Sortie de crise : quelques bonnes nouvelles ! ... Gabrielle Rolland et Hervé Serieyx, vice-présidents de l'Institut européen du leadership, auteurs de « Colère à deux voix ».

S'il est vrai qu'au cours des cinq dernières années la dette publique de la France est passée de 2.000 milliards à 4.000 milliards de francs, les 10 milliards de francs qu'auraient coûté les grèves de décembre 1995 constituent sans doute un prix relativement modeste tant il nous aura permis de nous payer de bonnes nouvelles. Première bonne nouvelle : les Français sont vivants ; on les croyait chloroformés, réduits à l'état de sondés passifs : ils réagissent vigoureusement ; les uns pour défendre leurs acquis, les autres, dans un soutien tacite aux premiers, dont le mouvement pourtant handicape leur vie quotidienne, et par la manifestation d'une solidarité débrouillarde et bon enfant : le citoyen mécontent l'a emporté sur l'usage gêné. Deuxième bonne nouvelle : avec Michel Crozier, nous étions quelques-uns à hurler - souvent dans le désert et au risque d'être accusés de populisme et de démagogie - qu'une trop grande concentration dans tous les lieux de pouvoir d'un certain type d'intelligence gestionnaire, « mécanicienne », dressée pour le maniement de rationalités pauvres plus qu'entraînée à l'écoute des différences et à l'appréhension de la complexité bloquait les évolutions nécessaires de notre société. Mieux que nos discours, la démonstration en vrai grandeur, qui vient d'être faite au sommet du pays, a permis une prise de conscience nationale de la gravité de la situation. Troisième bonne nouvelle : le syndicalisme revient. Les ajustements que va devoir réussir notre société, le personnel politique serait bien en peine de nous les imposer. Seuls les permettront la négociation et le contrat. Or, à l'inverse de nos voisins allemands, nous avons une faible culture du compromis. Tout ce qui peut revivifier le dialogue social est bienvenu, pour peu, bien sûr, que les partenaires arrêtent de réciter des rôles convenus ou de jouer les bravaches : la nécessité de changer concerne tout le monde. Heureusement, on voit émerger des attitudes et des discours nouveaux, tels ceux de Didier Livio, président des Jeunes dirigeants, ou de Nicole Notat pour la CFDT. Quatrième bonne nouvelle : la France était en panne de projet ; la récente actualité lui en fournit un. Comme le rappelait Edgar Morin : « Nous sommes à un moment où le salut par le socialisme et le salut par l'économie libérale ne signifie rien », on ne peut pas distribuer ce que l'on n'a pas produit ; en revanche à quoi sert une économie florissante si c'est au prix d'une société fracturée. Alors, quel projet ? Des pays comme l'Amérique et la RFA ont tranché : pour les Etats-Unis, la société est au service de l'économie ; que les « winners » gagnent, et tant pis pour les perdants ; pour l'Allemagne, l'économie est au service de la société : les récentes initiatives de l'IG Metall et de la DGB montrent que dans l'économie sociale de marché, on partagera les salaires, les emplois, le temps. Le débat sur les services publics à la française peut permettre d'inventer un modèle hybride et riche dont la France pourrait être la porteuse militante au sein de l'Europe : une économie au service de la société, irriguée, régulée par de grandes entreprises publiques de réseaux (EDF, SNCF, etc .) à ce point dynamiques qu'elles seraient capables à la fois d'assurer des missions de service public et d'affronter la concurrence du monde. Toutes ces bonnes nouvelles n'annoncent qu'une première étape qui peut déboucher sur un enlisement, une autre explosion ou une véritable transformation sociale. Saurons-nous poser les problèmes autrement ? Reconnaîtrons-nous que nos solutions efficaces et logiques sont inacceptables si chacun ne s'approprie pas la réalité de la situation, si chacun ne cherche pas quel est le sens nouveau que peut prendre l'autre millénaire ? Qui nous empêche d'ouvrir les chantiers du futur ? De réfléchir à une nouvelle organisation de nos modes de vie ? D'imaginer une société où le partage du travail ne serait pas le sacrifice de certains pour d'autres mais une nouvelle façon d'être ? Imaginons que ceux qui sont aux commandes de l'information, les médias, les politiques, les experts créent les conditions de l'expression et du débat, alors, le poids de l'angoisse diminuerait, l'intelligence collective pourrait prendre le pas sur l'intelligence individuelle. 10 milliards de francs pour apprendre tout ça, ce n'est pas forcément hors de prix.
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