Ville, cherche désespérément étape mythique du Tour de France

250 villes sont, chaque année, candidates pour être ville départ, ville arrivée ou ville étape du Tour de France. L'investissement n'étant pas très lourd et les retombées quasi immédiates sur l'économie locale, chacun fait preuve d'imagination pour attirer le grand barnum populaire.
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Comptez 50 000 euros hors taxes pour être ville départ d'étape, 90 000 pour être ville départ et 130 000 pour être les deux. Dit comme cela, ce n'est pas très cher. Sauf qu'il faut, d'entrée de jeu, doubler chacune de ces sommes pour l'accueil des 4 500 personnes du barnum du Tour de France et leurs 2 000 véhicules (dont 130 semi-remorques à loger dans une zone technique à l'arrivée). L'addition monte, mais même là ce n'est pas très cher. Alors, les factures s'élèvent encore : Besançon a, par exemple, déboursé 400 000 euros en 2009 pour être seulement ville arrivée, les collectivités bretonnes en ont dépensé 620 000 l'année dernière pour trois étapes, alors que la Haute-Saône et le conseil régional de Franche-Comté mettent 700?000 euros pour une seule étape. Mais même là, ils sont peu à trouver l'addition salée. Le meilleur exemple est la Bretagne, patrie des fondus de vélo, de Robic et Bobet à Hinault. Les derniers en date : Claudy Lebreton, président du conseil général des Côtes-d'Armor et Jean-Yves Le Drian, ex-président de la région Bretagne. Le premier s'est carrément offert deux arrivées dans son département en 2011, et le second a pris en charge une étape conçue pour devenir mythique, celle de Mûr-de-Bretagne : une ligne droite de 2 km à 6,9 % de moyenne, avec des passages à 15 %. Une Alpe d'Huez bretonne, le rêve pour les Côtes-d'Armor, un département capable de mettre 180 000 euros pour une équipe de jeunes cyclistes amateurs, ou d'attirer 150 000 spectateurs à Saint-Brieux pour le championnat de France - record d'affluence battu !

« Ça a été monstrueux comme publicité ! »

Claudy Lebreton (un connaisseur du cyclisme qui pourrait largement être embauché à L'Équipe) ne voulait pas faire de « one shot », et pour cela il faut être imaginatif : « Un jour que Christian Prudhomme se demandait quoi faire en Bretagne, je lui ai proposé le cap Fréhel. Un lieu sans rien, aucune infrastructure, même pas une commune pour payer ; il a fallu tout assumer, mais j'ai eu une heure et demie de retransmission en direct le long des plus belles routes côtières de Bretagne. Le temps était magnifique, ça a été monstrueux comme publicité ! » Les deux étapes en Côtes-d'Armor ont coûté 450 000 euros aux différentes directions du département, mais l'opération est probablement très bénéfique même si le conseil général a dû acheter en plus 1,5 hectare à Mûr-de-Bretagne pour installer l'arrivée. Le premier calcul concerne l'organisation du Tour, qui réserve pour chaque nuit 1 300 lits occupés par des personnes qui vont au moins manger deux fois. Le second concerne les spectateurs : un spectateur dépense chaque jour sur la route du Tour 25 euros. Pour l'étape Lorient-Mûr-de-Bretagne, ils étaient 500 000 et ont donc dépensé 12,5 millions sur le parcours.

20 euros de retombées locales par euro investi

Parmi ces spectateurs, on estime que, pour une étape moyenne, ils sont au moins 2 000 à accompagner le Tour (camping-car + camping + présence sur deux jours) : ceux-là dépensent 100 euros par jour, ce qui fait 400 000 euros de plus dans l'économie locale, etc. « En général, explique Claudy Lebreton, qui est par ailleurs président de l'Assemblée des départements de France, partenaire officiel du Tour, on estime que 1 euro d'argent public génère 20 euros de retombées dans l'économie locale. »Dans les Hautes-Pyrénées, qui accueillent chaque année le Tour (trois étapes cette année encore), on parle plutôt d'un rapport de 1 à 10 (rapport calculé par Atout France, l'agence touristique de l'état). Mais on soulève un autre problème : l'augmentation de la dette du département n'est plus supportable (225 millions de dettes bancaires ou dues aux partenariats public-privé), la réfection des routes est chère, trop chère, celle du col du Tourmalet par exemple. La question : si au fil des ans les conseils généraux et les grandes villes ont remplacé les communes et les petites villes pour payer l'arrivée ou le départ des étapes, ne vont-ils pas, eux aussi, avoir besoin d'un coup de main financier ?

 

Cinq villes étapes... Cinq raisons d'accueillir le Tour de France

Bellegarde espère pour changer son image
C'était une offre qu'elle ne pouvait pas refuser. Bellegarde-sur-Valserine, ville arrivée du 11 juillet, est l'heureuse élue 2012 qui ne s'y attendait absolument pas. « J'ai reçu un coup de téléphone d'ASO [Amaury sport organisation, organisateur du tour, ndlr] en août 2011, se rappelle Jean-Paul Picard, l'adjoint aux sports. Ils étaient obligés de faire partir l'étape de Mâcon, ils avaient déjà choisi le col du Grand-Colombier et ils souhaitaient une arrivée pas trop facile. C'était une surprise, on a pris. » La raison ? L'image déplorable de la ville : une ville ouvrière moribonde au fond d'une vallée surplombée d'un viaduc d'où les automobilistes pendant des années avaient une vue magnifique sur les fumées des usines Pechiney. Une ville qui essaie de s'en sortir depuis des années en lançant, avec des promoteurs anglais, un « village de marques » que le maire voisin d'Annecy, Bernard Accoyer, « pilonne constamment ». « On va se faire taper par l'opposition municipale, continue Jean-Paul Picard, mais on ne pouvait pas refuser : la région Rhône-Alpes ne nous donne pas un centime, le conseil général nous donne 10 000 euros et un grand écran, et nous n'avons pas de sponsor privé, sauf si la Compagnie nationale du Rhône fait un effort. L'ardoise finale sera aux alentours de 180 000 euros pour nous. On a bien essayé d'obtenir des ristournes de la part d'ASO, mais ils n'en font jamais. Tant pis : il faut absolument qu'on montre la beauté de notre coin, la vallée de la Valserine, le restaurant Le Sorgia et les massifs. »

Saint-Paul-Trois-Châteaux veut faire oublier le nucléaire
Saint-Paul-Trois-Châteaux en rêvait. Elle est la ville départ du 14 juillet. Elle en rêvait encore plus, depuis que l'attraction touristique locale, la centrale nucléaire de Tricastin a connu, en 2008, ses premières fuites. « Il fallait redonner une image positive à notre commune, explique Claude Loverini, l'adjoint aux sports. On s'est porté candidat pour le Tour 2010, sans grand espoir, on a organisé quelques épreuves intermédiaires d'ASO, dont une étape de Paris-Nice, puis on a été ville départ du Tour en 2011 et ils nous ont redonné notre chance pour être ville départ de l'étape qui se finit à Agde le 14 juillet ! Une étape qui fait 30 % de plus de spectateurs et téléspectateurs qu'une étape moyenne ! » Et, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, comme tout le monde a envie d'attirer les touristes (gîtes ruraux, campings..., tout est fait pour les détourner de l'Ardèche), le conseil municipal a fait sponsoriser l'étape : sur un coût total de 190 000 euros (dont 55 000 HT à Aso comme ville départ), 100 000 ont été apportés par les entreprises et commerçants. Certains ont mis 300 euros, d'autres 10 000, « les entreprises se sont précipitées cette année, continue Claude Loverini. Elles ont vu que, l'année dernière, Saint-Paul-Trois-Châteaux avait été en surchauffe, que les restaurants faisaient trois services à midi et le soir, que les touristes étrangers venaient d'Ardèche pour passer deux jours, que tout était complet et que personne ne parlait du nucléaire ! »

La Plagne aimerait bien, mais n'a plus les moyens
Les villes qui l'ont été, mais n'ont plus assez d'argent pour l'être de nouveau. La Plagne a vu débarquer six fois le tour de France, et Laurent Fignon y a gagné deux fois. Mais depuis dix ans, rien. La célèbre montée d'Aime à La Plagne est désertée. « C'est trop cher pour nous, explique Jean-Yves Dubois, adjoint au tourisme. En 2002, en plus nous avons eu l'étape du Tour [la même étape que les pros, mais pour les amateurs qui viennent juste avant], mais nous ne pouvons plus. La logistique est trop lourde pour être une ville arrivée : on ne sait plus où mettre les semi-remorques, on a trop de travail pour détruire les équipements routiers puis tout reconstruire. Le budget de l'office du tourisme ne suffit plus et le niveau des finances communales est au plus bas. La seule solution, c'est la mutualisation : nous étudions l'idée de nous regrouper avec Val-d'Isère, Moutiers et Bourg-Saint-Maurice pour que l'un de nous quatre l'ait tous les deux ans et que l'on partage les coûts. »

Airbus se met en congé pour parader à Blagnac
Blagnac est l'une des rares villes de France où il y a plus d'emplois que d'habitants : 35 000 emplois, 20 000 habitants. Blagnac est riche, Airbus est là ! Du coup, lorsque Christian Prudhomme, le patron du tour, a appelé Bernard Keller, le maire de Blagnac, pour lui dire que cela l'arrangerait que sa ville soit candidate à un départ, il a dit oui. Airbus a compris tout de suite et, le 30 juillet, l'usine sera fermée et les ouvriers conviés à un barbecue d'entreprise pour voir passer les coureurs tout le long d'Airbus industrie. Mieux : comme par hasard, un A380 va décoller au moment où les caméras seront là, et, surprise, la patrouille de France va passer dans le ciel aussi. Si le téléspectateur ne comprend pas que le tour passe dans la capitale mondiale de l'aéronautique, c'est à désespérer de toute stratégie de communication. Bien entendu, Blagnac n'a eu aucun mal à financer le show. « 150 000 euros pour un tel affichage, je voudrais bien que toutes les opérations de communication sportive aient un tel rendement médiatique », sourit Bernard Keller.

L'Alpe-d'Huez star mondiale du Tour et du Bingo !
L'Alpe-d'Huez est devenue une étape tellement mythique mondialement qu'Yves Breton, l'adjoint au sport, a parfois un doute : « La montée est si célèbre que les études de notoriété montrent que l'Alpe-d'Huez est connue mondialement pour le cyclisme et que tout le monde en oublie qu'on est une station de sports d'hiver, qui est pourtant notre principal business ! » Vingt-sept étapes depuis 1952 avec un record absolu en 2004 pour la victoire au sommet de Lance Armstrong : 1 million de spectateurs entre Le Bourg d'Oisans et l'Alpe d'Huez. Comme on estime couramment qu'un spectateur dépense en moyenne 25 euros sur l'étape (de l'essence à la nourriture), ce sont au moins 25 millions d'euros qui ont été dépensés ce 21 juillet 2004 pour cette seule étape. Quant à l'audimat, c'est simple : c'est le double de la moyenne des autres étapes, soit 8 millions de français scotchés. L'Alpe-d'Huez ne se pose donc plus depuis longtemps la question de la rentabilité des 200 000 euros qu'elle met chaque année : « Le Galibier ou le Ventoux sont aussi des montées mythiques, mais il n'y a pas de commune en haut pour toucher les dividendes ! », sourit Yves Breton. Entre les produits dérivés et les cyclotouristes toute l'année, l'Alpe-d'Huez a fait bingo depuis belle lurette.

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