« Avec la Green Line, Bureau Veritas veut contribuer à la protection de la planète »

GRAND ENTRETIEN. Le directeur général de Bureau Veritas dévoile en avant-première à La Tribune sa « Green Line », un ensemble de services et de solutions en termes d'inspection, d'audit, de certification des industries et des organisations sur les engagements de développement durable. Didier Michaud-Daniel donne aussi sa vision de l'impact de la pandémie sur l'économie, notamment en Chine, et des conséquences du confinement.
Didier Michaud-Daniel (DG de Bureau Veritas) : La confiance, selon moi, nait de deux choses : l'expertise et l'indépendance. L'expertise peut avoir ses limites, on le voit avec les débats sur les modalités du confinement. L'indépendance, elle, est claire. Dans nos métiers, on combine les deux, on est donc capable de redonner la confiance à nos clients, et surtout au consommateur final.
Didier Michaud-Daniel (DG de Bureau Veritas) : "La confiance, selon moi, nait de deux choses : l'expertise et l'indépendance. L'expertise peut avoir ses limites, on le voit avec les débats sur les modalités du confinement. L'indépendance, elle, est claire. Dans nos métiers, on combine les deux, on est donc capable de redonner la confiance à nos clients, et surtout au consommateur final." (Crédits : dr)

LA TRIBUNE - Lors de la présentation de vos résultats trimestriels en octobre, vous aviez évoqué trois scénarios face aux incertitudes, une "reprise (économique) lente et progressive", une aggravation de la pandémie" et "une reprise atone". A l'époque, vous aviez privilégié le premier. Avec le nouveau confinement en cours, notamment en Europe, avez-vous changé de scénario ?

DIDIER MICHAUD-DANIEL - Cela peut paraître contre-intuitif, mais je reste sur mon premier scénario. D'une part, la période que nous vivons, du moins depuis la semaine dernière, montre que l'activité ne s'est pas arrêtée brutalement, contrairement à ce qui s'était passé durant le premier confinement. Nombre d'industries fonctionnent, ce qui nous permet de continuer à faire nos inspections, nos audits et nos certifications sur les sites. L'impact sera sans doute beaucoup moins fort que celui que nous avons connu avant l'été, notamment en France. D'autre part, les échanges que j'ai avec les patrons de nos bureaux en Asie, notamment en Chine qui représente la première source de revenus de Bureau Veritas, indiquent que la reprise économique y est vigoureuse. Je n'imagine donc pas un trou d'air tel que celui que nous avons connu au deuxième trimestre.

Précisément de par votre implantation vous connaissez bien la Chine. Comment les autorités développent-elles la politique économique post-pandémie ?

J'ai en effet des échanges hebdomadaires avec nos bureaux locaux, basés à Shanghai, qui sont dirigés par des collaborateurs nationaux : l'activité « matières premières, industrie et infrastructures » par David Wang, et l'activité « biens de consommation » par une femme, Catherine Cheng. Selon nos informations, l'épidémie est sous contrôle dans le pays, où peu de cas de contamination sont recensés. Et nous en bénéficions, notamment dans le secteur « construction et énergie ». Nous sommes les leaders en matière d'inspection des infrastructures énergétiques, et nous allons bénéficier de nombre d'initiatives prises par le gouvernement chinois. Notre croissance y est pratiquement de 10%.

Quelles sont précisément ces initiatives gouvernementales ?

Le gouvernement a décidé de mettre rapidement des moyens dans les énergies renouvelables, le nucléaire, considéré comme non polluant en termes de rejet de CO2, et dans le développement durable. De multiples appels d'offres sont lancés pour des fermes éoliennes, des installations solaires, et pour le développement d'une filière hydrogène. Nous avons une expertise dans ces domaines. Et puis les constructions d'infrastructures se poursuivent en raison de la migration continue des habitants des campagnes vers les villes. Je rappelle que parmi les économies développées le taux d'urbanisation en Chine est l'un des plus bas du monde. Les besoins de cette urbanisation croissante, notamment l'électrification, sont énormes. Et grâce à nos joint-ventures, nous pouvons accompagner nos clients chinois.

Qu'a changé la crise sanitaire pour votre propre activité, vos métiers, notamment l'hygiène, la sécurité, la santé ?

Certains évoquent une "nouvelle normalité", je préfère parler d'une nouvelle réalité, avec laquelle on doit vivre, malgré ce virus. J'en ai tiré plusieurs enseignements. Le premier, lié au management et au leadership, est qu'il faut déléguer le pouvoir à ceux qui sont en première ligne, les patrons des pays et leurs équipes, qui sont les mieux placés pour réagir à cette situation car ils sont proches des clients, connaissent la culture spécifique du pays et les normes en vigueur. C'est également une leçon pour moi en termes de leadership. Il faut favoriser plus de décentralisation, déjà en temps normal et encore plus avec cette pandémie. Et cela se poursuivra dans le futur. Le deuxième enseignement est la réorganisation provoquée par le télétravail, en particulier pour les employés qui travaillent dans les bureaux ainsi que pour ceux qui sont dans l'inspection, avec le "remote inspection", l'inspection à distance. Dans certains pays, l'activité de certification a été faite à distance pour 15%. C'est nouveau pour nous.

Le troisième enseignement est l'accompagnement du développement des protocoles sanitaires, qui concerne le volet santé-sécurité-hygiène, les métiers de base de Bureau Veritas. Nous avons travaillé avec 3.000 clients pour définir des protocoles sanitaires, les inspecter et les auditer pour s'assurer de leur mise en place. Parmi eux, on compte des grandes entreprises comme Sodexo, Accor, Le Ponant mais aussi le ministère de l'Éducation nationale ou encore, à l'étranger, les hôtels de Las Vegas, Jumeirah al Naseem à Dubaï, l'iconique hôtel Marina Bay Sands à Singapour. Autre exemple, j'ai reçu un message via LinkedIn du patron de la station d'Avoriaz qui demande une certification de l'ensemble de la station. En Angleterre, des inspecteurs de Bureau Veritas ont été sollicités pour faire respecter de manière indépendante le protocole sanitaire dans les immeubles de bureaux. On assiste à une véritable prise de conscience sur la santé, la sécurité et l'hygiène.

Enfin, le quatrième enseignement est l'adoption rapide du plan de relance français et du green deal européen, qui comprennent des mesures en faveur de la rénovation énergétique, des infrastructures, de l'hydrogène vert, de la décarbonation de l'industrie, de la santé ou encore de la transition agricole. Or nous pouvons apporter nos expertises en termes d'inspection et d'audit dans tous ces domaines d'activité.

Cette crise sanitaire et les besoins qu'elle induit vont donc vous permettre d'accélérer votre développement?

Effectivement, les administrations, l'industrie, les immeubles de bureau mais aussi les endroits où l'on reçoit du public comme les hôtels font appel à Bureau Veritas pour la mise en place de leurs protocoles sanitaires. Ils s'adressent à nous parce que notre indépendance et notre expertise sont des garanties pour établir la confiance, ce qui est finalement notre mission. Je ne sais pas si nous sortirons renforcés de cette crise, mais en tous les cas nous serons plus connus et donc reconnus.

La crise a des effets darwiniens, des secteurs sont favorisés par la situation, d'autres pénalisés. On a parlé d'une reprise en K. Qu'en pensez-vous ?

Certains secteurs technologiques comme le business en ligne tirent leur épingle du jeu dans cette crise sanitaire. D'autres secteurs comme l'aérien, l'hôtellerie, la restauration, ou encore le retail sont très touchés. Dans les deux cas, ce sont des clients de Bureau Veritas. Les secteurs qui accélèrent ont besoin de plus d'inspections et d'audits, ceux qui sont en difficulté ont besoin d'être accompagnés. Qui aurait pu imaginer que la chaîne de magasins américaine JC Penney, qui nous confie le testing de tous ses produits, se retrouve sous Chapter Eleven ?

Cette crise va-t-elle favoriser l'accélération de la transition énergétique ?

Oui, c'est d'ailleurs le sens de la « Green Line » [la « ligne verte » en français] que nous proposons. La transition s'accélère de manière exponentielle. On le voit pour le secteur pétrolier. Total par exemple investit de plus en plus dans le secteur des énergies renouvelables : éolien, solaire, hydrogène. La tendance va s'amplifier. Bureau Veritas étant leader dans l'inspection et l'audit de l'industrie, en particulier de l'énergie, nous avons un rôle à jouer. C'est une évolution pour nous, on est train d'apprendre à travailler sur les champs éoliens, le solaire, et même l'hydrogène pour s'assurer de la conformité à de nouvelles normes et aux standards de sécurité. Par exemple, une nouvelle initiative apparaît, la "plastic to oil", qui consiste à recycler du plastique pour en faire du pétrole. Jusqu'ici, nous travaillions plutôt sur le cycle inverse. Toutes ces nouvelles initiatives qui relèvent de l'économie circulaire et de l'ISR, l'investissement socialement responsable, vont s'accélérer. On ne reviendra pas en arrière.

Quelle est la philosophie de votre « green line » ?

L'idée est d'accompagner les organisations dans leur volonté d'améliorer et mesurer leur stratégie et leur pratique en termes de durabilité. Nous avons l'avantage de pouvoir intervenir sur les ressources et la production, sur la traçabilité la chaîne d'approvisionnement (« supply chain »), sur la partie construction et infrastructures, où les futurs investissements vont être importants, tant sur les immeubles neufs qu'anciens, pour améliorer la consommation énergétique, ou encore sur le transport. Par exemple, 100.000 bornes électriques pour recharger les voitures sont nécessaires au niveau européen. Elles devront être inspectées pour s'assurer qu'elles respectent des normes de sécurité, locales ou internationales, en termes d'usage pour l'utilisateur. Bureau Veritas a les compétences pour le faire.

Enfin, il y a la montée en puissance de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) mise en place depuis 5 ans. Les engagements des entreprises envers leurs clients directs doivent faire l'objet d'une évaluation indépendante pour en établir la réalité. Par exemple, si une compagnie aérienne dit qu'elle va planter 100.000 arbres en Amazonie pour compenser ses émissions, ou qu'une autre annonce avoir 80% de ses produits recyclables, mon métier sera d'aller vérifier si c'est bien le cas. Il n'y a pas un chef d'entreprise en France que je rencontre qui ne me dise qu'il doit prouver à son conseil et à ses clients que ce qu'il dit, il le fait.

En quoi consiste concrètement la « green line » ?

C'est un ensemble de services et de solutions apportés en toute indépendance par Bureau Veritas en termes d'inspection, d'audit, de certification pour s'assurer des avancées et du respect des engagements de nos clients en matière de RSE. La finalité est bien sûr la protection de la planète mais aussi celle de la marque et de sa réputation. Bureau Veritas couvre tout l'écosystème économique des ressources naturelles jusqu'à la consommation du produit bio dans votre assiette. Cela est possible grâce à nos 80.000 collaborateurs qui peuvent couvrir de nombreux domaines. Par exemple en matière d'énergie avec le mouvement vers le solaire, l'éolien, l'hydrogène et le nucléaire, on peut accompagner des entreprises comme EDF ou Total. De même, nous pouvons aider à la résilience et la maîtrise de la supply chain, en allant s'assurer que malgré les dizaines d'acteurs sur la chaîne, des enfants ne travaillent pas par exemple sur la production d'une paire de baskets au Vietnam. Ainsi, une entreprise comme Under Armour fait appel à nous. Enfin je pourrai citer le « green deal » européen qui promeut la durabilité des activités, par exemple en visant le "carbon neutral" en 2050. Tout cela va avoir un impact direct sur nos activités, car Bureau Veritas peut aider ses clients de façon indépendante à travailler dans le sens des économies énergétiques, via les inspections et les audits, qui sont clairement l'aspect technique du métier.

Pour une entreprise, une certification accordée en toute indépendance sur ses engagements peut demain devenir un avantage comparatif pour ses marchés ?

Oui, c'est déjà le cas, voyez le cas des polluants dans les lessives. Les consommateurs n'en veulent plus. Les nouvelles générations sont très attentives à cet aspect des produits. Or la seule déclaration est aujourd'hui insuffisante. Désormais, il faut la certification.

En fait, la « green line », c'est la ligne verte du nouveau capitalisme qui est en train de naître face aux enjeux du réchauffement climatique ?

Oui, les inspections ne sont qu'un aspect technique par rapport à la finalité. Mais on sait qu'un audit interne est plus flexible qu'un audit externe. Bureau Veritas n'est pas flexible. La certification, c'est noir ou blanc, pas au milieu. Aussi, on peut apporter beaucoup à l'industrie mais aussi à la protection de l'environnement. L'Europe travaille en ce moment à la définition de critères pour déterminer ce qui est vert et ce qui ne l'est pas. En attendant, beaucoup d'entreprises définissent elles-mêmes leur propre référentiel, car c'est un enjeu de marque et surtout de risque.

Tous ces enjeux montrent la nécessité d'établir un climat de confiance. Or la pandémie a fait apparaître une défiance des citoyens à l'égard des différentes autorités. En tant que "technicien" de la confiance, comment analysez-vous cette situation ?

La confiance, selon moi, nait de deux choses : l'expertise et l'indépendance. L'expertise peut avoir ses limites, on le voit avec les débats sur les modalités du confinement. L'indépendance, elle, est claire. Dans nos métiers, on combine les deux, on est donc capable de redonner la confiance à nos clients, et surtout au consommateur final. Quant au débat public, je constate que les 120 pays touchés par la pandémie finissent par converger vers la même solution, le confinement. Les pays qui ne l'on pas adopté rapidement ont eu à déplorer un nombre de morts important.

Face à cette défiance, un tiers de confiance qui soit reconnu pour dire le "vrai" est devenu vital aujourd'hui pour le fonctionnement de nos démocraties et même du capitalisme face au complotisme ?

Oui, cela devient vital, et je le répète, l'expertise ne suffit pas, il faut lui ajouter l'indépendance. C'est la condition pour son retour. Les entreprises cherchent à avoir des clients qui leur soient fidèles et ont confiance dans leur produit. Au regard des multiples scandales que l'on a connu ces dernières années, un tiers de confiance est de nature à redonner cette confiance en particulier au consommateur final.

Cette logique de certification peut-elle s'appliquer au "Made in France" ?

Oui, nous avons une certification "Origine France Garantie" dont l'obtention assure entre autres que 50 % à 100% du prix de revient unitaire de ce produit sont acquis en France. Bureau Veritas est très actif sur ce marché.

Vous sentez une accélération de cette exigence locale avec la crise sanitaire ?

Oui. Ce mouvement est d'ailleurs à l'œuvre dans de nombreux pays : rapatriement du manufacturing, demande de la relocalisation de la supply chain, comme il y a une demande exponentielle sur les produits bio certifiés. Sur ce point, nous sommes sollicités par nos clients pour les aider grâce à nos connaissances et nos data car ils veulent s'assurer qu'ils ne sont pas perdants avec ces relocalisations.

Vous aviez fait beaucoup de croissance externe ces 5 dernières années. La crise sanitaire peut offrir des opportunités. Avez-vous des acquisitions en vue ?

Nous allons rester disciplinés, mais évidemment nous restons attentifs. Aujourd'hui, notre stratégie est claire, et nous connaissons nos besoins pour compléter le portefeuille de nos propositions pour nos clients. Il y aura donc des acquisitions chez Bureau Veritas, comme dans le passé, elles seront ciblées.

Propos recueillis par Robert Jules et Philippe Mabille

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