Chronique d'une passion annoncée

Ils se sont enfuis sans donner d'explication. Evitant les aéroports, les villes et même les plages, un couple illégitime s'enfonce en voiture dans la campagne. Lui est un homme public, chargé de responsabilités importantes. Elle, une entraîneuse qui chante dans les restaurants. Une bonne trentaine d'années les sépare. Peu lui importe. De la jeune femme, il n'a retenu que la bouche écarlate. C'est un fantasme aperçu dans une revue de lingerie, une créature de rêve, incarnation somptueuse de la féminité. « Il avait oublié l'émotion qu'on peut ressentir sur une petite route entre des arbres, au bout de laquelle il y a peut-être un hôtel promettant une halte heureuse réservée à l'amour », écrit la romancière portugaise Lidia Jorge. C'est le troisième roman traduit en français de ce professeur de littérature vivant à Lisbonne. Avec une maîtrise parfaite, elle nous embarque dans cette escapade amoureuse, qui va prendre un tour de plus en plus bizarre. En effet, l'énigmatique jeune femme ne va pas se prêter au scénario imaginé par son compagnon. Simple caprice ? Blague abominable ? L'homme est d'autant plus troublé, qu'il « avait passé des années » à éviter la tentation d'une « passion indécente », « à l'écarter de son chemin avec la force de qui suit le noble instinct de la pauvreté. » Au fil des heures, il a du mal à assumer son incartade. Après des années de sérieux, la liberté insensée qu'il s'est soudain octroyée, lui fait tout à coup vraiment peur. Pour tromper son angoisse, il s'enfonce dans un luxe de préventions, qui n'aboutissent qu'à exacerber son désir. Las, un simple message glissé sous sa porte le met hors de lui. Elle s'amuse à le faire languir... La tension s'exacerbe de page en page En outre, le faux club de chasseurs, où il a voulu l'entraîner, se révèle un lieu étrange et déconcertant, ajoutant à son trouble. Tout y est soi-disant mis en oeuvre pour assurer la trnquillité absolue de ses occupants, et leur garantir le plus parfait anonymat. Mais pareille quête s'avère vaine et tourne même au grotesque, avec ce personnel qui circule les yeux bandés, ce maître d'hôtel qui s'adresse aux convives derrière un rideau. De page en page, Lidia Jorge fait en sorte que la tension s'exacerbe. Dans de longs monologues intérieurs, le respectable ingénieur mêle ses souvenirs d'enfance et ses frasques d'époux infidèle. La bouche écarlate de la jeune femme le hante et l'obsède, quintessence de toutes ses aventures féminines. La nuit, son esprit se retrouve pris dans une sarabande infernale. La jeune femme lui échappe. Avec sa délicatesse et sa tendresse, il a fait fausse route. Est-il bien sûr d'être encore capable d'aimer ? Au final, ce huis clos infernal tient toutes ses promesses. Lidia Jorge, dont les Editions Métailié avaient déjà publié le Rivage des murmures ainsi que la Journée des prodiges, signe ici un roman captivant. La finesse de l'analyse du désir masculin le dispute à une sagesse ironique et amusée. Il y a un peu de l'univers raffiné du grand dramaturge américain Henry James dans cette fable désenchantée sur la recherche impuissante de plaisir... François WAGNER « La Dernière Femme », par Lidia Jorge. Roman traduit du portugais par Geneviève Leibrich. Editions Métailié (221 pages, 130 francs).
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