La nudité de Sophie Marceau censurée au Japon

Si les anges ont des sexes, peut-on les montrer à l'écran ? Wim Wenders affirme que oui. Il s'oppose sur ce terrain à la censure japonaise, qui réclame que deux scènes de Par-delà les nuages (Beyond the Clouds), le dernier film du maître italien Michelangelo Antonioni, soient « grisées ». En clair, « cachez les poils pubiens de Sophie Marceau et John Malkovich ! » L'auteur de Paris Texas, les Ailes du désir ou encore Until the End of the World est donc à Tokyo cette semaine, parle donc au nom d'Antonioni, pour lequel il a déjà servi de « voix » (Antonioni est incapable de parler depuis une attaque cardiaque, il y a douze ans) lors de la réalisation du film. « Il serait amusant que "Beyond the Clouds" soit "clouded" ("grisé")... », remarque Wim Wenders. Il continue, plus sérieusement : « Les scènes d'amour dans le film sont extrêmement pures et poétiques. Griser ces scènes soulignerait une obscénité là où il n'y en a pas, et produirait donc le contraire de l'effet escompté ». La décision (verbale) du comité de censure des films Eirin, le 16 avril dernier, est d'autant plus surprenante que les autorités douanières avait délivré (par écrit) l'autorisation d'importation des pellicules, dans leur version originale. La presse japonaise peut se permettre des nus intégraux Aussi, l'importateur du film, Shibata Organisation, a, pour la première fois de l'histoire de la censure au Japon, porté plainte contre la décision d'Eirin, le 31 mai dernier, après avoir reçu le visa R (oeuvre interdite au mons de quinze ans). Organisation privée, émanation de l'industrie cinématographique japo-naise, Eirin ne peut cependant pas voir ses décisions contestées devant les tribunaux. Hayao Shibata s'appuie justement sur ce point pour demander une attitude plus souple du comité. Il met en avant trois autres arguments ; d'une part, la différence de traitement entre l'administration (publique) des douanes et Eirin (privée) ; d'autre part, l'impossibilité d'obtenir un autre visa d'exploitation, même plus strict, mais permettant d'éviter les « grisages », ce qui équivaut de fait à une censure, interdite par la constitution japonaise. Enfin, si cette méthode est justifiée pour protéger un public jeune, signifie-t-elle qu' Eirin considère qu'il n'y a aucun adulte au Japon ? Wim Wenders a souligné l'hypocrisie de la censure : « Dans le métro, hier, j'étais assis à côté d'un jeune Japonais qui lisait ostensiblement une revue de bandes dessinées autrement plus obscène que "Par-delà les nuages". Qu'est-ce que je fais ici ? » La différence de traitement entre l'image imprimée (photographie) et l'image au cinéma est donc une nouvelle fois à la une. En effet, malgré une censure qui bannit depuis la Seconde Guerre mondiale toute exposition des poils pubiens, la presse japonaise (magazine ou de bandes dessinées, les célèbres mangas) peut depuis deux ou trois ans se permettre des nus intégraux sans craindre une descente de police ou l'interdiction du titre. L'industrie cinématographique n'a pas bénéficié de ce relâchement des rênes, au risque de provoquer des scandales réguliers. Ainsi, Bernardo Bertolucci avait dû enlever du Dernier Empereur les images d'archives décrivant les massacres commis en Chine par les troupes japonaises à partir de 1931. La polémique lancée par Wim Wenders soulève deux autres dossiers délicats : l'obsession des censeurs nippons à interdire la reproduction des organes sexuels, alors que les scènes de violence sont d'une fréquence et d'une brutalité inouïe dans les mangas ; et surtout la légitimité des décisions de ces comités et autres commissions, intermédiaires entre les pouvoirs publics et les industries, illustrations de la diffusion du pouvoir, donc des responsabilités caractéristiques au Japon. Même si la décision ne lui appartient pas, Wim Wenders n'exclut pas de diffuser le film sans coupe ni « grisage », passant ainsi outre l'avis formel d'Eirin. Celle-ci infirmera ou confirmera sa décision originelle dans un avis attendu pour la semaine prochaine. XAVIER LAMBERT, À TOKYO
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