Dès qu'un citoyen américain se met en route, le terme de road movie se glisse. Il a tant de fois servi et à tant de sauces qu'on répugne à l'utiliser pour le film de Jim Jarmusch dont le héros, à l'instar de ses compatriotes de cette fin du XIXe siècle, quitte pourtant Cleveland pour l'Ouest. Long voyage pour William Blake (Johnny Depp), parti pour rejoindre un modeste poste de comptable. Confronté aux impondérables des mauvaises rencontres, il se mue malgré lui en tueur. Désormais, il ne voyage plus, il fuit, traqué, gravement blessé. Les rencontres se suivent et ne se ressemblent pas. Celle qui lui fait connaître Nobody (Gary Farmer) change le cours de sa vie. Cet Amérindien lettré voit dans l'homonymie avec le célèbre poète anglais William Blake le lien qui le désigne, le signe en quelque sorte. Il accompagnera William. Tuteur gigantesque à la force rassurante, Nobody allie une lenteur tranquille à la rapidité de la flèche. Comme il lui ouvre la voie au milieu des embûches, des intempéries, des obstacles, des ennemis, il lui ouvre la voie des traditions de son peuple nourries de la connaissance, celle qui vous fait triompher des peurs, celle qui vous mène sans heurt aux frontières de la vie. Quand Nobody lâche le bateau dans lequel il a installé William, il le laisse voguer, serein, vers d'autres rives. Instruit de la complexité des hommes, de leur fragilité, de leur culpabilité comme de leur innocence, William peut enfin être seul, sans Personne. Pour cette quête initiatique, Jim Jarmusch a rendu hommage une fois encore au noir et blanc. La subtilité des contrastes, la douceur des fondus, la luminosité des blancs et la profondeur des noirs, dues à Robby Müller, donnent une dimension onirique qui laisse le champ libre au no man's land, à l'incertitude de l'entre vie et mort. S. CH.

latribune.fr

26 Sept 2008, 0:17

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