"Le jeu de la Dame" sauve la fabrique de jeu d'échecs en bois jurassienne Roz

Qui aurait pu imaginer qu’une série américaine sur Netflix sauverait un jour une petite entreprise artisanale du Jura ? C’est l’histoire de la tournerie Roz, à Conliège, la dernière à fabriquer des jeux d’échecs en France.
(Crédits : ROZ)

Entre 300 et 400 jeux d'échecs en commande. Deux mois de délais... C'est désormais le quotidien de Brigitte Roz et de son mari Patrick Bruchon. À 62 ans, le couple s'apprêtait à prendre leur retraite d'ici quelques mois, avec l'inquiétude de voir leur savoir-faire disparaître. C'était sans compter le premier confinement strict qui a incité les Français à consommer local, entrainant un premier rebond d'activité pour l'entreprise familiale.

65 millions d'aficionados dans le monde

« J'avais déjà mon site de vente en ligne. Toutefois, à ce moment j'étais mal référencé par rapport aux gros importateurs. Puis, au fil des semaines, j'ai constaté de plus en plus de clics sur mon site et je suis remontée dans le classement. Les ventes directes ont augmenté », se souvient Brigitte Roz, présidente de la tournerie éponyme. Puis, quelques mois plus tard, les ventes ont réellement explosé avec le succès du Jeu de la Dame, la mini-série la plus vue de l'histoire de Netflix avec 65 millions d'aficionados partout dans le monde. Sortie le 23 octobre dernier, elle s'est vite imposée comme étant la série du moment. Une aubaine pour la tournerie Roz, dernière entreprise artisanale à fabriquer des pièces d'échecs dans l'Hexagone, et menacée de disparaître dans l'anonymat. « D'un seul coup, on avait régulièrement jusqu'à une douzaine de commandes par jour et ensuite encore plus au moment de Noël », raconte Brigitte Roz. L'emballement des médias sur cette belle histoire a également contribué à son succès. Le dernier reportage télévisé en février a même contraint l'artisane à fermer son site Internet car elle ne pouvait pas répondre à toutes les demandes. « Suite à ce reportage, j'ai fait un mois de chiffre d'affaires en une après-midi ! », se réjouit-elle. Les ventes ont été multiplié par cinq depuis le mois de novembre.

Patrick Bruchon calibre le buis

« La boucle est bouclée »

Avant ce succès récent, la tournerie ne fabriquait que quelques pièces par an. « Les jeux d'échecs représentaient une part tellement insignifiante du chiffre d'affaire que je ne les comptais même plus », confie Brigitte Roz. Et pourtant, ce sont bien ces fameuses pièces qui ont permis la réussite de l'entreprise familiale, fondée en 1959 par son père. Au départ, ce dernier fabriquait des maillets et des manches. « Son succès a démarré par un concours de circonstances, lorsque des industriels anglais sont tombés sur sa tournerie et lui ont demandé s'il était capable de fabriquer des jeux d'échecs », explique l'héritière. L'entreprise se développe, vend des produits partout dans le monde, et compte jusqu'à 40 employés dans les années 1970, pour une production de plus de 300.000 pièces de jeux d'échecs par an.

Une compétition mondiale vient alors bousculée toute cette économie locale : « le match du siècle », remporté par Robert James Fischer, dit Bobby Fischer, face au joueur soviétique Boris Spassky, en 1972, à Reykjavik. Cette victoire sensationnelle en finale du championnat du monde d'échecs met un coup d'arrêt à la domination russe dans le championnat du monde des échecs depuis 1948. Sa médiatisation profite à la démocratisation de ce jeu, qui induit une production en masse et la délocalisation des fabricants vers l'Asie. « Dans les années 60, nous étions seulement trois fabricants de jeux d'échecs en France et nous couvrions la demande mondiale », se rappelle Brigitte Roz. Son père ne bénéficiera pas de cette médiatisation.

Un clin d'œil à son père

Au contraire, ses commandes passeront alors de 300.000 à 80.000 jeux par an. Le chef d'entreprise décide alors de se relancer dans la production d'autres articles en bois. Brigitte Roz arrive dans les années 1990 et voit le chiffre d'affaires diminuer d'année en année. Jusqu'au coup de grâce de 2005 où elle doit licencier le dernier salarié. « Nous sommes passés par des périodes compliquées. J'ai même dû prendre un travail administratif à côté pour joindre les deux bouts. Si cette série était sortie dix ans plus tôt, nous aurions pu réinvestir dans de nouvelles machines. Maintenant, c'est trop tard », regrette-elle.

Avant de confier les clés à un potentiel repreneur, Brigitte Roz se réjouit de pouvoir fabriquer ces centaines de pièces de jeux d'échecs en commandes. Un clin d'œil à son père, très attristé à l'époque, de voir ses ventes s'effondrer aussi vite. La boucle est bouclée. 60 ans après sa création, la tournerie Roz s'offre un dernier coup gagnant !

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Commentaires 5
à écrit le 20/03/2021 à 21:20
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je ne veux plus recevoir la tribune.fr merci de votre compréhension!

à écrit le 20/03/2021 à 15:47
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La fièvre retombera dans 1 ou 2 ans, quand toutes celles qui l'ont découvert avec la série se rendront compte que le milieu des échecs est austère, ennuyeux et pas du tout glamour. C'est ainsi que fonctionne les filles. PS : Je joue de temps en tem...

à écrit le 19/03/2021 à 9:13
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Netflix faisant déjà bien plus pour la connaissance des peuples du monde entre eux et leur bonne entente que n'importe quelle institution nationale ou internationale pour ma part cela ne m'étonne pas du tout et c'est tant mieux parce que c'est quand ...

le 19/03/2021 à 9:27
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J'aurais préféré qu'on mette nos jeunes au jeu de Go, jeu stratégique bien plus riche et dont les préceptes sont directement transposables dans la vie réelle : patience, recherche de l'équilibre entre territoire et influence, initiative, vision à lon...

le 19/03/2021 à 10:05
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D'une part il n'y a pas à préférer ceci ou cela vu que déjà c'est entièrement théorique comme commentaire et ce ne sont pas nos nigauds de dirigeants néolibéraux actuels qui sont en mesure de prendre des initiatives aussi intelligentes que celles-ci....

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