Inventaire avant congés

La fin de la session parlementaire n'a pas totalement vidé le Palais-Bourbon, au grand désespoir des huissiers. Si les provinciaux obscurs et les sans-grade anonymes se sont effectivement égaillés, tel un vol d'hirondelles reprenant ses quartiers d'été, quelques représentants de la grande couronne et une poignée de seconds couteaux hantent encore couloirs et buvettes, en espérant l'heureux hasard qui les mettrait sur la route d'un journaliste en mal de copie. Car les habitués savent que c'est le bon moment pour passer à la postérité : quand les « affaires » sont en période paroxystique, ministres et ténors, ordinaires accaparateurs de micros et caméras, ont brusquement beaucoup d'autres chats à fouetter. Petit dialogue saisi au vol, salle des Quatre-Colonnes, entre un député de la banlieue rose et le président RPR d'une des six commissions permanentes : « Bravo, joli travail. Grâce à ton copain Toubon, la France est devenue le Gabon de l'Europe. - Tu as tort : au Gabon, au moins, Bongo épargne à ses sujets les leçons de morale, lui ! - C'est vrai, et en plus, c'est lui qui a donné la meilleure définition de l'homme politique : "La chèvre broute là où elle est attachée." - A Paris comme à Libreville... » Mais rares à droite sont ceux qui, comme ce vieux grognard chiraquien, ont le coeur à plaisanter. Errant, la mine grise, près du kiosque à journaux, ce balladurien ne se réjouit même pas des malheurs de ses frères ennemis : « Nous paierons tous en 1998 ces méthodes de voyous. » L'affaire Tiberi et la façon dont le gouvernement s' prend pour l'enterrer - « moins pour les beaux yeux de l'intéressé que pour ce qui pourrait sortir à la suite », vous glisse en passant un élu UDF de la capitale - ne trouvent plus guère comme héraut que l'infatigable Jean-François Mancel. Doué d'un sens de l'humour très british, qu'on ne lui soupçonnait pas jusqu'ici, le secrétaire général du RPR a bravement sommé les socialistes de « cesser leurs pressions sur la justice ». Pierre Mazeaud s'en tient encore les côtes : « A trois ans près, ça passait. » Resté lui aussi fidèle au poste dans l'espoir de convaincre un ou deux journalistes que l'hypothèse d'une dissolution « n'est pas à exclure », Julien Dray, député socialiste de l'Essonne, joue au vieux routier désa- busé : « Tout cela ne débouchera sur rien, l'été va calmer les choses. Et de toute façon, le pouvoir préfère braver une impopularité qu'il espère passagère, plutôt que prendre le risque de laisser des juges mettre le nez dans les filières de financement du RPR avant 1995. Je suis prêt à parier qu'Emmanuelli sera obligé de quitter ses mandats, alors que Tiberi n'aura même pas une sanction de principe. » L'amertume des socialistes peut se comprendre, même s'ils confondent les torchons et les serviettes. Car si le maire de Paris a été blanchi par le parquet avant même que la justice ait pu enquêter à son sujet, c'est évidemment parce que son innocence était éclatante. Ce pouvoir n'est pas laxiste. Au contraire : la fraude lui est viscéralement insupportable. Le jour même où le procureur de Paris a classé le dossier Tiberi, et au moment précis où le ministre de l'Intérieur félicitait la hiérarchie policière d'avoir refusé de prêter son concours au juge Halphen, une nouvelle autrement plus importante était triomphalement portée à notre connaissance. Le secrétaire d'Etat aux Transports a en effet annoncé que, d'ici l'automne prochain, les sanctions contre les resquilleurs de la SNCF et de la RATP seront renforcées. Plus question de voyager sans titre de transport dûment validé, ni de donner une fausse adresse. Dorénavant, ce qui n'était que contravention deviendra délit, pouvant valoir jusqu'à 25.000 francs d'amende et trois mois de prison. L'Etat de droit ne sera pas rétabli qu'en Corse, foi de Jean-Louis Debré. Quant à la démocratie, soyez rassurés, elle avance à grands pas. A droite comme à gauche, on nous annonce qu'un nombre jamais égalé de circonscriptions, « y compris gagnables » (notez la précision), seront réservées aux femmes lors des prochaines législatives. Cent cinquante, a même cru devoir préciser le premier secrétaire du PS lui-même. Sur cinq cent soixante-dix-sept, on est certes encore loin de la parité qu'ont réclamée certaines. Mais le président de la République a fait savoir à sa vieille copine Gisèle Halimi qu'il ne serait pas contre un amendement à la loi sur le financement des partis, qui permettrait de favoriser les plus « féministes », et de pénaliser les plus « machistes ». Des élus ricaneurs ont voulu y voir « la légalisation du proxénétisme politique ». Mais c'était histoire de plaisanter, bien sûr. Il faut bien rire un peu, parfois.
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