Le maître de Châteauvallon fait de la résistance

On le dirait dilettante, nonchalant. Et puis il vous balance en direct : « J'ai pratiqué à un bon niveau de compétition un sport collectif, le basket, et un sport individuel, l'athlétisme. Il m'en reste un attrait certain pour le combat loyal. » Gérard Paquet trompe l'ennemi. C'est un combatif. Aujourd'hui, son adversaire est des plus coriaces. Il s'appelle Front national, seul maître à bord de la mairie de Toulon. Et Gérard Paquet, directeur du Théâtre national de la danse et de l'image, retranché dans son fort magnifique de Châteauvallon, fait de la « résistance ». L'espace de Châteauvallon est en partie situé sur le territoire de la commune de Toulon qui lui a refusé l'an dernier sa subvention. « Une perte sèche de 5 millions de francs sur un budget total de 17 millions. J'en ai retrouvé la moitié. L'Etat a augmenté ma subvention d'un million et demi et la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur a mis un million supplémentaire. Quant au département, c'est encore en négociation. » Le Var, parlons-en. Son préfet, Jean-Charles Marchiani (proche de Charles Pasqua), a demandé le 4 juin dernier l'annulation du concert du groupe NTM (Nique ta mère), programmé le 26 juillet à Châteauvallon, dans le cadre du festival Connexion hip-hop. « Pour raison de morale républicaine. » Le préfet se déclarait « choqué » par les paroles des chansons « en tant que représentant de l'Etat, chrétien et homme ». Et il menaçait, au cas où le groupe resterait programmé, de donner un avis défavorable au maintien de la subvention de l'Etat. Gérard Paquet pouvait-il courir ce nouveau risque ? La réponse fut longuement mûrie, aidée en cela par le destinataire premier de la missive préfectorale, Jean-Jacques Bonneaud, président du GAN et, en l'occurrence, président du conseil d'administration de Châteauvallon. « J'ai été surpris de retrouver cette lettre dans la presse, explique ce dernier. Certaines remarques me semblent d'ailleurs plus convenir à un archevêque qu'à un préfet. Mais j'ai avant tout relevé les considérations sur l'ordre public. Et j'ai demandé à Gérard Paquet de déprogrammer NTM », lequel s'est exécuté. « Je mène contre le FN un combat dans la durée. Et le combat implique des petites victoires et des petites défaites », admet Paquet. Réfléchir sur l'état du monde a toujours été l'obsession première de ce Toulonnais. Et la situation politique actuelle rejoint exactement l'une des préoccupations de son lieu destiné tant à la réflexion qu'aux spectacles. Les thématiques des colloques de cette année sont éloquentes : la mondialisation des échanges, les banlieues, le phénomène identitaire et, dernièrement, le populisme, qui a réuni en juin une belle brochette tant politique qu'intellectuelle. « Les populistes jouent sur l'identitaire. Cela revient à parler de nos cultures. En ce sens aussi, continue Gérard Paquet, je suis convaincu que le XXIe siècle sera culturel ou ne sera pas. » Ce parti pris-là intéresse le président du GAN, engagé à titre personnel à Châteauvallon de par ses origines varoises. « Je passe ici mes vacances et suis membre de l'association depuis vingt ans et président du conseil d'administration depuis 1987. Il y a dix ans, à la suite d'une convention avec l'Etat, Châteauvallon a vu son cahier des charges évoluer. En s'orientant vers la danse, il a gagné en profondeur et perdu une clientèle plus large. Mais nous ne devons pas oublier que la prospective est un autre aspect de ses activités. » Du coup, le GAN participe aux colloques à hauteur d'environ 100.000 francs par an. Les colloques restent néanmoins une activité minoritaire (à peine 10 % du budget) pour cette institution avant tout vouée au spectacle vivant et qui a fêté l'an dernier ses trente ans. C'est en 1965 que le jeune Gérard Paquet, étudiant en histoire, découvre à son retour du service militaire une bastide abandonnée dans la colline dominant Toulon. Avec son complice architecte, Henri Komatis, ils y voient d'emblée un lieu possible d'animation culturelle. « En pleine année Malraux, nous prenions au vol la vague des maisons de la culture. » Les premières années, en 1968-1970, seront théâtrales, puis jazz et enfin chorégraphiques à partir de 1980. « Nous cherchions toujours ce qui était en phase avec notre époque. » Cet été, outre Maurice Béjart qui ouvre ce soir les festivités avec sa légendaire Messe pour le temps présent, se succéderont d'autres chorégraphes, Odile Duboc, Josef Nadj, Francesca Lattuada, Joël Borges. Tout un monde que Jean-Marie Le Chevallier, le maire de Toulon, ne voulait plus voir. D'autant que de la musique et de la danse urbaine sont au programme, interprétées surtout par de jeunes beurs. Gérard Paquet provocateur ? « Ce n'est pas circonstancié. Mais il y a là un vrai gisement de talents et la manifestation se prépare depuis deux ans déjà. » « Le maire veut ma tête, c'est clair, admet-il. Je me suis engagé, tout ça est très logique. » Le patron du GAN, Jean-Jacques Bonneaud, minimise également ce qu'il nomme « une mini-guérilla. Le maire nous attaque sur le fait que l'association n'aurait pas veillé à augmenter ses cotisations, support principal de nos ressources il y a vingt ans et aujourd'hui remplacées par les subventions publiques. Ce sont là de petites représailles ». Très serein, l'ancien élève des maristes toulonnais continue à mener ses vieux projets : un théâtre de la Nature, avec l'aménagement de trente-cinq hectares en divers jardins, et la continuation du théâtre de la Science. Tout cela ramène finalement Paquet à ses doux rêves de 1965 : « Marier les arts et la réflexion. Comme jadis les Grecs, où le théâtre antique jouxtait l'agora. Finalement, les événements des derniers mois ont au moins un effet bénéfique en remettant en cause les raisons d'être de Châteauvallon. » Malgré les flèches de l'ennemi « d'en bas », la forteresse a tout l'air d'être intouchable. ANNE ODIER Location du festival : (16) 94.22.74.00. Bio express 1943 : naissance à La Seyne-sur-Mer (Var). 1961-1963 : étudiant à la faculté d'histoire d'Aix-en-Provence. 1965-1968 : construction du théâtre antique à Châteauvallon. 1968 : premières programmations théâtrales. 1980 : premier festival de danse. 1995 : victoire du Front national à l'élection municipale de Toulon. 1996 : annulation du concert du groupe de rap NTM.
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