Les techniques modernes peuvent faire vivre les produits traditionnels

Le Conseil national des arts culinaires (Cnac), installé fin 1989, réunit tous les acteurs de la filière agroalimentaire française : pouvoirs publics, grands chefs, responsables industriels, mais aussi distributeurs, artisans et producteurs. Depuis sa fusion, en décembre 1994, avec l'Institut Brillat-Savarin, le Cnac a renforcé ses liens avec le monde de l'industrie. L'un de ses objectifs prioritaires est la sauvegarde du patrimoine culinaire national et régional. « La Tribune ». - Pensez-vous que l'évolution des habitudes de consommation ou des méthodes de distribution fassent peser une menace sur le tissu industriel agroalimentaire français ? Alexandre Lazareff. - Je ne sais pas s'il y a menace, il y a, en tout cas, des atouts compétitifs dont nous disposons qui doivent permettre de valoriser l'ensemble de la filière nationale. Avec des groupes comme Danone, Accor, Carrefour et Casino... nous avons des géants de dimension mondiale dans l'industrie, l'hôtellerie, la restauration collective, la distribution, qui peuvent servir de locomotives pour tous nos produits de terroir. Or ces productions locales jouent un triple rôle. Le premier est économique, bien sûr, avec la va- leur ajoutée créée dans ces niches à la fois par l'agriculture et l'artisanat. Mais ils sont aussi fortement porteurs d'image pour les régions et, enfin, jouent un rôle essentiel en matière d'aménagement du territoire. Quand on pense que les caves de Roquefort attirent chaque année plus de 200.000 visiteurs sur le causse de l'Aveyron, on imagine ce que cela représente pour la région. C'est l'ensemble de cette chaîne alimentaire que le Cnac est chargé d'animer. Pensez-vous que cette ambition soit compatible avec l'état actuel des relations entre PME et grande distribution ? Dans la mesure où l'on joue la complémentarité de la chaîne, oui. Chacun apporte une partie de la valeur finale. L'idéal est d'aboutir à des accords de partenariat à long terme entre distributeurs et producteurs de patrimoine culinaire. Avez-vous pu noter des exemples probants ? Le travail fait autour du sel de Guérande est particulièrement révélateur, mais il y en a bien d'autres. Le groupe Casino, par exemple, qui est d'ailleurs administrateur du Cnac, a passé des contrats de longue durée avec, par exemple, des producteurs de chasselas de Moissac et de muscat du Ventoux. D'un côté, des contraintes de fabrication et de qualité sont imposées, avec accompagnement technique et humain, de l'autre, des cours supérieurs à ceux du marché sont fixés. L'enseigne Lafayette Gourmet, qui montent en liaison avec nous des opérations de promotion de produits peu connus du patrimoine culinaire comme les « quernons » d'Angers, des confiseries locales, ou les salicornes de Vendée, des algues à consommer en légumes ou en condiments. Depuis, ces produits sont référencés. Vous estimez à 2.500 le nombre de produits qui seront inscrits au patrimoine culinaire français. Une part d'entre eux risque-t-elle de disparaître ? Il y a un risque réel de dispa- rition d'une partie de ce que l'on peut appeler ce capital-produit, à la fois en terme d'image et de marchés. C'est pourquoi nous avons lancé notre inventaire, un peu à la manière de celui des monuments historiques, pour préserver et valoriser ce capital. Qui connaît aujourd'hui le safran de Poitou-Charentes ? Il est mentionné dans les textes depuis le XVIIe siècle, mais ne bénéficie quasiment que d'un circuit de distribution, le monde pharmaceutique. Vu le prix de cette épice, la plus chère, elle peut être à l'origine d'une belle filière agrocommerciale, pour peu que l'on travaille la production, l'emballage et les circuits de distribution. Notre propos n'est d'ailleurs pas d'apporter des subventions financières mais plutôt de jouer le rôle d'aiguilleur, de faciliter les contacts entre professionnels ou d'aider à l'épanouissement de nouvelles chaînes : organiser des rencontres avec des grossistes de Rungis, ou demander à des distributeurs de bâtir des plans de commercialisation. Quelles limites fixez-vous à la notion de patrimoine du terroir ? Nous nous intéressons au patrimoine vivant. Nous ne souhaitons pas ressusciter des pratiques ou des produits préhistoriques. Ce serait à l'opposé de notre démarche, qui vise à faire adopter les technologies contemporaines pour faire vivre des productions traditionnelles. Propos recueillis par Christian David
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