« Martha » ou de la difficulté d'être femme et libre

Tourné en 1972 pour la télévision, présenté en 1994 au festival de Venise, Martha est un des premiers maillons de ce que Rainer Werner Fassbinder se proposait : réaliser une douzaine de films qui recomposeraient l'Allemagne dans sa globalité, telle qu'il la voyait, chacun représentant une étape (1). Tourné avant le Mariage de Maria Braun (1978), Lili Marleen (1980), Lola (1981) et le Secret de Veronika Voss (1982), destins de femmes situés chacun dans une époque déterminée - avant, pendant et après le nazisme -, Martha n'est pas intégré à la fameuse tétralogie. Le film fait plus de place à la personnalité de la femme, élaborée par des siècles d'éducation, qu'à l'époque. Fassbinder ne la révèle que par un détail qui a toute sa signification : les hippies installés sur les escaliers de la place d'Espagne. Cette vision romaine altérée choque tellement le père (Adrian Hoven) de Martha (Margit Carstensen) qu'il en meure, rejetant, une fois encore et avec mépris, l'aide de sa fille. Ces rapports dominateurs, Martha les retrouvera immédiatement quand sa route croise celle d'un homme. Un regard et, presque à son insu, la chaîne est renouée. Lorsqu'elle reverra Helmut Salomon (Karlheinz Böhm) au mariage de son amie Ilse (Ingrid Caven), humiliée et désirée, victime de choix d'un bourreau attendu, elle entre, heureuse mariée, dans un cauchemar hitchcockien. Le séduisant Helmut se révèle un tortionnaire perfide. La séquence des coups de soleil qu'il lui fait prendre sciemment est un des signes les plus pervers de l'oppressante domination qu'il va exercer sur Martha. Il n'a de jouissance qu'au travers de la douleur morale et physique de sa femme. Le drame se tisse peu à peu. La terreur de Martha croît au fur et à mesure des imaginations punitives d'Helmut, lui bloquant, d'interdits en interdits, toutes les issues. Comment ne pas voir dans le personnage d'Helmut les ingrédients du parfait nazi ? Fassbinder bâtit autour de cette évidence un film angoissant aux suspenses successifs. Un Hitchcock dont ne serait pas exclue la réalité, celle qui peut vous rattraper à chaque tournant. Rainer Werner Fassbinder ne fera plus de films, peut-être ne faut-il pas laisser passer celui-là. SOPHIE CHEMINEAU (1) « Le Monde » du 17 avril 1981.
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