Jean-Marc Leroux et Bernard Ramanantsoa : "allier ambition et éthique"

Pour Jean-Marc Le Roux, directeur général du bureau français de Bain & Company, et Bernard Ramanantsoa, directeur général du groupe HEC, il est essentiel que les entreprises renouent le dialogue avec les consommateurs, soient plus à l'écoute de leurs salariés, investissent dans la recherche et la formation et adoptent des valeurs plus morales.

Qu'est-ce que la crise actuelle va changer durablement dans le monde économique ?

Jean-Marc Le Roux : Structurellement, beaucoup de choses. Dans tous les pays, les ménages sont passés de l'euphorie à une période de forte inquiétude, avec une forte baisse de leur pouvoir d'achat, de leur épargne et de leur capacité d'emprunt. On consomme moins, mais mieux. Parallèlement, les ménages ont perdu confiance dans nombre d'éléments du système économique libéral, les banques, mais aussi les institutions de régulation et de contrôle. Ils ont aussi pris conscience que l'économie libérale peut se dérégler totalement. Cela a accéléré des phénomènes qui étaient en gestation. Les consommateurs ont désormais des préoccupations citoyennes, ils ont le sentiment qu'il faut être plus économe avec les ressources financières, naturelles etc. Ces changements de comportement ont déjà des répercussions très fortes dans des domaines qu'on pensait protégés, comme le luxe, avec des reports d'achats vers des produits moins chers, plus écologiques.

Avez-vous observé ces changements dans tous les pays développés, y compris aux États- Unis ?

J.-M.L. R. : L'impact est plus fort dans le monde anglo-saxon où la consommation des ménages est largement plus financée par le crédit qu'en France, par exemple. Mais, qualitativement, ces tendances sont les mêmes dans tous les pays occidentaux.

Bernard Ramanantsoa : Deux ou trois changements n'ont pas encore été observés, mais on en sent les frémissements. Il va y avoir une remise en question de la légitimité de l'entreprise. C'est la seule institution qui existe encore alors que l'école, les églises, la famille sont en crise. Elle a pris un rôle important depuis plusieurs années : c'est elle qui parle d'éducation, de politique fiscale, d'un certain nombre de grands problèmes géopolitiques, etc. À mon sens, cela se rééquilibrera au profit d'institutions existantes ou qui vont émerger dans les dix ans. Cela pourrait changer beaucoup de choses. à un niveau plus macroéconomique, il y a deux hypothèses. La première : un retour au protectionnisme, que je ne souhaite pas. Il faut être vigilant. Si nous n'y revenons pas ? deuxième hypothèse ?, alors un rééquilibrage se fera entre les différents grands blocs et les rapports de forces entre les États-Unis, l'Asie et l'Europe ne seront plus les mêmes dans dix ans. Je crains que ce ne soit pas en notre faveur.

Quelles institutions émergentes vont profiter de ce rééquilibrage ?

B. R. : Au niveau mondial, il faut souhaiter qu'un certain nombre d'institutions de régulations prennent davantage la main sur tout ce qui se passe. Sur le plan économique, s'agira-t-il du FMI, de l'OMC, de quelque chose de nouveau ? Je ne sais pas. Au niveau social, il y aura sans doute l'émergence de structures ou la résurgence d'autres et il faudra être attentif. On pourrait assister au retour d'institutions totalitaires, qui seraient en quelque sorte des sources de régulation voulue par tous et ensuite redoutées...

Quelles sont les conséquences pour les entreprises ?

J.-M. L. R. : Quand on entre dans une crise, on n'en connaît ni l'ampleur, ni la profondeur. Les entreprises ont rapidement actionné tous les outils classiques de rationalisation des coûts et d'optimisation de la trésorerie. Maintenant, elles cherchent à refidéliser leurs clients, à renouer un dialogue un peu oublié. Une réflexion plus fondamentale est donc nécessaire sur les risques au niveau de l'entreprise, de la direction financière et de la direction stratégique. Elle doit aussi être menée sur la création de valeur et sur son partage entre les actionnaires, les dirigeants et les employés.

B. R. : Il est toujours difficile d'anticiper un changement structurel et durable. à court terme, les entreprises reviennent aux fondamentaux et, à très court terme, certaines utilisent la crise pour réduire leurs coûts. Sur le long terme, je préfère manier le paradoxe : c'est une utopie de croire que résoudre les crises les éliminerait. Je crois même le contraire : le système capitaliste ne peut que générer des crises parce qu'il s'adapte en permanence, qu'il est fluide. En revanche, ce qui est plus structurant, ce sont les révolutions technologiques liées aux révolutions comportementales des consommateurs.

Dans ce nouveau contexte économique mondial, les entreprises ont-elles de nouvelles responsabilités à assumer ?

J.-M. L. R. : Les entreprises réfléchissent à des questions plus éthiques, d'ordre sociétal, environnemental, social. Elles doivent s'adapter à la société d'aujourd'hui et aux individus qui la composent, à la recherche de plus d'équilibre entre vies professionnelle et privée.

Avez-vous constaté ces changements dans certaines entreprises ?

J.-M. L. R. : Il y a toujours des pionniers... Hier, le dirigeant était d'abord le porte-parole de l'entreprise auprès de la communauté financière, de certains grands clients, éventuellement du monde politique. Aujourd'hui, il doit aussi porter ses valeurs auprès de ses employés.

B. R. : L'enjeu sociétal, notamment dans nos pays occidentaux et plus particulièrement en France, est le retard pris dans la recherche et l'enseignement supérieur. Nous ne sommes pas dans les temps sur les investissements prévus à Lisbonne et en comparaison aux autres pays de l'OCDE. Cela est dû aussi bien aux investissements publics qu'à ceux des entreprises. C'est l'enjeu majeur en termes de compétitivité nationale et européenne. C'est aussi un enjeu économique clair qui pourrait devenir social : si nous ne rattrapons pas le retard dans la recherche, nous serons amenés à être les sous-traitants d'autres pays. Avec des tensions salariales et donc sociales. Les entreprises ont un rôle absolument majeur à cet égard.

Pour affronter et rebondir plus vite au-delà de la crise, il faut renouer le dialogue avec les consommateurs, être plus à l'écoute de ses salariés et investir dans la recherche ?

B. R. : Il faut y ajouter une dimension morale.

J.-M. L. R. : On revient toujours au consommateur. C'est lui qui arbitrera.

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