Les cinq clés d'une révolution sociale

<b>LE CONTEXTE - </b> Le marché du travail en France est réputé rigide, divisé entre des salariés protégés par leur CDI et ceux qui subissent une précarisation. <br /> <b>L'ENJEU - </b> Les partenaires sociaux, le patronat et les syndicats, doivent trouver une formule pour réformer le marché du travail au bénéfi ce de tous. Revue de détail d'une profonde réforme.
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Comment améliorer le marché du travail ? Chaque gouvernement s'y essaie depuis presque trente ans. Le concept est le même : la flexibilité. Seul problème, il faut trouver la formule. Et là, c'est le rôle des partenaires sociaux. Patronat et syndicats ont entamé d'ailleurs une négociation - qualifiée « d'historique » par le président François Hollande - sur la sécurisation des parcours professionnels. Une discussion où tout doit être mis sur la table : procédures de licenciement économique ; information en amont des institutions représentatives du personnel ; lutte contre les emplois précaires (temps partiel subi, CDD, intérim) ; formation des chômeurs ; accords « compétitivité-emploi », etc. L'objectif est de « fluidifier » le marché du travail, traquer les lourdeurs... et sécuriser l'emploi. Tour d'horizon de ce que pourraient être les cinq piliers d'une telle réforme.

1. Rénover la Formation des salariés
La formation des salariés représente un effort de 10,5 milliards d'euros, dont 8 milliards proviennent des entreprises. De fait, depuis la loi Delors de 1971, sur l'obligation de financer la formation professionnelle des salariés, les entreprises doivent consacrer une part de leur masse salariale (actuellement 0,9%) au plan de formation. Hélas, tous les salariés ne sont pas égaux devant la formation. Ce sont souvent les plus diplômés qui sont servis les premiers, alors que les salariés potentiellement les plus en danger en cas de licenciement y ont moins accès.
Pourtant, comme le précise Jean-Claude Quentin, ancien secrétaire confédéral de FO et spécialiste reconnu de la formation professionnelle en France, « il faut aborder la question de la responsabilité des entreprises en amont, avant les licenciements. L'article L6 321-1 du Code du Travail prévoit que l'employeur est tenu d'assurer l'adaptation des salariés à leurs postes de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper - non pas leur - mais un emploi ». Une obligation pas toujours respectée. Pour y remédier, l'Institut Montaigne suggère de recourir à un système incitatif de bonus-malus : en fonction du nombre de salariés formés, de la qualité et de la portabilité des qualifications, de leur caractère diplômant, les entreprises devraient plus ou moins cotiser à l'assurance chômage et, si elles ont été irréprochables en amont, elles pourraient être, en cas de licenciements économiques, soumises à des obligations de reclassement allégées des salariés licenciés.

2. Lutter contre la précarité
Un tiers des entrées au chômage sont dues à des fins de contrats à durée déterminée (CDD) ou de missions d'intérim. Parallèlement, 80% des embauches se font maintenant sous CDD. Selon l'Unedic, le nombre de CDD de moins d'un mois est passé de 5,6 millions à 12 millions entre 2000 et 2012. « Il est faux de dire qu'il n'y a pas de flexibilité du travail en France », aime à dire Laurent Berger, numéro 2 de la CFDT, qui remplacera bientôt François Chérèque à la tête de la centrale.
Étienne Wasmer, professeur d'économie à Sciences Po Paris, confirme : « La France s'illustre par un marché du travail particulièrement rigide et dual qui crée des effets de seuil sécurisants pour ceux qui sont du bon côté de la barrière - les salariés en CDI et les personnels statutaires de la fonction publique - et exclut ceux qui multiplient les contrats courts. » Que faire ? Peut-être ressusciter l'idée, théorisée voici dix ans par deux économistes, Pierre Cahuc et Francis Kramarz, d'instituer un contrat unique où la protection et les droits des salariés s'accroîtraient avec l'ancienneté. Il pourrait aussi être envisagé de moduler les taux de cotisation des entreprises à l'assurance chômage en fonction de la durée de présence d'un salarié. Plus longue serait cette durée, moins élevée serait la cotisation (avec un plancher).À l'inverse, les CDD courts donneraient lieu à une surcotisation. Un moyen de dissuader la succession de CDD sur des postes ayant manifestement vocation à être pourvus par un CDI.

3. Simplifier la rupture des contrats
S'agissant de la rupture du contrat de travail, la législation a aussi considérablement évolué. Surtout depuis l'instauration de la rupture conventionnelle, en 2008, qui permet un départ à « l'amiable » du salarié de l'entreprise, moyennant le versement d'une indemnité au moins égale à l'indemnité conventionnelle de licenciement. Depuis son instauration, 915.000 ruptures conventionnelles ont été comptabilisées, soit 12% des sorties du travail des CDI... Le double des sorties par licenciements. Un succès qui fait dire à certains, CGT en tête, que le dispositif sert essentiellement à contourner les procédures de licenciement.
De fait, pour fluidifier le marché du travail et pour ne pas décourager les embauches, Medef et CGPME n'ont de cesse de demander une simplification et une sécurisation du droit du licenciement économique.
Cette revendication, sur la table depuis dix ans, trouve son origine dans la fi n de l'autorisation administrative de licenciement en 1986. Depuis lors, règne l'insécurité juridique tant pour les salariés que pour les entreprises : qui - et quand? - peut contester un plan de sauvegarde de l'emploi? Quand la réalité du caractère économique d'un licenciement peut-elle être établie? Ces questions ont donné lieu à de célèbres jurisprudences de la Cour de cassation, tels les arrêts Samaritaine, Good Year, Vivéo, etc. En effet, il s'agissait d'en fi nir avec des situations ubuesques et anxiogènes, comme par exemple l'annulation - juridiquement fondée - par la justice d'un plan social (PSE) jugé insuffisant... trois ans après la fermeture d'une entreprise.
Dès lors, il serait peut-être plus utile de prévoir une sorte d'homologation par l'administration du travail d'un plan de licenciement qui permettrait une fois élaboré de le sécuriser, puis de le valider pour empêcher les possibilités de recours en justice.

4. Adapter le droit du travail
C'est un point devenu extrêmement sensible dans les discussions en cours entre patronat et syndicats. En outre, il y a un an, Nicolas Sarkozy a braqué quasiment tout le monde - sauf le Medef - en demandant de façon abrupte aux partenaires sociaux de négocier des accords « compétitivité-emploi ». De quoi s'agit-il? Les entreprises rencontrant des difficultés conjoncturelles (problème de trésorerie, par exemple) pourraient négocier avec les syndicats des accords dérogatoires aux règles en vigueur sur le temps de travail ou les rémunérations, afin d'éviter des licenciements. Un accord de ce type a été récemment signé chez Air France. Il s'agirait donc de gagner moins ou de travailler plus. Patrick Bernasconi, président de la Fédération des Travaux publics et négociateur du Medef, insiste bien sur le fait « qu'il s'agirait d'accords à durée déterminée, à l'issue desquels, en fonction de la situation, on renégocierait autre chose » Ou l'on reviendrait à la situation initiale, le droit du travail « normal » reprendrait toute sa place. (lire l'encadré ci-dessous concernant la position des partenaires sociaux sur ce point délicat).

5. Sécuriser le parcours personnel
Protéger la personne plutôt que le poste. C'est LA grande idée de la sécurisation des parcours professionnels, celle qui est notamment appliquée au Danemark. Autrement dit, éviter qu'un salarié victime d'une restructuration perde, outre son emploi, son salaire, sa protection sociale, etc. Comment faire?
Le réceptacle juridique pourrait être l'actuel « Contrat de sécurisation professionnelle » (CSP) qui permet à un salarié licencié économique de continuer de percevoir 80% de son ancien salaire brut durant un an. Le financement de ce CSP est assuré par l'entreprise, et l'assu-rance-chômage. Patronat et syndicats ne sont pas opposés à l'idée d'amplifier ce dispositif, voire de l'ouvrir à des salariés en CDD ou en mission d'intérim (certaines expériences d'ailleurs sont en cours). « Dès lors que l'on ne met pas en péril les finances de l'Unedic, pourquoi pas », prévient tout de même Stéphane Lardy, secrétaire confédéral FO en charge de l'emploi.

Droits acquis et compléments salariaux

Le fonds d'investissement social, créé il y a trois ans, pourrait aussi être appelé à la rescousse. En contrepartie, le demandeur d'emploi en CSP doit suivre une formation qui lui est proposée.
Étienne Wasmer suggère d'améliorer le système en assu-rant également une « portabilité des droits acquis par un salarié licencié »*, notamment en matière de formation. Mieux, afin d'inciter des chômeurs à reprendre un poste moins bien rémunéré dans un autre secteur professionnel, des « compléments salariaux » pourraient être institués pour venir combler, temporairement, la perte salariale. Quelques accords d'entreprise prévoient, déjà, un mécanisme de ce genre.
Autant de pistes pour parvenir à davantage de fluidité du marché du travail, voire à une flexisécurité à la française, et s'approcher du fameux « triangle d'or » associant : une grande flexibilité du marché du travail avec des règles de licenciement souples ; un système d'indemniation généreux ; des politiques actives de l'emploi visant à éviter le chômage de longue durée.

*Lire le rapport sur la « Mobilité des salariés » de Mathilde Lemoine, directeur des études économiques et de la stratégie marchés, HSBC France et Étienne Wasmer, professeur des Universités, Département d'économie, Sciences Po Paris.

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La « compétitivité » : argument ou prétexte?
Débutée le 4 octobre, la négociation sur la sécurisation de l'emploi et la rénovation du marché du travail aborde l'épineux sujet des accords « compétitivité-emploi » (le vocable a disparu pour ne pas fâcher). Les syndicats diffèrent sur l'attitude à adopter sur ce dossier.
CFDT, CFTC et CFE-CGC acceptent la discussion avec le Medef. Mais à plusieurs conditions. Il faut, d'abord, que l'entreprise qui souhaite augmenter la durée du travail et/ou baisser les salaires soit conjoncturellement dans une situation réellement difficile. Le Medef, lui, souhaite que ce type d'accord puisse aussi être conclu dans le cas de la « sauvegarde de la compétitivité ». Pour les syndicats, il doit s'agir d'accords à durée définie (deux ans), acceptés par 50% des salariés. Surtout, ils doivent contenir une clause « de retour à meilleure fortune » : si les difficultés prennent ? n, les salariés doivent pouvoir récupérer l'effort fourni (temps et argent) pour soutenir l'entreprise.
La CFTC ajoute qu'il doit y avoir une interdiction pour l'entreprise de verser des dividendes pendant la durée de l'accord. De leur côté, FO et la CGT refusent officiellement de négocier des accords de ce type. FO, cependant, est en pointe sur un sujet précis : quid du salarié qui refuserait les nouvelles dispositions prévues par un tel accord? Le Medef proposait qu'il fasse l'objet d'un licenciement sui generis (ni licenciement pour faute ni licenciement économique pour ne pas avoir à bâtir un plan social si plus de dix salariés refusent). Pour FO, il ne peut s'agir que d'un licenciement économique, avec toutes les obligations liées. Les autres syndicats se sont ralliés à ce principe.

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