VTC : la loi Grandguillaume veut "protéger la rente des loueurs de taxis" (Augier, ex-DG de G7)

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1778  mots
"S'attaquer aux sociétés françaises de VTC comme le fait cette loi va à l'opposé des objectifs affichés", analyse Jean-Jacques Augier, l'ancien DG de G7.
Dans sa version actuelle, le texte de loi du député socialiste Laurent Grandguillaume divise une partie des chauffeurs (taxis, VTC, Loti) et les plateformes type Uber. Entretien avec Jean-Jacques Augier, ancien DG de la G7.

Point de mesure dans les débats autour de la proposition de loi du député socialiste de Cote d'Or Laurent Grandguillaume déjà adoptée en première lecture à l'Assemblée. Les sénateurs ont ensuite simplifié le texte le 19 octobre. Si certains chauffeurs de VTC (voitures de transport avec chauffeur) semblent satisfaits de la direction prise par le texte, certaines sociétés, à l'instar d'Uber ou des plateformes membres de la FFTPR (dont Chauffeur-Privé, Allocab, Marcel et Snapcar), estiment qu'elle risque de les asphyxier. Pour Jean-Jacques Augier, ancien directeur général de G7, l'entreprise de taxis du groupe Rousselet qui possède également Taxis Bleus, l'histoire se répète et l'on assiste en réalité aux "mêmes causes" qui ont généré les "mêmes problèmes" actuels, déchaînant tout autant de passions. Entretien avec l'homme d'affaires qui fut aussi le trésorier de campagne de François Hollande.

LA TRIBUNE -  Que pensez-vous de la loi Grandguillaume, qui tente de pacifier le secteur du transport de personnes et de son passage en commission sénatoriale mercredi dernier ?

JEAN-JACQUES AUGIER - Je pense le plus grand mal de la loi Grandguillaume. Elle ne règle aucun problème, est antiéconomique et antisociale et ne conduit en réalité qu'à protéger la rente des loueurs de taxis. Elle va aussi favoriser à terme Uber contre ses concurrents français. S'attaquer aux sociétés françaises de VTC comme le fait cette loi va à l'opposé des objectifs affichés.

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Côté taxis, cette loi va renforcer la pression financière exercée par les loueurs de taxi sur les locataires. C'est à se demander si les auteurs de cette loi sont conscients de ce qu'ils font. Quant à la commission sénatoriale de mercredi dernier, elle a rejeté tous les amendements qui pouvaient améliorer le texte, et en a retenu qui le rendent encore pire...

A ce propos, quel est votre point de vue sur la loi Thévenoud, qui n'a pas réussi à apaiser le secteur ?

Il n'y a pas un secteur, mais deux : celui des taxis, et celui des VTC. Je pense que le mieux pour le secteur des VTC, et surtout pour ses clients, serait que les pouvoirs publics interviennent le moins possible. Juste pour assurer une concurrence saine et loyale, ce qui n'est pas fait puisque, par exemple, Uber bénéficie d'avantages fiscaux. Il y a aussi un sujet temps de travail - d'ailleurs non traité par aucune des deux lois. Mais il n'y a pas aujourd'hui d'autres problèmes importants dans le secteur des VTC ; par contre, il y en a beaucoup chez les taxis, notamment du fait de l'arrivée des nouvelles technologies, mais pas seulement.

Au moins, la loi Thévenoud a eu le mérite d'aborder un peu les problèmes propres aux taxis  : elle a précisé et amélioré à la marge la situation des chauffeurs locataires. Mais alors que, pour eux, le problème est d'abord financier, les charges des locataires ne vont être diminuées du fait de cette loi, qu'en ce qui concerne les cotisations sociales, par l'affiliation au RSI au lieu du Régime général. Cela va coûter un peu moins cher aux chauffeurs locataires, mais en contrepartie ils seront moins bien couverts, surtout en matière de retraite... C'est bien maigre alors que les locataires de taxis sur-paient leurs locations.

On a le sentiment que les lois se succèdent mais que l'on ne règle pas les problèmes de fond en somme...

C'est exactement cela. Parce que les intervenants successifs - bien peu compétents sur le domaine il faut quand même le dire - font semblant de ne pas voir les problèmes ou, lorsqu'ils les voient, ne les traitent pas. Par exemple : pourquoi, dans la loi Grandguillaume, n'y a-t-il aucune mesure sur le rachat des plaques pour indemniser ceux des artisans taxis qui ont été trompés et les ont achetées trop cher dans un passé récent ? C'était pourtant une idée intéressante qui ressortait de la concertation faite préalablement à la loi. Je crains qu'elle n'ait été abandonnée - ou enterrée sous de faux prétextes - que parce que les loueurs de taxis ne veulent en aucun cas des mesures d'accompagnement d'une baisse du prix des plaques. Eux veulent que le prix des plaques continue de monter..... Alors que c'est antiéconomique, que cela pousse à la surexploitation des chauffeurs locataires et crée, pour l'avenir, un problème qui sera de plus en plus difficile à régler.

Je ne suis pas contre le statut des chauffeurs de taxi locataires, mais il faut que leurs charges restent raisonnables et cela est un vrai sujet. Il y a des rentiers installés dans le secteur. Les chauffeurs locataires travaillent beaucoup pour un revenu final de misère. Parce qu'ils paient leur location beaucoup trop cher. Aujourd'hui, un chauffeur locataire débourse pour la location du taxi, hors charges sociales, entre 3.000 et 4.000 euros TTC par mois, et 5.000 euros TTC pour deux dans le cas du doublage, alors qu'un chauffeur VTC débourse aujourd'hui 1.000 euros TTC par mois pour une voiture de meilleur standing. Le delta -en moyenne 2.500 euros TTC par mois pour un chauffeur unique- représente la rente encaissée par le loueur au titre de la plaque... Tout cela pour des plaques le plus souvent achetées très peu cher il y a très longtemps... Et je rappelle que l'Etat n'a rien touché sur ce prix - sauf de menus droits d'enregistrement lors des cessions - : c'est juste une rente qui s'est créée et que les pouvoir publics s'ingénient à protéger.

Tenez-vous bien : depuis les nouvelles lois, le prix de location est déjà à la hausse !

Comment expliquer cette hausse dont on ne parle pas et dans un tel contexte?

Je ne suis pas loueur de taxi, c'est à eux qu'il faudrait le demander. Peut-être pour monter un peu plus les chauffeurs de taxis locataires contre les VTC. On leur explique que sans les VTC il y aura plus de travail pour eux, qu'ils gagneront mieux leur vie.... En fait les rentiers continueront à les pressurer au maximum. C'est un jeu de dupes. Et n'oublions pas que toutes les études économiques sérieuses montrent que le développement du secteur des VTC ne s'est pas fait - ou ne s'est fait que de façon marginale - au détriment de celui des taxis. Grâce aux VTC le marché s'est élargi ; une nouvelle clientèle est apparue : tout le monde va pouvoir en profiter.

Mais il y a une petite période d'adaptation : aux taxis de montrer comment ils peuvent servir les clients de façon à les satisfaire. Si j'étais encore concerné par ces questions j'aurais beaucoup d'idées en la matière. Il faut savoir que certains artisans taxis s'en sortent toujours très bien et savent faire face à la concurrence. Ils ont des atouts que les VTC n'ont pas.

Comment justifier le silence des chauffeurs de taxi sur le sujet, en particulier les artisans ?

La réticence face au changement est dans la nature humaine : nous avons tous tendance à idéaliser le passé et du mal à envisager le futur. Alors quand les chauffeurs de taxis, quel que soit leur statut,  voient un jeune député qui présente bien leur promettre de travailler pour eux en arrêtant un progrès qui leur serait nuisible, ils le croient. Mais ils ont tort. Prétendre qu'on défend les chauffeurs alors qu'on travaille pour les loueurs va inévitablement entraîner un effet boomerang. Comme je le disais tout à l'heure, on va juste repousser le problème et le faire empirer.

A contrario, de nombreux chauffeurs VTC semblent satisfaits par la proposition de loi Grandguillaume...

Il est vrai que certains chauffeurs de VTC pensent que cette loi va les protéger en instaurant une barrière à l'entrée pour de nouveaux arrivants.... Presque un numerus clausus. Qu'ils seront ainsi en meilleure position de négociation vis-à-vis des plateformes et pourront améliorer leur situation. J'aurais tendance à dire : réflexe bien français !

Mais cette vision malthusienne est erronée pour des raisons économiques et d'ailleurs tous les chauffeurs ne la partagent pas. Les barrières à l'entrée de la profession vont entraîner une baisse de la qualité du service, car les plateformes ne pourront plus être aussi exigeantes qu'aujourd'hui vis-à-vis de chauffeurs devenus rares. Cela va entraîner aussi, inévitablement, une raréfaction des intervenants - soyons clair la disparition de la quasi-totalité des entreprises françaises du secteur - et donc un monopole ou quasi-monopole.... Et donc une hausse des prix.

Les mêmes causes produisent les mêmes effets : tout ce qu'on a connu dans le passé pour les taxis. Il y aura moins de service, plus cher, et moins de clients. Et comme pour les taxis d'aujourd'hui ce ne sont pas les chauffeurs qui en bénéficieront, mais les nouveaux rentiers que seront les - ou LA - société de VTC ayant survécu au désastre.

     >Lire : Uber, grand gagnant de la loi Grandguillaume ?

Comment voyez-vous les choses ? Auriez-vous une solution à proposer ?

Il faut se donner du temps et retirer le caractère d'urgence de cette loi mal conçue et aux effets délétères. Puis reprendre calmement les problèmes un par un : pour les VTC, revenir à une concurrence saine en mettant fin à l'avantage fiscal d'Uber - il y a des solutions, en sortant du régime de TVA par exemple ; peut-être aussi réfléchir au temps de travail des chauffeurs. Et abandonner l'idée même de ces examens d'entrée inutilement difficiles - et pour tout dire stupides- qu'on veut leur imposer.

Et pour les taxis : s'attaquer aux effets de rente créés par la réglementation passée, accompagner lorsqu'il le faut la baisse du prix des plaques pour les artisans, réfléchir à la façon dont les taxis pourraient retrouver une clientèle effectuant de petites courses, que tout le monde a perdue aujourd'hui, voir comment faciliter le retour des aéroports, etc., etc.

C'est un chantier très lourd, mais qui mérite qu'on lui consacre du temps et des efforts compte tenu de l'importance de ces services pour le public, pour les habitants de nos grandes villes, notamment les plus âgés, pour l'attractivité de notre pays, etc.