Babette Leforestier : " On peut faire du marketing tout en étant honnête"

Avez-vous le sentiment que la révolution numérique a considérablement modifié la relation consommateurs-marketeurs ?Les marques ont encore le sentiment de pouvoir maîtriser l'information. Hormis celles qui s'adressent aux jeunes - Garnier a tenté une expérience intéressante en donnant la parole à une bloggeuse sur son site -, elles n'ont pas vraiment créé d'espace de dialogue. C'est compréhensible puisqu'elles ont une peur bleue des critiques, mais c'est aussi dangereux. Internet est un espace sans frontière, où l'information se propage à grande vitesse. Ce qui n'est pas dit sur un site le sera ailleurs sur un blog, un forum... Si les marketeurs n'y prennent pas garde, ils risquent de creuser encore un peu plus le fossé qui les sépare de leurs clients.Des exemples...Je pense notamment aux fameuses campagnes Dove pour l'estime desoi qui ont été détournées par Greenpeace pour dénoncer l'utilisation de l'huile de palme dans les produits Dove. Une utilisation qui contribue à la destruction de la forêt indonésienne et concomitamment à la disparition des orangs-outangs qui y vivent. En moins d'une semaine, la vidéo a été regardée 250.000 fois sur YouTube. Depuis, Unilever s'est engagé à n'utiliser dans ses produits que de l'huile de palme durable. En Grande-Bretagne, un syndicat d'étudiants a lancé un groupe sur Facebook pour dénoncer un changement de politique de la banque HSBC à leur égard. En plein été et en quelques jours, ce syndicat est parvenu à rassembler plus de 4.000 membres et la banque a fait marche arrière.Dans cette société sous surveillance permanente, le travail du marketing ne devient-il pas impossible ?On peut faire du marketing tout en étant honnête. C'est le défi du marketing responsable. Lorsque l'on aborde ce sujet, on pense bien sûr à la publicité alors que le mouvement doit être initié bien en amont. Le marketing responsable se pense dès la conception du produit. Aux États-Unis, après une première phase de déni quant à leur responsabilité en matière d'obésité, les industriels de l'agroalimentaire et les distributeurs ont défini des grilles nutritionnelles dans lesquelles doit s'inscrire tout nouveau produit. Faute d'y répondre, le produit ne pourra pas bénéficier d'un soutien publi-promotionnel.N'est-ce pas la peur des " classactions " ou du législateur qui les conduit à adopter cette attitude ?Oui, bien sûr. Le marketing responsable ne s'applique encore que lorsque la loi et la société l'imposent. Pour qu'il devienne un automatisme, il faudrait qu'il soit enseigné dans les écoles de commerce ou d'ingénieurs, ce qui n'est pas le cas.En attendant l'avènement de ce marketing responsable, la publicité semble tirer les enseignements de sa mise en examen par la société...Il y a effectivement des efforts notables, sauf que la responsabilité, dont annonceurs et agences font preuve, s'arrête souvent devant la porte du hors-média. C'est notamment vrai pour les produits destinés aux enfants. Pour s'éviter les foudres des associations et des pouvoirs publics, certaines marques ne communiquent plus sur les écrans enfants, en revanche, elles sont très actives sur le Net où elles lancent des sites dédiés aux plus jeunes. Idem pour les constructeurs automobiles qui n'osent plus se lâcher dans les grands médias, mais n'hésitent pas sur le Net.Parmi les tendances observées ces dernières années, le " consommer mieux " semble s'installer durablement. Les marques répondent-elles à cette aspiration ?Certaines l'ont parfaitement compris. Danone en fait probablement plus pour la santé que les programmes de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Elle participe réellement à une sensibilisation sur les questions de l'alimentation. Reste la difficulté à faire rêver leconsommateur avec des arguments qui sont avant tout rationnels. Un exfoliant pour le corps au sable blanc de Bora-Bora ou un bain-douche au ginseng de Mandchourie, c'est porteur en termes d'imaginaire, écologiquement c'est une hérésie. Or ces produits d'origine lointaine font partie des axes majeurs de conception des produits dans la cosmétique et l'agroalimentaire. Ils figurent cette année encore en bonne place dans les lancements recensés par le Marketing Book.Dans ce contexte du mieux consommer, les marques militantes semblent avoir le vent en poupe. Cette tendance est-elle pérenne ?L'intérêt que leur portent les grands groupes le laisse penser. Des marques comme Innocent, les 2 Vaches des fermiers du bio ou, avant elles, The Body Shop prouvent que l'engagement peut devenir un véritable facteur différentiant. Mais cet engagement les contraint à être exemplaires. Dans une société sous l'oeil de l'internaute, gare aux retours de bâton...
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