Attention aux banques françaises

Contrairement à ce qu'on a l'air de croire en France, la condamnation de Nick Leeson à six ans et demi de prison par un tribunal singapourien ne met pas un terme à la formidable affaire qui a secoué l'establishment bancaire mondial. Rappelons que le jeune courtier de vingt-neuf ans, par ses imprudences et ses fraudes, avait provoqué en février de l'an dernier la faillite de Barings, l'une des plus vénérables banques britanniques, et son rachat par un groupe financier néerlandais, l'International Nederlanden Groop. En le faisant juger sur le lieu de son « crime », on espérait plus ou moins confusément circonscrire l'affaire à la petite presqu'île de la mer de Chine. Or l'affaire est loin d'être close. D'abord, parce que les autorités de Singapour entendent poursuivre leurs investigations sur la manière dont l'ex-star des marchés dérivés a pu faire partir en fumée 827 millions de livres. Ensuite, et surtout, parce que la Banque d'Angleterre, en charge de la surveillance des banques anglaises, a fait, en cette occasion, la démonstration à la fois de son impuissance et de son incompétence. Impuissance à déceler les informations grossièrement falsifiées introduites dans le système par le « golden boy » qui opérait à l'autre bout du monde. Incompétence, parce qu'il apparaît dans les différents rapports qui ont été publiés sur l'affaire que les dirigeants de la « Old Lady », comme d'ailleurs ceux de Barings, ne comprennent rien eux-mêmes aux techniques sophistiquées des produits dérivés. Pour la simple raison que ces produits n'existaient pas quand ces dirigeants ont reçu leur formation. Question de génération ! Tony Blair, leader du Parti travailliste, et étoile montante de la scène politique outre-Manche, a déjà demandé que l'on remette en cause le rôle de superviseur dévolu à la Banque d'Angleterre... Les questions qui agitent les « classes » politiques et financières de l'autre côté de la Manche, on ne voit pas pourquoi elles ne se poseraient pas de ce côté-ci. D'autant que les banques françaises sont beaucoup plus exposées aux risques des marchés dérivés qu'on ne le pense généralement. D'après des calculs récents de la Banque des Règlements Internationaux, c'est la Société Générale qui vient en tête, avec une activité en produits dérivés portant, fin 1994, sur 3,27 trillions (mille milliards) de dollars, devançant les géants américains tels que Chemical Banking (3,18 trillions), Citicorp (2,67 trillions), et Morgan (2,47 trillions). Vient ensuite Paribas avec 2,1 trillions, et la BNP avec 1,9 trillion et le Crédit Lyonnais n'affiche, pour sa part, que 1,8 trillion. Au total, fin 1994, les banques françaises étaient engagées sur les marchés dérivés pour la somme globale de 11,7 trillions de dollars, soit presque le double des banques anglaises (6,6 trillions), le quadruple des banques allemandes (3,1 trillions). Les établissements français n'étaient dépassés que par les Américains (20,3 trillions). Si l'on rapporte ces chiffres pharaonesques à la population, les Français apparaîtront comme les champions toutes catégories en produits dérivés, ce dont ils sont loin de se douter ! Mais gare au cauchemar. Imaginons un Leeson français, opérant au Luxembourg, par exemple, et mettant en danger l'un de nos mastodontes français. A la façon dont nous gérons les crises en France, ce ne sont pas les actionnaires de l'établissement en question qui subiront les contrecoups de la faillite, comme en Angleterre, mais les contribuables. Un nouvel impôt de 0,5 % naîtra, intitulé : RDB. Remboursement de la dette bancaire.
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