Norman Mailer perce le mystère Oswald

Lee Harvey Oswald reste l'une des figures les plus énigmatiques de l'histoire américaine contemporaine. A vingt-quatre ans, cet ancien Marine, ayant vécu plus de deux ans - de son plein gré - en URSS, assassina John Fitzgerald Kennedy, le 22 novembre 1963, à Dallas. Etait-il un espion du KGB ou, au contraire, un agent de la CIA ? A-t-il été chargé de cette besogne par la Mafia ? Sinon, quels étaient ses mobiles ? C'est à toutes ces questions, maintes fois traitées mais jamais élucidées, que s'est attaqué Norman Mailer. Pour gravir « la plus haute montagne de mystère du XXe siècle », le grand écrivain américain a installé son camp de base à Minsk. En effet, rêvant de devenir un citoyen soviétique, Oswald avait vécu dans cette ville, entre 1960 et 1962, deux années sur lesquelles on ne savait jusque-là rien ou presque. Pour la première fois, Mailer a eu accès aux archives du KGB et aux volumineux dossiers relatifs à Oswald. Avec un luxe inouï de détails, les agents soviétiques ont suivi les moindres faits et gestes de ce drôle de citoyen. Mettons-nous deux minutes à leur place. Voilà un jeune homme de vingt et un ans, qui a servi dans les Marines, où il s'est familiarisé avec l'électronique et les radars. Calme et charmant, il arrive à Moscou, le 16 octobre 1959 pour y effectuer un voyage touristique en solitaire. Et puis, tout à coup, il déclare qu'il veut rester en Union Soviétique, au prétexte - plutôt mince - que le pays de Lénine lui inspire de la sympathie... Les Russes avaient appris à se méfier : 99 % des Américains qui le faisaient avaient l'esprit dérangé. Oswald ne correspond pas à l'idée qu'on peut se faire d'un Marine : chétif et timide, il a tout du « fils à sa maman ». Sa demande est très suspecte, d'autant qu'elle s'accompagne d'une tentative de suicide simulée... N'est-il pas envoyé par la CIA afin d'observer de l'intérieur la vie quotidienne des Soviétiques ? Peut-être est-ce un provocateur qui recherche un incident diplomatique en pleine guerre froide ? Quoi qu'il en soit, les agents du KGB décident de lui assurer des conditions de vie décentes et l'envoient à Minsk, une grande ville où il sera facile de le faire suivre à tout instant. Oswald se retrouve donc employé comme vérificateur dans une usine fabriquant du matériel radio. « Un être de type émotionnel » Le KGB local est chargé de découvrir si Oswald est bien ce qu'il prétend être. Ses enquêteurs ne le lâchent pas d'une semelle. Fréquentations, connaissances, amours sont suivies au jour le jour. Las, cet Américain semble n'avoir aucune imagination, ne s'intéresse guère à son travail, apprend le russe péniblement. Un sujet décevant, jamais violent en public et, qui plus est, mauvais chasseur. « Un être de type émotionnel », estime le KGB, qui le trouve doté d'une intelligence médiocre. Une fois ces archives minutieusement dépouillées, Norman Mailer interroge les nombreux Russes qui ont connu Oswald et n'avaient jamais témoigné depuis 1963. Nouvelle première ! Mais, au bout du compte, l'écrivain doit se rendre à l'évidence : Oswald n'a jamais été chargé d'une quelconque mission par le KGB. « Il espionnait le monde, conclut Mailer, pour s'adresser des rapports à lui-même. » Cependant, la traque passionnée ne s'arrête pas là. Le portraitiste d'Oswald refait l'enquête aux Etats-Unis, épluche les montagnes de dossiers publiés par la fameuse Commission Warren, qui écarta la thèse du complot, ainsi que par la Commission sénatoriale sur les assassinats. Lentement mais sûrement, Mailer en arrive à la conclusion que le but d'Oswald dans la vie « était d'atteindre la grandeur », fût-ce au prix du meurtre politique. « Il était psychologiquement capable de tuer Kennedy » et « il a probablement agi seul », écrit Mailer. Au terme de cette investigation passionnante, son auteur rend les armes : il est vrai qu'un petit homme solitaire, dyslexique, mégalo et hystérique a abattu le chef de la nation la plus puissante du monde. L'absurde se mêle ici au tragique. D'une certaine façon, les Etats-Unis ne s'en sont jamais remis. François WAGNER « Oswald, un mystère américain », par Norman Mailer. Document traduit de l'anglais par Pierre Grandjouan. Collection Feux Croisés, chez Plon (714
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