Pierre Richard, les rêves d'empire d'un mécène

Il joue pour la première fois la comédie dans un théâtre parisien et devant 400 spectateurs. En 1963 ou 1964. A l'époque, il est à l'école des Ponts et Chaussées. Un petit rôle, un comte russe, mais une expérience qui lui fait comprendre la difficulté d'être bon acteur. Depuis, Pierre Richard (homonyme de l'acteur de cinéma) n'a rien oublié. Président-directeur général du Crédit Local de France (CLF), premier partenaire financier des collectivités locales, il estime toujours qu'il joue la comédie et que les élus locaux - ses interlocuteurs - sont de grands acteurs de la vie publique. « Au théâtre, j'aime être près des acteurs. J'aime sentir vivre les gens. » Propos sans équivoque qui semblent donner les clés de la présence du CLF parmi les partenaires financiers du festival d'Avignon. On pense alors à ces patrons qui donnent dans les bonnes oeuvres et satisfont en même tempsà leur passion. Pas si vite. C'est le premier acte, celui des rapports de Pierre Richard avec le théâtre. Et où il est précisé que le patron du CLF - dont on ne sait si la minceur traduit de la raideur ou de la fragilité - n'aime pas la vie mondaine, qu'il ne fréquente pas les acteurs. « J'ai besoin de temps », répète-t-il en donnant d'autres gages : « Je médite tous les matins. Il me faut vingt minutes de calme, d'apaisement mental. La méditation m'est indispensable pour me détacher du superficiel. J'ai fait mes choix. Je ne veux pas copier mes collègues chefs d'entreprise qui se répandent partout, dans toutes les radios. Je me consacre à mon entreprise, sans me disperser. » Ses collaborateurs le savent. Certains disent qu'il a la hantise de l'affectif. Donner plus d'identité à son entreprise D'autres, qui l'ont quitté, estiment que s'il n'a pas un gramme de graisse, c'est qu'il brûle tout pour satisfaire son besoin de réussite. Mais tous de reconnaître aussitôt que « c'est lui qui a le plus d'idées dans la maison », que « sa mémoire colossale alimente en permanence son don de visionnaire » ! Et c'est là que s'ouvre l'acte deux. Sur un dîner en ville au début des années 80. A la table, Bernard Faivre d'Arcier, directeur du festival d'Avignon. En face, Pierre Richard qui, alors à la Caisse des dépôts, développe à l'époque des liens de plus en plus étroits avec les collectivités locales. Le premier manque d'argent pour son festival, le second voit l'opportunité de donner plus d'identité à son entreprise comme relais financier local dans une France en pleine décentralisation. Il fallait de l'audace pour lancer une partie de l'institution que représente la Caisse des dépôts dans le mécénat théâtral. Pierre Richard met 200.000 francs en 1984 sur le festival (un million cette année). Dès l'année suivante, il invite en Avignon les élus locaux un jour de juillet pour un séminaire musclé sur la décentralisation. Rapidement, le rendez-vous annuel devient un des moments forts du débat politique entre jacobins (en perte de vitesse) et montagnards (à la recherche de nouvelles frontières). Visionnaire ou calculateur, Pierre Richard, qui ne fréquentait pas le festival avant 1984, a au fil des ans confirmé son rôle dans la cité des Papes « pour dire aux élus locaux : regardez, nous sommes vos partenaires sur la durée ». Les chiffres parlent d'eux-mêmes : un résultat net 1995 du CLF qui frôle le milliard et demi de francs et les meilleures notes dans les agences de notation. Introduit en Bourse en 1991, privatisé en 1993 et donc sorti de la Caisse des dépôts, le CLF fait partie du CAC 40. Mais côté festival, Pierre Richard s'interroge de plus en plus ouvertement : « Je suis bon public, mais je trouve dommage que ce soit si souvent triste. L'époque où Alain Crombecque dirigeait Avignon était drôle. J'ai adoré. » Un avertissement pour Faivre d'Arcier quant à l'avenir de son soutien ? « Le mécénat relève un peu de l'arbitraire », glisse Pierre Richard, qui ajoute comme un poisson (son signe) entre deux eaux : « Nous réfléchissons encore avant de prendre une décision pour l'année prochaine. » Alors il évoque son association Alliance Opéra qui soutient financièrement le développement des opéras de province et s'étend plus ostensiblement sur sa fondation d'entreprise qui forme et parfois embauche des jeunes. « C'est cela qu'attend le public. Le patron doit être l'arbitre mais pas l'autorité. Je crois de moins en moins à la hiérarchie. Il doit y avoir de moins en moins de décisions arbitraires... » Pour qui a mal vécu les grandes colères de Pierre Richard, ses exigences « hors du commun », sa façon d'épuiser des collaborateurs, qui parlent pourtant de lui avec émotion même après l'avoir quitté, il y a besoin d'explications dans un troisième acte qui restera inachevé. On peut chercher du côté de sa formation : « La première grande étape de ma vie est d'avoir été reçu à Polytechnique en 1961, moi enfant d'une famille modeste provinciale. » Ou de son entrée à l'Elysée en 1974 (« J'ai comploté pour y arriver »), séduit par la jeunesse du président Giscard d'Estaing. C'est sa chance. Connaisseur des problèmes de cadre de vie pour être notamment passé par le cabinet du secrétaire d'Etat au logement entre 1972 et 1974, il prend à bras le corps, à la présidence, les questions des collectivités locales. Et il complote encore pour s'occuper de décentralisation, en 1978, à la DGCL (direction générale des collectivités locales). Il y restera un an après l'arrivée de la gauche au pouvoir pour participer aux projets de loi de ce qui deviendra les lois Defferre. Chantre de la décentralisation, on lui prête encore des ambitions politiques. Mais entré à la Caisse des dépôts, il finit par devenir le patron du CLF qui, privatisé, s'engage dans un développement international. Il peaufine une alliance avec le Crédit communal de Belgique qui devrait aboutir avant la fin de l'année. Finie la politique ? La réponse fuse : « A plus de cinquante ans, c'est trop tard. » Pierre Richard a désormais des rêves d'empire comme plus jeune il rêvait de devenir bâtisseur. Jean-Pierre Bourcier
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