La seule voie de relance, c'est ramener les taux d'intérêt à zéro

« La Tribune ». - A l'occasion de ses voeux aux Français, le président de la République s'est déclaré favorable à une diminution du temps de travail. Qu'en pensez-vous? Noël Goutard. - La réduction du temps de travail implique toujours une augmentation des coûts de main-d'oeuvre car ces éolutions s'entendent, pour les bas salaires, à revenus équivalents. Ces dispositions se traduisent donc par des surcoûts pour l'industrie et donc des efforts supplémentaires pour en neutraliser les effets. Et, par conséquent un surcoût qui, naturellement, sera payé par le consommateur et le contribuable. Personnellement, j'avais une autre vue sur le sujet. Je pensais que, pour pouvoir assurer des revenus au moins égaux en diminuant les surcoûts, on pourrait envisager une augmentation du temps de travail. Les activités industrielles qui ne réclament pas de qualification ont été pour la plupart aujourd'hui délocalisées. Nos concitoyens sont donc de plus en plus qualifiés. Cette évolution traduit un gros effort de formation et d'investissement. Mettre au « chômage » par une diminution du temps de travail ce professionnalisme est improductif pour la nation et va contre le principe du relèvement des qualifications. Une autre façon de favoriser l'emploi serait de réhabiliter les « petits boulots » méprisés en France notamment dans le domaine des services et de permettre aux entreprises d'employer des gens peu qualifiés avec le maximum de flexibilité et sans imposer une rigidité dont on meurt tous. Au cas où des décisions se traduiraient par la surcharge dont vous parlez, quelles dispositions seriez-vous amené à prendre ? Un groupe international doit nécessairement arbitrer ses coûts. Nos clients, d'ailleurs, arbitrent pour nous. Pour obtenir de meilleurs prix, les constructeurs automobiles nous demandent de transférer nos productions dans telle usine britannique, par exemple, parce que la main-d'oeuvre y est meilleur marché. Après les dévaluations compétitives des Britanniques, des Italiens et des Espagnols en 1992, on a cru que les Français allaient abandonner leur politique du franc fort. Comme cela ne s'est pas produit, la sanction e s'est pas fait attendre. Dès 1994-1995, nous avons subi une pression accrue et systématique de nos clients installés dans des pays à monnaie forte - je parle bien sûr de la France et de l'Allemagne - pour que nous produisions en dehors des frontières. Fallait-il dévaluer le franc? En 1992, on avait encore de la marge. Mais les opportunités disparaissent. Le seul chemin qui soit encore ouvert aujourd'hui est celui des taux. Lorsque les Etats-Unis puis le Japon ont voulu sortir de la crise, ils ont ramené les taux quasiment au niveau zéro. Je ne vois pas, pour l'instant, d'autres voies pour relancer l'économie française. Il y a malgré tout des éléments encourageants dans ce qui s'est passé en décembre 1995, pédagogiquement important pour la collectivité nationale. La France, qui a modernisé son industrie, vient de franchir un premier pas vers la modernisation de l'Etat. Celui-ci vit toujours au-dessus de ses moyens, mais je suis sûr que les Français comprennent mieux la nécessité d'engager des réformes pour régler le problème des déficits publics et sociaux. Comment considérez-vous la parité actuelle entre le franc et le mark, autour de 3,41 ? Il est clair que les deux monnaies sont surévaluées. La politique du franc fort a débouché sur les problèmes qu'on pouvait craindre. L'objectif - l'alignement des monnaies européennes - est louable, mais la méthode pour y parvenir brutalise la France, avec les conséquences sociales et économiques que l'on connaît. Cette méthode a été guidée par le dogme, pas par le pragmatisme. Vous estimez donc que la France a encore une marge de manoeuvre pour réduire ses taux ? Bien sûr. Il serait intéressant d'expérimenter une très forte baisse des taux d'intérêt pour relancer l'économie. Concrètement, comment se comporte Valeo face aux impératifs de ses clients dans les arbitrages ? Nous employons en France 15.000 personnes dans 25 usines. Nous devons intensifier nos efforts de productivité pour faire face aux hausses constantes des charges, impôts et taxes et neutraliser les écarts avec nos concurrents européens - je ne parle pas des asiatiques. Nous lançons des programmes de rationalisation, de motivation, de formation et de mobilité du personnel. Et nous nous concentrons sur des produits qui, par leur technologie, optimisent la qualification du personnel. Mais ce n'est pas gagné d'avance. Car lorsque nous sommes confrontés à des arbitrages, notre première responsabilité consiste à conserver nos clients. Etes-vous dans une logique de délocalisation? Dès 1994, nous avons été amenés à le faire. Et je pense que la pression de nos clients va s'accentuer. D'autant que la confiance de notre clientèle internationale a été ébranlée par les grèves du mois de décembre. En 1996, je crains que l'effet coût et l'effet confiance se conjuguent dans l'esprit de nos clients pour nous demander de délocaliser. Mais il s'agit de perception extérieure ; ne dramatisons pas. Je rends hommage à nos salariés qui se sont admirablement comportés pendant les grèves, et ont démontré, avec d'autres du secteur compétitif, leur lucidité face aux enjeux économiques. En outre, nous aurons toujours l'obligation de produire en France pour des impératifs de proximité lorsqu'il s'agit de satisfaire les besoins de Renault et de PSA Peugeot-Citroën. Allez-vous continuer d'investir en France ? Il n'est pas dans notre intention de ne pas investir en France. Mais nous serons très vigilants. Car il ne faudrait pas grand-chose pour faire basculer notre décision sous la pression du marché et des clients. Devons-nous, pour commercialiser nos nouveaux produits, lancer une nouvelle chaîne de production de préférence en France ? C'est là toute la question. Néanmoins, ces dernières années nous avons beaucoup investi dans l'Hexagone, notamment dans la création ou la modernisation de centres techniques (La Verrière, Créteil, Limoges, Sens...). Nous associons de plus en plus usines et bureaux d'études, ce qui nous permet d'optimiser nos coûts en combinant technique et processus de fabrication moderne. Et à l'étranger? Nous nous sommes aussi renforcés beaucoup à l'international. Nous avons notamment acquis en fin d'année 80 % de l'activité embrayages du polonais FSO, ce qui nous permet de pénétrer un nouveau marché. Nous avons renforcé notre présence en Amérique du Nord et du Sud. Notre usine canadienne (éclairage) vient de démarrer sa production. Elle fournit General Motors et Chrysler. Nous nous développons aussi fortement en Asie et plus particulièrement en Corée, à Taegu et à Chochiwon, et en Chine à Shanghai, Wuhan, Shashi et Wenling. Quant à notre partenariat avec Siemens dans la climatisation, il conforte notre position en Allemagne puisqu'après VW, nous sommes les fournisseurs d'Audi, Mercedes et BMW. Ce qui suppose un budget important de recherche et développement ? Nous consacrons chaque année à ce poste quelque 6 % de notre chiffre d'affaires. Ainsi, l'an dernier nous avons dépensé pour ce poste environ 1,6 milliard de francs. Nous continuerons sur cette voie. Notre budget doit augmenter de 10 % cette année. Car nous avons énormément de projets. Quel est votre programme d'investissements et comment est-il financé ? Il se situe autour de 5 milliards de francs étalés sur les deux prochaines années et sera entièrement autofinancé par le cash-flow que nous dégagerons. D'autre part, notre situation financière est saine. Nous n'avons pratiquement plus d'endettement. Vous avez évoqué de nombreux projets. S'agit-il de nouveaux secteurs d'activité ? Dans chacune de nos branches d'activité nous avons la possibilité, à partir de notre technique de base, d'élargir notre champ de compétence. Dans les embrayages, nous sommes allés vers les embrayages électroniques et vers les commandes hydrauliques. Dans l'éclairage, nous allons développer de nouveaux projecteurs avec lampes à décharge. Et dans le domaine de la navigation, nous serons présents dans les systèmes particuliers de guidage des véhicules par satellite. On assiste aujourd'hui à des opérations de concentration dans les équipements automobiles. Etes-vous prêt à participer à ce mouvement ? Nous sommes prêts à saisir les opportunités. Nous avons la taille critique pour cela et surtout les moyens financiers et humains. Notre développement futur passe par la croissance interne et aussi par le rachat d'entreprises, la création de joint-ventures technologiques, ou encore des implantations dans des pays émergents. Quelle est votre position dans vos différents secteurs d'activité ? Nous sommes numéro un mondial dans l'embrayage, leader européen et bien placé mondialement dans la climatisation, le thermique moteur, l'éclairage, la sécurité de l'habitacle. Dans les alternateurs et démarreurs nous sommes le deuxième européen. Dans l'essuyage, où nous sommes troisième européen, nous avons encore des opportunités à développer. Le renforcement du contrôle technique pour les véhicules est-il une bonne chose pour vous ? Sans aucun doute. Valeo est en effet, à ma connaissance, l'équipementier qui dispose le plus de produits de remplacement : éclairage, embrayages, essuie-glaces alternateurs, démarreurs, radiateurs... Quelle a été, ces dernières années, votre politique d'embauche ? Dès 1992, nous avons vu venir la crise internationale et constaté que les constructeurs recherchaient les meilleurs coûts. Aussi, n'avons-nous pas recruté massivement d'opérateurs de machines. Néanmoins, nous avons été très attentifs à préserver l'emploi et à améliorer productivité et chiffre d'affaires à effectif stable. Toutefois, au moment de « pics » de production comme en 1994, nous faisons appel à des intérimaires. Sur notre effectif de 15.000 personnes en France, 1.500 sont des intérimaires qui reçoivent la même formation que nos per- manents. Nous encourageons éga- lement la mobilité de notre person- nel entre nos différents sites avec la mise en place d'une bourse de l'emploi. En revanche, nous avons recruté et continuons à recruter des ingénieurs. Ils ont été 2.000 à rejoindre notre groupe ces trois dernières années. Etes-vous favorable au travail en alternance ? Oui. Nous y avons recours. C'est une très bonne méthode pour connaître les jeunes. Ils sont réalistes et ont des idées claires. Je suis satisfait de voir qu'il y a chez Valeo de plus en plus de jeunes et de plus en plus de femmes. Je note en particulier que les jeunes immigrants des première et deuxième générations ont une grande volonté de promotion sociale. Quel a été pour votre groupe le coût des grèves du mois de décembre ? Pour livrer nos clients dans les délais, nous avons dû recourir à des moyens de transport exceptionnels comme l'avion, ce qui bien évidemment s'est traduit par des frais supplémentaires. La place de la France dans le commerce mondial vous rassure-t-elle? C'est nourrir une illusion que de présenter la France comme durablement installée au quatrième rang des pays exportateurs. Dans dix à quinze ans, nous risquons d'être relégués au vingt-cinquième rang derrière la Chine, la Corée, l'Inde... Il serait plus pédagogique de répéter que le véritable enjeu consiste à nous maintenir au niveau actuel malgré la pression des pays émergents. Les puissances économiques qui apparaissent sont concurrentes de la nôtre. Mais ces pays sont aussi nos clients. Il n'y a donc pas d'autre solution que de se positionner de façon compétitive. Propos recueillis par Gilles Bridier et Colette Menguy
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