Finlande : petit pays, grande gueule

<b>Le contexte </b>Le souvenir est resté très vif et amer de la débâcle économique du pays, au début des années 1990, avec une chute du PIB de 12 % en trois ans, et un chômage à 17 %.<br /> <b>L'enjeu </b>Helsinki s'aligne désormais sur la « ligne dure » de l'Allemagne : pas question de payer pour les « cancres » de l'Europe sans contrepartie certaine de leur part.
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Les petits pays de la zone euro ne sont pas forcément ceux qui ont le moins d?influence sur son évolution. La Grèce en est un exemple évident. La Finlande en est un autre? dans un style très différent. Avec ses quelque 5,4 millions d?habitants, ce pays nordique moitié moins peuplé que l?Île-de-France n?hésite plus à faire entendre sa voix en Europe. Farouchement opposés à toute politique d?assistance aux pays en difficulté ou à toute idée de mutualisation des dettes, les Finlandais viennent désormais régulièrement renforcer la ligne dure formée par l?Allemagne, les Pays-Bas et l?Autriche. Les exemples sont nombreux et se multiplient.
Ainsi, à la fin de septembre, profitant du flou des conclusions du sommet européen de juin 2012, les Allemands, les Finlandais et les Néerlandais avaient cosigné une déclaration qui risque de sérieusement limiter la portée de l?accord paraphé. En effet, aux termes de cette déclaration commune, le Mécanisme européen de stabilité (MES) ne devrait pas prendre en charge l?héritage du passé. Autrement dit, lorsque le MES pourrait enfin intervenir pour recapitaliser directement les banques de la zone (vraisemblablement à partir de mars 2014), sans alourdir la dette des États, il ne serait pas possible de l?utiliser pour soutenir les banques espagnoles déjà en difficulté avant l?entrée en vigueur du mécanisme. La Finlande est également le seul pays à avoir négocié des garanties pour le prêt accordé à la Grèce, dans le cadre du deuxième plan de sauvetage international de l?été 2011? au risque de faire échouer l?ensemble des négociations. Le pays s?était alors attiré les foudres de Berlin. Mais, pour finir, un accord signé en février 2012 stipule bien que la Grèce fournira des garanties en numéraire et en actifs très bien notés en échange de la participation de la Finlande au plan de sauvetage.
De la même façon, les Finlandais ont précisé qu?ils n?accepteraient d?aider l?Espagne qu?à des conditions très strictes. Si l?aide passe par le Fonds européen de stabilité financière, le pays exigera, comme pour la Grèce, des garanties (un accord a d?ores et déjà été signé avec Madrid). Si elle transite via le MES, considéré comme moins pénalisant pour ses finances publiques, la Finlande veillera à ce que les conditions d?utilisation de celui-ci soient les plus strictes possibles.

Des luthériens apôtres De l?austérité

Taxés d?égoïsme, les Finlandais assument leurs positions et expliquent sans complexe qu?ils veulent sauver l?euro, mais qu?ils refusent de payer l?addition de l?Espagne? et encore moins celle de la Grèce qui a menti sur ses comptes, une attitude impardonnable aux yeux de ces luthériens. Dans une tribune publiée dans le journal finlandais Kanava à la fin de l?année dernière, la ministre des Finances Jutta Urpilainen expliquait qu?une « valeur importante pour les Finlandais est la responsabilité morale de ses actes. C?est aussi sur cela que l?Union économique et monétaire est fondée. Les Finlandais ont compris dès le début l?importance d?une économie saine et de ne pas vivre au-dessus de ses moyens. »Lorsqu?on leur reproche leur intransigeance à l?égard des pays européens en difficulté, les Finlandais invoquent souvent leur histoire économique récente. Au début des années 1990, la Finlande avait en effet traversé une crise économique extrêmement grave. Comme en Espagne ou en Irlande vingt ans plus tard, cette crise a été précédée d?une période de forte expansion du crédit et de boom du secteur immobilier. À cette surchauffe de l?économie, est venu se greffer, en 1991, l?effondrement des exportations vers le voisin soviétique, alors en pleine déconfiture. Le tout dans un contexte de taux d?intérêt élevés en raison de la réunification des deux Allemagne. Résultat : une baisse du PIB de 12?% en trois ans, une hausse du chômage de 3?% à 17?% et une montée en flèche de l?endettement public, de 15?% à près de 60?% du PIB. « Les Finlandais ont fait tous les efforts qu?il fallait, tant en termes de baisse des dépenses publiques que de relèvement de la fiscalité, pour que le pays retrouve sa crédibilité et sa compétitivité, sans que personne ne leur vienne en aide. Aujourd?hui, il leur semble injuste de devoir aider des États qui n?ont pas été capables de gérer leur économie », explique Vesa Vihriälä, économiste à l?Institut de recherche de l?économie finlandaise (ETLA). D?autant plus que beaucoup de Finlandais ont la nette impression que les fonds prêtés serviront davantage à limiter les pertes des banques françaises et allemandes qui ont beaucoup prêté aux pays aujourd?hui en difficulté qu?à protéger leurs citoyens?

La lune de miel avec l?Europe, c?était avant

De passage à Paris au début du mois d?octobre, où il a rencontré François Hollande, le Premier ministre finlandais Jyrki Katainen a martelé que si l?Europe devait se tenir prête à aider l?Espagne, la résolution de la crise passait avant tout par le respect des règles. Celles-ci « doivent être assumées par les États et ne sont pas sujettes à interprétation », a-t-il déclaré à cette occasion. De fait, les rapports de la Finlande à l?Europe ont énormément évolué depuis que le pays a rejoint l?Union européenne en 1995, puis l?euro en 2002. « En fait, on est passé de la lune de miel au mariage de raison », commente le directeur des études européennes de l?université d?Helsinki, Juhana Aunesluoma. Au départ, l?idée était surtout d?échapper à l?influence de l?encombrant voisin russe. « De 1995 à 2005 environ, les Finlandais étaient très enthousiastes. Ils avaient le sentiment qu?appartenir à l?Union européenne, puis à la zone euro, leur profitait directement », souligne l?universitaire. Pendant cette période, la montée en puissance des entreprises du secteur technologique, au premier rang desquelles Nokia, a permis au pays de restaurer sa productivité. Le chômage a commencé à diminuer et l?État s?est mis à engranger des excédents budgétaires. « Ensuite, de 2005 à 2010, il y a eu une forme de normalisation des relations avec l?Europe. D?idéalistes, les dirigeants finlandais sont devenus réalistes. Ils ont aussi compris comment influencer les décisions prises au niveau européen », explique Juhana Aunesluoma. Mais c?est à l?automne 2009, au moment où les difficultés de la Grèce ont commencé à être massivement relayées dans les médias que l?opinion finlandaise a commencé à se retourner.

la crise profite aux partis populistes

La mise en place d?un système d?assistance a provoqué l?incompréhension et l?indignation d?une partie importante de la population, permettant au parti populiste des Vrais Finlandais de s?imposer comme la quatrième force politique du pays. « Il faut considérer les enjeux politiques locaux si l?on veut comprendre le positionnement européen de la Finlande ces deux dernières années », explique Juhana Aunesluoma, qui reconnaît que « la crise a durci les positions ». À la recherche de voix, les sociaux-démocrates ? ou du moins une partie d?entre eux ? sont devenus plus eurosceptiques. Quant aux conservateurs, toujours pro-européens, ils ont adopté une ligne plus dure concernant la participation de la Finlande aux mécanismes d?aide aux pays en difficulté. Enfin, face aux Vrais Finlandais et à leur leader très médiatique Timo Soini, le lobby pro-européen, auparavant très actif, est devenu soudainement beaucoup plus discret.
Les Finlandais sont-ils pour autant devenus antieuropéens?? En juillet dernier, la ministre finlandaise des Finances, Jutta Urpilainen a expliqué qu?elle préférait voir le pays sortir de l?euro plutôt que de payer pour rembourser la dette de ses partenaires européens. « La Finlande ne s?accrochera pas à l?euro à n?importe quel prix et nous sommes prêts à tous les scénarios, y compris à abandon-ner la monnaie unique européenne », a-t-elle lancé. « C?est un débat purement théorique », veut croire le directeur des études européennes de l?université d?Helsinki, qui souligne qu?en dépit de la montée en puissance des populistes, les partis pro-européens conservent la confiance de la majeure partie de la population. Une étude de l?Institut des affaires et de la politique (EVA) menée en mars 2012 montre même que la part des Finlandais considérant l?adhésion de leur pays à l?Union européenne comme quelque chose de positif a augmenté en 2012 pour atteindre 55?%. Parmi les sondés, 25?% se disent neutres sur cette question et seulement 20?% considèrent l?intégration de la Finlande dans l?UE comme « négative ». De même, en 2012, seuls 16?% des Finlandais affir-maient que « la Finlande devrait quitter l?UE ».

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