L'électron boulimique des patrons japonais

Mercredi dernier, il était le matin à Taipei (capitale de Taiwan) pour célébrer le vingtième anniversaire du groupe Acer, le fabricant taiwanais de micro-ordinateurs, et rendre hommage à Stan Shih, son fondateur. Peu avant midi, il prenait l'avion pour Tokyo, afin d'annoncer un nouveau joint-venture avec son partenaire, le groupe News Corp. et son nouvel ami, Rupert Murdoch. Masayoshi Son vit à l'heure des technologies de l'information. L'électron est son maître, son royaume compte plusieurs provinces : Internet, le Web, les publications spécialisées dans l'informatique et les divers salons professionnels. A trente-huit ans, ce Japonais d'origine coréenne, éduqué à Berkeley, le bastion de l'agit-prop américaine, utilise les métaphores pour convaincre un auditoire ou ses futurs associés. Gérer l'écart entre le rêve et la réalité « A la création de l'entreprise, en 1980, j'avais deux employés, confie-t-il. Je leurs ai expliqué mon rêve de voir Softbank devenir rapidement une grande société internationale dans le logiciel. Ils ont quitté l'entreprise au bout de deux mois car ils ne croyaient pas à mon rêve. » Entre-temps, Masayoshi Son a embauché d'autres employés (7.500 aujourd'hui). La leçon de cet épisode ? « L'important est de bien gérer l'écart entre le rêve et la réalité. » La réalité a été de lancer un distributeur de logiciels pour le marché japonais. Le rêve a été de percevoir l'importance mondiale des technologies de l'information et de savoir qu'elles allaient provoquer une nouvelle révolution industrielle. « Nous possédons 130 magazines, 9 millions d'abonnés et 50 salons professionnels, explique Masayoshi Son. Il y a un an et demi, nous étions une entreprise à 99 % japonaise. Maintenant, le chiffre d'affaires réalisé au Japon ne représente seulement que 15 % du chiffre d'affaires consolidé. Les bénéfices dégagés par l'international ont dépassé les profits de la partie japonaise. Nous sommes devenus une compagnie globale. » L'entrepreneur est fier d'énumérer ses succès et de célébrer ses méthodes. « J'ai été le premier à introduire un programme de stock options au Japon. C'est interdit par la loi et mal vu par le patronat mais je l'ai fait quand même. Comme les augmentations de capital réservées du type stock options sont interdites au Japon, j'ai vendu mes propres parts dans la compagnie. Grâce à ce système de motivation, nous avons pu multiplier par trois nos profits en une seule année. » Cette explication fait partie du domaine du rêve. En réalité, Softbank peut financer un audacieux programme d'acquisitions grâce à une valorisation boursière élevée (8,6 milliards de dollars). Ses moyens vont de l'augmentation de capital à la dette bancaire en passant par l'émission d'obligations convertibles. Les dividendes des acquisitions font progresser les profits. Au cours des deux dernières années, Softbank s'est offert le salon professionnel Comdex pour 800 millions de dollars, puis Ziff-Davis, l'éditeur de magazines consacrés au monde de l'informatique, pour 2,1 milliards de dollars. Dans le même temps, Softbank a pris des participations dans trente sociétés américaines spécialisées sur Internet, dont Yahoo et Cybercash, soit un investissement de 200 millions de dollars. Ce n'est pas terminé : « Nous avons décidé d'investir 500 millions de dollars supplémentaires dans 100 entreprises américaines spécialisées sur Internet », confie Masayoshi Son. « Mon business plan pour les 300 prochaines années » L'investissement dans Cybercash, un spécialiste des systèmes de paiement sécurisés sur Internet, est typique du rythme quotidien de Masayoshi Son. « J'ai rencontré le président de Cybercash dans la voiture de Larry Ellison, le fondateur d'Oracle, alors que nous allions au golf de Pebble Beach. En discutant avec lui, j'ai eu envie de rentrer dans son capital alors que son introduction en Bourse était prévue dans moins d'un mois. Nous avons poursuivi la discussion en évoquant le prix de notre entrée dans son capital et quel type d'association nous pouvions mettre au point. Il fallait faire vite, car il mettait la dernière main à son prospectus d'introduction en Bourse. Il me restait 48 heures pour demander à mon conseil d'administration la permission d'investir dans Cybercash. De plus, je voulais en parler à Bill Gates de Microsoft pour lui demander s'il ne voyait pas d'inconvénient à ce projet d'investissement. J'ai fait la même chose avec Scott McNeally de Sun Microsystems, Larry Ellison d'Oracle et Jim Clark de Netscape. Je leur ai envoyé un courrier électronique disant : "Je veux investir dans Cybercash. Est-ce que cela vous pose un problème ? Est-ce que nous allons devenir concurrents ? J'ai besoin d'une réponse sous 48 heures." Et je l'ai obtenue. » Au lieu d'utiliser la structure pyramidale classique des entreprises japonaises, Softbank prend l'approche d'une architecture informatique en réseau (architecture client-serveur). « Nous sommes organisés en centres de profit et je tiens à ce qu'un centre ne dépasse pas dix personnes, lance Masayoshi Son. Dès que cela arrive, nous séparons la filiale en deux parties. Tous les jours, nous calculons le compte de résultat de chaque centre de profit sur micro-ordinateurs». Le système porte ses fruits. L'année dernière, le bénéfice imposable de Softbank a augmenté de 175 % (13,8 milliards de yens), alors que ses ventes ont progressé de 45 % (140,28 milliards de yens). Le rêve de l'homme pressé du Japon n'est pas terminé : « Je veux monter mon business plan pour les 300 prochaines années et j'aimerais pouvoir être plus agressif », soupire-t-il ! Pascal Boulard, envoyé spécial à Taipei Bio-express 1957 : naissance à Tosu City, dans la préfecture de Saga, au Japon. 1973 : part aux Etats-Unis. 1975 : étudiant à Holy Name College d'Oakland (Californie) et à l'université de Berkeley. Il met au point un traducteur électronique de poche qu'il vend à Sharp. 1981 : retour au Japon, où il fonde Softbank Corporation pour vendre des logiciels et éditer plusieurs magazines. 1988 : Softbank crée une filiale aux Etats-Unis. 1990 : création d'une filiale avec Novell (logiciel de réseaux informatiques) 1994 : introduction en Bourse, rachat des salons professionnels de Ziff-Davis, création de Phoenix Publishing Systems (avec Phoenix Techno- logies), de Mediabank (avec NTT Data Systems) et de Nihon Cisco Systems KK (avec Cisco Systems et douze associés japonais). 1995 : création de Gamebank (avec Microsoft). Rachat des salons professionnels d'Interface Group (Comdex et Windows World). 1996 : rachat de Ziff-Davis Publishing (magazines informatiques). Lancement d'un service de diffusion par satellite, JSkyB, avec News Corp. (Ruppert Murdoch). Achat de 21,4 % de TV Asahi avec News Corp.
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