L'usine passée du lave-linge à la voiture propre

La désindustrialisation de l'Hexagone n'est pas une fatalité. Encore faut-il s'adapter, se diversifier, voire... changer radicalement de secteur. C'est le pari lancé par Pierre Millet, un industriel isérois qui a réussi à sauver 450 emplois.
Conçu comme un châssis cabine, auquel sont adaptables plusieurs modules (fourgon, benne, frigo isotherme...), l'utilitaire électrique Citelec est commercialisé sous la marque Brandt Motors. Son autonomie est de 300 km à 25 km/h. [Brabdt motors]

à deux pas du stade de Gerland, dans le quartier de Lyon du même nom, c'est un match tout aussi sportif qui se dispute dans l'ancienne usine FagorBrandt. Pierre Millet s'est fixé comme objectif de reconvertir le site de production de lave-linge en usine dédiée aux cleantechs, autrement dit aux technologies « propres » et soucieuses de préserver l'environnement. À 46 ans, cet industriel isérois raconte volontiers ce qu'il considère comme une « très belle histoire ». En 2010, FagorBrandt, propriété du groupe espagnol Fagor Electro-domésticos et leader du secteur électroménager en France, annonce sa volonté de délocaliser la production de ses machines en Pologne et de fermer son usine de Lyon. Quatre cent cinquante postes sont menacés. Pour le groupe, déjà en mauvaise passe, le coût social est loin d'être négligeable. Pierre Millet lui propose donc un schéma de reprise : Fagor cède le site à la société SITL, spécialement constituée à cet effet, entre dans son capital à hauteur de 10?%, et lui garantit un volume de commande de lave-linge dégressif jusqu'en 2015. Soit 135 millions d'euros de volume d'affaires déjà assurés pour le repreneur, le temps de former les salariés et d'opérer progressivement la conversion des outils vers la construction de voitures électriques et de filtres pour le traitement de l'eau.

Un utilitaire et une citadine 100% électriques

« Il est clair qu'on ne continuera pas à faire ce que d'autres font beaucoup mieux que nous à l'autre bout du monde. L'avenir de l'industrie française n'est pas le low-cost », martèle Pierre Millet. Son premier véhicule utilitaire 100% électrique, baptisé Citelec, a été livré début septembre. Conçu comme un châssis cabine, auquel sont adaptables plusieurs modules (fourgon, benne, frigo isotherme...), l'utilitaire est commercialisé sous la marque Brandt Motors. Il affiche une vitesse de pointe à 80 km/h et une autonomie de 300 km à 25 km/h. Il aura fallu en tout un an à SITL pour racheter une licence de fabrication auprès d'un équipementier (Magna Steyr), former ses premiers employés aux nouvelles chaînes de production, et obtenir, à la fin de juillet, ses premiers agréments. « Notre objectif maintenant est de convaincre le plus de clients possible. » Le temps presse : SITL s'est fixé un objectif de 17 millions d'euros de chiffre d'affaires d'ici à juin 2013, pour pouvoir compenser la baisse du plan de charge de Fagor. En attendant, la jeune société multiplie les salons en France - Mondial de l'automobile en ce moment, Salon des maires en novembre - mais également leurs équivalents à Dubaï et Abu Dhabi, car l'autre pôle de développement sur lequel s'appuie SITL est celui des filtres à tambour destinés à l'assainissement de l'eau. Comme la voiture électrique, les filtres sont technologiquement compatibles avec les lignes de production de lave-linge. La société espère commercialiser 180 installations d'ici à l'été 2013.Pour mener à bien la conversion, un plan de formation d'envergure a été négocié avec Fagor : 9 millions d'euros. Un premier volet a été mis en place pour accompagner l'ensemble des salariés dans le passage d'une culture grand groupe à une culture PME. Les aspects techniques, eux, sont dispensés par vagues, au rythme du remplissage du carnet de commandes. Pour l'heure, 70 salariés sont affectés sur les nouvelles lignes et les bureaux d'études. « Nous sommes en pleine période de mutation, admet un ouvrier affecté au collage. Pour le moment, il n'y a pas encore de travail pour tout le monde sur les nouvelles chaînes, mais il faudra que ce soit le cas d'ici trois ou quatre ans, lorsque la production des lave-linge sera à l'arrêt. Au départ, nous étions inquiets. Mais aujourd'hui, nous sommes heureux de la perspective de conserver notre emploi ».

Le soutien "moral" des collectivités locales

À la fin de 2013, une petite voiture citadine tout électrique devrait voir le jour à la suite de l'utilitaire, puis les versions scooter et vélo en 2014-2015. Une gamme de véhicules hybrides est par ailleurs programmée pour le début de 2013. Du moins si Pierre Millet parvient à boucler son plan de financement. Car le montage financier de cette reconversion, qui se chiffre à 24 millions d'euros, se fait pour l'heure sans le soutien annoncé des pouvoirs publics. « Je me sens redevable d'un soutien financier de l'État », reconnaît le préfet de la région Rhône-Alpes, Jean-François Carenco, qui s'était avancé sur une aide de 4 à 5 millions d'euros. Sans parvenir finalement à actionner de dispositif de revitalisation auquel Fagor, actionnaire minoritaire de SITL, puisse être éligible, le groupe ayant déjà profité du soutien public par le passé, et SITL se situant au-dessus de la barre des 250 salariés. Pierre Millet se contente d'observer... l'aide « purement morale » des collectivités territoriales. Mais cet ancien cadre dirigeant de Thomson CSF, qui a déjà racheté une petite entreprise de tôlerie dans l'Isère, continue néanmoins de croire fermement à son projet : « Nous ne sommes plus au milieu du gué. Depuis que nous avons nos premiers clients, nous avons déjà atteint l'autre rive. »

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Repères :

LES CHIFFRES
1 426 utilitaires électriques ont été immatriculés au premier semestre 2012. SITL, dont le premier véhicule, baptisé Citelec, a été lancé en septembre, vise désormais 10 % de ce marché d'ici à la fin de 2013.

LES ACTEURS
Le marché des utilitaires électriques se répartit entre les trois majors (Renault ZE avec son Kangoo électrique, le Berlingo de Citroën et le Partner de Peugeot) et tout un écosystème de petits constructeurs français (Goopil, Aixam Mega, Bellier, Fort) qui, eux, ne bénéficient pas de la prime Montebourg, et s'estiment négligés des pouvoirs publics.

LES TENDANCES
Les utilitaires représentent potentiellement le premier marché des véhicules électriques, dans la mesure où celui-ci intéresse les entreprises et les collectivités publiques. D'après l'association pour la promotion des véhicules électriques, la livraison des marchandises représente en France entre 9 et 15 % des déplacements en ville, et près de 50 % du gazole brûlé en milieu urbain. Si les zones d'action prioritaires pour l'air (Zapa) se multiplient en ville, le marché des utilitaires électriques pourrait décoller.

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