fois plus élevé qu'en France.

"Les quelque 800 millions d'euros sont démentiels", juge de son côté le député François-Michel Lambert, qui dénonce pour ce cas, comme pour celui de la France, des facturations exorbitantes et difficilement contrôlables. "Le coût des portiques peut varier de 500.000 à 1 million d'euros" avance ainsi l'élu EELV. 

Son efficacité réelle est d'autant plus ardue à évaluer puisque, comme dans d'autres pays, ces dispositifs ont conduit les compagnies de transport à opter pour des routes secondaires non taxées plutôt que pour le réseau payant. "Dans la plupart des cas, cela ne vaut pas le coup" de choisir ainsi de nouvelles routes, car "les routes secondaires dans ces pays sont beaucoup plus lentes", note Scott Wilson. Ce qu'ils gagnent en économisant sur la taxe, ils le perdent donc en carburant et en rémunération pour les chauffeurs…

Autriche, République tchèque, Pologne : une puce et des portiques

D'autres pays comme l'Autriche, la République tchèque et la Pologne ont installé des puces électroniques couplées à une détection par des portiques. Quand les premières sont "peu onéreuses" puisqu'elles coûtent seulement "une vingtaine d'euros", affirme Leigh Fisher, les seconds sont "bien plus chers" à installer et faire fonctionner.

Le système hongrois est encore plus simple : il consiste en une "e-vignette" prépayée qui permet aux systèmes de reconnaissance sur les portiques de relever automatiquement les numéros des plaques d'immatriculation des camions empruntant le réseau du pays.

La Suisse distingue les véhicules locaux et les autres

Au sein de la zone euro, le Portugal a également opté pour une "taxe poids lourds". 

Hors UE mais toujours sur le continent européen, la Suisse, au carrefour des routes européennes a elle aussi choisi de taxer les camions avec des tarifs variant en fonction de la distance parcourue, les Suisses et les camions moins polluants bénéficiant d'un rabais. Les transporteurs doivent s'équiper d'une carte et leurs compteurs sont vérifiés à l'entrée et à la sortie du territoire par la douane. L'an dernier, le revenu net pour l'Etat de cette Redevance sur le trafic des poids lourds a atteint 1,53 milliards de Francs suisses (1,24 milliards d'euros). 

Un tiers des recettes revient aux Canton et deux tiers à la Confédération helvétique, et les sommes sont officiellement affectées au développement des transports alternatifs comme le train. 

L'écotaxe séduit à l'étranger

Si en France, la création de cette taxe divise, et provoque la colère de certains, au point d'avoir été suspendue, son principe séduit toujours à l'étranger. Si la Belgique a suspendu le projet de création de la sienne tandis que le Danemark, et l'Espagne étudient la leur.

Hors de l'Europe,  la Biélorussie et la Russie font de même. Des taxes similaires existent également dans quatre Etats américains, notamment l'Oregon, ainsi qu'en Nouvelle Zélande qui l'applique à tous les véhicules roulant au diesel.