Composants électroniques : les Européens à la traîne

« La Tribune ». - Vous n'hésitez pas à dire que, comme le bâtiment à une époque, le marché du semi-conducteur est devenu l'indicateur de la reprise économique. N'est-ce pas un peu excessif ? Didier Coulon. - Lorsque l'on note un tassement de l'activité économique, le secteur des semi-conducteurs est parmi les premiers à être touché. A l'inverse, si l'activité redémarre, l'industrie du semi-conducteur est parmi les premières à en bénéficier. Ce phénomène a été clairement mis en évidence aux Etats-Unis en 1987-1988, ainsi que tout récemment lorsque la reprise du marché des semi-conducteurs annonçait dès 1992 la reprise économique de 1993. Ce comportement cyclique de l'industrie du semi-conducteur n'est pas uniquement lié à l'activité économique. On peut dire que le semi-conducteur a son cycle propre. Cette industrie a connu sept cycles au cours desquels le marché a décru à cinq reprises. Ces cycles sont mondiaux et on constate que le décalage dans le temps entre les différentes régions du globe s'efface progressivement. Les moteurs de ces cycles sont l'innovation, la généralisation de la demande, le sur-stockage puis, à la fin, l'effondrement du marché. Dans cette logique, comment expliquer, par exemple, la stabilité du prix des mémoires, dont on attend une baisse de prix depuis bientôt dix ans ? Les mémoires illustrent très bien ce qui se passe à grande échelle dans le monde des semi-conducteurs. A fonction constante, les prix baissent, mais ces circuits intègrent de plus en plus de va- leur ajoutée. C'est ce qui explique que leur prix ne baisse pas. On peut comparer cela avec ce qui se passe dans le domaine des micro-ordinateurs. Le prix d'une bonne machine moyen de gamme est resté le même au cours des derniers semestres, mais pour ce même prix, on obtient une machine toujours plus puissante. Quels sont les pôles mondiaux de l'électronique ? Aujourd'hui, le principal débouché des composants électroniques se trouve dans l'industrie informatique et ce sont actuellement les Etats-Unis qui tirent ce marché. Résultat : les producteurs de composants comme Motorola, Texas Instruments, AMP ou IBM ont pris le leadership devant les Japonais comme NEC, Hitachi ou Fujitsu. Les Américains ont regagné le leadership face aux Japonais en informatique grâce à leur R&D, au logiciel et tout simplement à la langue. La roue a tourné et il est intéressant de constater qu'au cours de la décennie précédente, ce sont les japonais qui ont détenu le leadership grâce à l'électronique grand public. Il s'agit d'un marché totalement différent où les facteurs clés étaient miniaturisation, très grandes séries, sans oublier savoir-faire au niveau du processus d'industrialisation pour produire dans les meilleures conditions. Enfin, on oublie trop souvent que les Japonais disposent d'une réelle compétence en mécanique de précision. Si, pour faire de l'électronique grand public, il faut des composants, pour fabriquer des magnétoscopes ou des magné- tophones, il faut aussi des roulements à billes et de la micro-mécanique. Comment la situation va-t-elle évoluer au cours des prochaines années ? Il est difficile de faire des pronostics, on sait que les semi-conducteurs seront de plus en plus intelligents et intégreront une valeur ajoutée toujours plus importante. Un problème va se poser rapidement, celui de l'interconnexion des composants. A la limite, pour caricaturer, on peut dire qu'il ne sert à rien d'avoir des composants actifs d'une extrême sophistication si on arrive pas à les intégrer de façon optimale dans des sous-ensembles. Schématiquement, aujourd'hui, dans le domaine des composants actifs, ce sont les Etats-Unis qui sont en tête, mais les Japonais gardent une certaine prééminence dans les passifs. L'Europe a-t-elle encore une place dans ce scénario ? Il faut bien comprendre que l'on ne peut pas préserver et développer des industries électroniques sans avoir en amont une industrie du composant qui soit forte. L'idée selon laquelle il est plus simple et plus économique d'acheter sur le marché des composants banalisés aux quatre coins du monde n'est peut-être pas toujours judicieuse. Ainsi, les industriels japonais continuent-ils à produire des semi-conducteurs de puissance alors qu'ils pourraient s'approvisionner sur le marché. Pourquoi ? Parce que la maîtrise de la filière du composant en amont conditionne la réussite au niveau du produit électronique fini. D'autre part, il faut noter que les Européens ont une position relativement forte dans le secteur des composants passifs, mais pas du tout dans celui des semi-conducteurs. Cela est lié au fait que l'industrie du composant passif est constitué d'un tissu de PMI diffus, alors que les producteurs de composants actifs sont généralement des très gros groupes. Cette taille critique à atteindre est due à l'effort nécessaire en R&D, qui est important mais que des plus petites entreprises peuvent aussi réaliser. La taille critique est aussi liée aux inves- tissements financiers colossaux indispensables pour mettre sur pied des unités de production toujours plus sophistiquées. Le problème du semi-conducteur est peut-être moins de concevoir que de fabriquer. Propos recueillis par Frédéric Lorenzini
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