Taxis contre UberPop : 5 clés pour comprendre le conflit

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1514  mots
Des centaines de taxis ont convergé vers les aéroports de la capitale jeudi matin.
Les taxis estiment que ces particuliers, au mieux auto-entrepreneurs, concurrencent trop facilement les professionnels qui ont acquis ou se sont endettés pour obtenir la fameuse "licence". À la base, celle-ci est délivrée gratuitement par l'État, qui en a toléré la revente, et dont l'utilité ne semble plus d'actualité... Explications.

| Article publié à 12h14, mis à jour à 18h53.

En colère contre la concurrence des chauffeurs UberPop, 2.800 taxis, selon l'AFP, manifestent depuis l'aube ce jeudi 25 juin aux quatre coins de l'Hexagone. Leur mouvement recueille un large écho dans la classe politique. "On ne peut pas laisser les chauffeurs de taxi victimes de la loi de la jungle", a déclaré le président socialiste de l'Assemblée, Claude Bartolone, tandis que Les Républicains dénonçaient la "concurrence déloyale" d'UberPop.

Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a par ailleurs saisi le procureur de la République de Paris contre le service, dénonçant un "délit d'organisation d'activités illicites de transports de personnes". Il reçoit depuis 18h30 une délégation de l'intersyndicale, après qu'elle a indiqué dans l'après-midi boycotté une rencontre à Matignon.

Si l'objet de la colère des taxis est bien identifié, la légitimité de leur (énième) mobilisation mérite d'être étudiée. Revue de détail.

  • Quelle différence entre Uber et UberPop?

Tout d'abord, rappelons que le service UberPop est une offre "low cost" du service de mise en relation entre clients et VTC (voitures de transport avec chauffeur) sur smartphone, la bien connue application mobile Uber.

Uber n'est pas une entreprise de VTC puisqu'elle revendique son statut de "plateforme technologique". D'où les problèmes de réglementation (non encore adaptée, mais à l'étude) que l'on connaît.

     >> Lire : le curieux cas d'Uber, ni taxi, ni VTC

Cela dit, les chauffeurs d'Uber (pour le services UberX, UberBerline, etc.) sont des chauffeurs de VTC professionnels. Ils ont suivi la formation requise et sont assurés en conséquence. Il présentent les mêmes caractéristiques que les chauffeurs des VTCistes LeCab, Allocab, Marcel ou encore SnapCar.

Ces derniers sont concurrents des taxis, qui ont à plusieurs reprises manifesté leur colère à l'encontre de la profession - bien avant le lancement de l'offre UberPop. Ce qui avait contraint le gouvernement à légiférer "rapidement". D'où la fameuse loi dite "Thévenoud" (du député rendu "célèbre" pour sa "phobie administrative" dévoilée) adoptée fin 2014 et entrée en vigueur au 1er janvier.

En revanche, les chauffeurs UberPop étaient à la base de simples particuliers, transportant occasionnellement d'autres personnes, dans leur propre véhicule, contre une relativement faible rémunération (à l'instar des applications Heetch et Djump). Et pour cause : ils n'ont aucune charge à payer ! Mais désormais, Uber a demandé à tous les chauffeurs UberPop de créer une activité entrepreneuriale avant fin 2015.

 Notons à cet égard que les chauffeurs Uber eux-mêmes dénoncent la concurrence "déloyale" des chauffeurs UberPop ! Etant tous des auto-entrepreneurs, ils ont des charges à payer, ce qui justifie des tarifs de courses plus élevés... Oui mais comme les chauffeurs UberPop devront tous sans exception, à en croire le DG France Thibaud Simphal, être au moins auto-entrepreneurs d'ici la fin de l'année, un certain alignement des prix semble inévitable...

Rappelons enfin qu'Uber a un temps ouvert sa plateforme aux taxis, comme dans d'autres villes d'Europe d'ailleurs. Problème: la mayonnaise n'a pas pris parce que la moutarde est très vite montée au nez des grandes centrales de réservation. Face à la menace de se voir retirer l'accès à leurs bases de clients, voire à leur licence pour ceux qui la louent, les chauffeurs de taxis intéressés par les avances de l'Américain ont dû très vite décliner la proposition, aussi alléchante fut-elle. Car n'oublions pas que si ceertains dénoncent la commission de 20% prélevée sur chaque course par Uber, les chauffeurs de taxis ne sont pas en reste si l'on ose dire. Pour avoir accès à la base clients des centrales de réservation, ces chauffeurs indépendants doivent débourser environ 300 euros par mois au minimum...

  • Salariés, indépendants : quelles différences de statut entre taxis et VTC?

Concernant la question du statut justement, tentons d'y voir un peu plus clair. Si un tribunal californien a estimé que les chauffeurs Uber étaient des salariés, il est peu probable que la France face de même. Et pour cause : si la grande majorité des chauffeurs VTC sont indépendants (à l'exception de ceux des entreprises de la grande remise comme Service Prestige, ou de certains salariés de Cinq-S), les taxis le sont aussi en grande majorité ! Il existe seulement 3% de salariés, environ 11% de locataires et 80% d'artisans indépendants. Et parmi les locataires de licence, les chauffeurs officiant pour les grandes centrales de réservation type G7 ou Taxis Bleus sont en EURL (entreprise unipersonnelle). Alors ils payent certes des charges plus élevées que les auto-entrepreneurs (imposés à hauteur de 2% de leurs revenus), mais rappelons que ces derniers ne peuvent pas dépasser un plafond de 32.000 euros HT par an... S'ils gagnent plus, les chauffeurs d'Uber ou d'autres sociétés de VTC doivent donc, comme les taxis, créer une EURL.

  • Quid de la fameuse licence?

Mais quelle différence alors entre des chauffeurs de taxis et des chauffeurs privés ? Bien entendu, il s'agit de la fameuse licence, sans doute à l'origine de tout le problème d'ailleurs. Notons bien que la licence n'est en aucun cas un "permis" pour pouvoir exercer le métier de taxi. C'est à la base ce qu'on appelle une "ADS", à savoir une autorisation de stationnement sur la voie publique. Grâce à laquelle, les taxis peuvent stationner gratuitement sur la voierie, aux endroits dédiés (panneaux et stations taxis) afin de prendre en charge des clients. Oui mais cette ADS a-t-elle encore un sens aujourd'hui quand chauffeurs et clients sont géolocalisés et qu'il n'est plus besoin de stationner sur la chaussée pour guetter le client qui commandera sa course plut^to via son smartphone ?

Rappelons en outre, que cette ADS est à la base délivrée GRATUITEMENT par l'Etat. Seulement, comme les ministère de l'Intérieur (ministère de tutelle d'origine des taxis) les délivraient au compte-goutte (le fameux "numerus clausus"), certains taxis ont commencé à se les revendre entre eux. Certains nouveaux entrants dans la professions étaient en effet prêts à débourser quelque milliers d'euros pour obtenir le fameux "sésame" au lieu de patienter quatre ou cinq ans sur la liste de d'attente pour la recevoir. Quant à ceux quittant la profession, ils étaient bien aise de pouvoir mettre quelque pécule pour assurer un départ à la retraite serein. Problème : le gouvernement n'a rien dit et a laissé faire. De quoi inciter certains à spéculer... Ce qui a conduit à rendre la licence à flirter avec des prix avoisinant parfois les 400.000 euros (240.000 euros aujourd'hui) à Paris par exemple.

  •  UberPop est-il illégal?

Le Directeur d'Uber France rappelait mercredi sur le plateau d'iTélé:

"On n'est pas dans l'illégalité. Il y a un texte ; l'interprétation du ministère de l'Intérieur et des forces de l'ordre est de dire que c'est illégal. Il y a quatre tribunaux indépendants qui se sont prononcés, les uns après les autres, refusant l'interdiction, disant qu'il n'y avait pas de trouble manifestement illicite et hier (mardi 23 juin) a été transmise par la Cour de cassation - la Cour suprême de notre pays - au Conseil constitutionnel, une question pour savoir si la loi Thévenoud elle-même n'est pas illégale".

Sur ce point, les Sages trancheront fin septembre.

En attendant, "nous devons continuer à offrir ce service - c'est possible, on est dans notre droit, on respecte le droit et on respectera toujours le droit", insiste l'ancien juriste de formation.

De leur côté, les taxis estiment que "la violence d'Uber est plus forte que celle des poings (sic)". C'est en tout cas ce qu'a déclaré sur Europe 1 mercredi Karim Asnoun, secrétaire général de la CGT Taxis, syndicat qui a lancé un appel à la grève nationale pour aujourd'hui. Palettes en feu sur le périphérique, bretelles d'accès aux aéroports bloquées et confrontations tendues, parfois violentes, avec les chauffeurs de VTC, le bilan (ce midi) devrait encore s'alourdir.

De telles violences et dérapages sont hélas toujours plus fréquents, si bien que Bruxelles a décidé de mettre en place une réglementation "dès cette année".Dans le même sens, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a "demandé au préfet de police de Paris de prendre un arrêté interdisant l'activité d'UberPop", a-t-il indiqué jeudi à Marseille. Tout en condamnant les actes violents :

"J'appelle tout ceux qui sont dans l'action à n'engager aucune violence".

Dans la soirée, le Premier ministre Manuel Vall a condamné des violences "inadmissibles"  et a promis que leurs auteurs, "qui se trouvent dans les deux camps", seraient "poursuivis".

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>> Pour aller plus loin:

« Tout le monde a peur de se faire Uberiser » Maurice Lévy, patron de Publicis

Interview du directeur général d'Uber France, Thibaud Simphal, le 13 février 2015 (Propos recueillis par Laurent Lequien/La Tribune, 13 février 2015)