Un jeune chef toqué d'excellence

On le prendrait facilement pour un simple commis à le voir si juvénile dans son costume immaculé. Sa carrure athlétique évoque à l'évidence une pratique encore courante de l'effort sportif. Et l'adolescence n'est pas loin de ce visage presque imberbe. Quelques lettres brodées sur le devant de sa veste trahissent pourtant l'identité de ce jeune homme au regard sombre et à la parole volontaire. Depuis deux ans, Christophe Chabanel a entrepris avec patience et application de hisser son restaurant La Dînée au firmament de la gastronomie parisienne. L'établissement installé rue Leblanc, à deux pas de la place Balard, s'est d'ores et déjà fait connaître et reconnaître des gourmets de la capitale, dont certains s'étonnent qu'il ne soit pas encore étoilé. La salle est claire, dans les tons beiges, en toute simplicité. Elle deviendra jaune cet été. Sans doute pour rappeler ces notes méditerranéennes qui ponctuent aujourd'hui l'inspiration culinaire des chefs parisiens. La cuisine de Chabanel n'échappe pas à cette règle, mais en nuances, avec tact et savoir-faire. Glace à la lavande, barigoule d'artichauts, olives vertes, anchoïade, réglisse, sont autant de repères de cette inspiration qui n'hésite pas à puiser dans la veine asiatique les herbes thaï du saint-pierre, ou le jus au saté des langoustines rôties. Le chef, en bon élève appliqué, n'oublie pas qu'il a été l'élève de Pierre Gagnaire, ne serait-ce que quelques mois, et qu'il a appris du sorcier stéphanois le goût du risque et le plaisir de l'interdit. 1991 : premier restaurant à vingt-deux ans « J'aime étonner, il faut savoir surprendre mais surtout il faut plaire. » A vingt-sept ans Christophe Chabanel parle déjà en vieux briscard du fourneau, défenseur des saveurs et des cuissons justes, partisan acharné de la gourmandise et de la gastronomie. Pourtant, ce toqué d'excellence n'a qu'une expérience somme toute bien courte de son métier. Apprentissage à quinze ans dans la brigade de Michel Kerever au Duc d'Enghien , perfectionnement en pâtisserie chez François Clerc, premiers pas avec Jean-Pierre Vigato chez Apicius. L'armée le place durant douze mois au service du général de la 2e DB à Versailles avant de le rendre à la vie civile et à une courte expérience chez Pierre Gagnaire à Saint-Etienne. Faute de perspectives professionnelles suffisantes, le jeune Chabanel reprend la route, direction le Van Gogh à Asnières, « le temps de trouver une affaire ». Car ce novice est ambitieux et sa ligne d'horizon se situe au sommet de la gastronomie hexagonale. Le 9 octobre 1991, Christophe Chabanel, âgé de seulement vingt-deux ans ouvre son pre- mier restaurant, La Ferronnerie, rue de la Chaise, sur la rive gauche, grâce à la tutelle paternelle qui l'aide à convaincre les banques. « Je n'avais pas de problème d'autorité sur mon équipe pour la bonne et simple raison que j'étais seul en cuisine avec une seule personne en salle ». Huit tables pour vingt-cinq couverts quotidiens, avec une addition à moins de deux cents francs. Très vite la rumeur enfle et la presse crie au prodige. L'Express salue « l'imagination » et la « maîtrise » de ce chef confronté à une clientèle exigeante « qui sait manger et compter puisqu'elle a de l'argent ». La carte déjà prend date sur l'avenir : carpaccio d'agneau, paupiette de tourteau au coulis d'étrilles... De ses maîtres, Christophe Chabanel a su prendre le meilleur, la « folie » d'un Pierre Gagnaire pour qui la technique ne suffit pas, mais aussi sa science de l'accueil de la clientèle ; la clarté d'un Jean-Pierre Vigato et son habilité à gérer sa maison, en salle comme en cuisine ; le classicisme d'un Kéréver qui exige le respect des valeurs. Né à Marseille, de parents basque et breton, le jeune chef est obstiné. « J'ai fait le choix de la gastronomie, un choix difficile qui impose la rigueur. La Ferronnerie ne correspondait pas à la cuisine que je voulais faire. » Fin 1993, il vend. Avec l'espoir de trouver rapidement une nouvelle anse où jeter l'ancre. « J'ai préféré vendre pour avoir l'esprit libre de chercher autre chose », explique-t-il, conscient d'avoir pris le risque « d'être oublié par ses clients ». Quatre mois plus tard il prend possession de La Dînée et ouvre en janvier 1994 avec une équipe d'une demi- douzaine de personnes. « Nous avons une politique de dévelop- pement raisonnable, prudente, posée », affirme Chabanel comme pour justifier a posteriori son aventurisme. La Dînée redécorée pour séduire le guide Michelin Au fil des mois la magie renaît, un cran plus haut dans la hiérarchie des goûts et des saveurs. L'addition moyenne enfle à près de 400 francs, avec toutefois un menu d'appel à 180 francs pour le déjeuner. Mais le pari de l'économie n'est pas au coeur des préoccupations maison. Même si la famille Chabanel a acquis le bistrot qui jouxte son restaurant. « C'est une affaire complètement distincte, avec son propre chef ». Même s ses amis - David Van Laer, ancien second de Jean-Pierre Vigato qui préside avec succès aux destinées du Bamboche, ou William Ledeuil qui oeuvre dans la cuisine des Bookinistes de Guy Savoy - portent haut le flambeau de cette nouvelle cuisine parisienne. « Je ne suis pas pour la mode bistrot. Je ne suis pas forcément d'accord avec ce que font mes amis ». Christophe Chabanel n'a pas peur pour autant de cultiver le paradoxe puisqu'il fournit, depuis ses cuisines, et plusieurs fois par jour, les plats servis au salon de thé du porcelainier Bernardeau installé rue Royale, avec lequel le chef de La Dînée a passé un accord commercial. A la rentrée La Dînée aura refait sa décoration dans l'espoir affiché de séduire le Michelin. « Obtenir une étoile ce n'est plus une histoire de vie ou de mort comme ça a pu l'être dans le passé, mais c'est une reconnaissance, y compris pour notre clientèle qui voit ainsi sa persévérance récompensée. » A bon entendeur... Philippe Flamand Bio express 10 mai 1969 : naissance à Marseille de Christophe Chabanel. 1985-1987 : apprentissage au Duc d'Enghien avec Michel Kéréver. 1987-1988 : perfectionnement à la pâtisserie chez François Clerc Diffusion. 1988-1989 : travaille chez Apicius avec Jean-Pierre Vigato. 1989-1990 : effectue son service national aux cuisines du général de la 2e DB à Versailles. 1990-1991 : travaille chez Pierre Gagnaire à Saint-Etienne. 1991 : Le Van Gogh à Asnières. Octobre 1991 : ouverture de La Ferronnerie à Paris. Janvier 1994 : ouverture de La Dînée. 1995 : association avec Bernardaud.
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