Le livre noir du Londres d'aujourd'hui

Le fait est suffisam-ment rare pour être signalé : voici un scénariste à succès (My Beautiful Laun- derette, Sammy et Rosie s'envoient en l'air) qui est également un auteur reconnu. Après le Bouddha de banlieue, un premier roman particulièrement remarqué lors de sa parution il y a deux ans, voici Black Album, un voyage dans la contre-culture londonienne, mêlé d'une charge contre l'Université et surtout contre l'intégrisme. Hanif Kureishi, dont les parents sont originaires de Bombay, est un « beur d'outre-Manche » : son style, à base de dialogues percutants, frappe à faire mal, naturellement. Avec Salman Rushdie, dont il est beaucoup question dans le livre, et Ben Okri, c'est un des écrivains anglais de sa génération qui dérange. L'histoire, qui se déroule à Londres, est celle d'un jeune Pakistanais, Shahid, qui fréquente une université de seconde zone, où enseigne Deedee, sa prof et amante, un peu baba et beaucoup gauchiste. En mal d'insertion, le héros amateur de musique, de littérature, de chutney et de tranquillité, vit mal le thatchérisme ambiant. Nous sommes en 1989, l'année où le Mur tombe et où les Versets sataniques sont mis à mal. Car les voisins de chambrée de Shahid, Pakistanais comme lui, veulent poursuivre grands et petits Satans. Dans un premier temps, il va, aux côtés des « Frères », qu'il ne juge pas si antipathiques que ça, et, après tout, même s'il a aimé le livre, il estime avec eux que la fatwa est méritée. Mais, au fur et à mesure des journées, studieuses, et des nuits, agitées, il devient circonspect, puis carrément hostile. Pour ensuite rompre et se laisser glisser, mollement dans un environnement qui ne le satisfera pas totalement. On le sent, la contradiction entre deux cultures pèse sur sa vie, mais en fin de compte, c'est l'insertion et non la marginalisation qu'il choisit. Même si la révolte reste sous-jacente... et l'excuse pour continuer à flirter avec la drogue. Le livre pourrait être un essai sur le fondamentalisme religieux, sur l'intolérance, sur une contre-culture, sur une inadaptation. Il n'en est rien : ce roman, qui a le mérite de ne jamais être polémique, est avant tout une comédie de moeurs bien enlevée. C'est aussi un plongeon dans une société souterraine, une galerie de personnages souvent attachants, une description d'un monde universitaire à la limitede la marginalité. Mais c'est surtout une mise en garde contre le racisme ordinaire, « le mal profond », selon Hanif Kureishi, « pas seulement ici, mais dans toute l'Europe », écrit-il. C'est pourquoi « il faut choisir son style de vie et s'adapter aux autres ». Un choix que l'auteur a fait en devenant le scénariste de Stephen Frears. Il est ainsi un artiste qui a su mettre en avant son propre talent. En décrivant la vie de ceux qui se pensent autrement, il s'est adapté. En écrivant un roman dérangeant. Jérôme Stern
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