Le vote du 29 mai, "c'est le retour de la lutte des classes dans les urnes"

Que pensez-vous des premières décisions de Jacques Chirac, suite au vote de dimanche ?- Elles sont en décalage avec les attentes exprimées par les Français. Entre l'ampleur de la protestation à la fois sociale et politique dans les urnes et la nomination de Dominique de Villepin, il y a un véritable point d'interrogation. Les électeurs de la droite et du centre demandaient la démission de Jean-Pierre Raffarin, qu'ils ont obtenue, et la nomination de Nicolas Sarkozy, qu'ils n'ont pas tout à fait obtenue. Dominique de Villepin n'arrivait que loin derrière dans leurs préférences. La surprise est donc grande chez ceux qui ont voté non mais aussi chez une bonne partie de ceux qui ont voté oui.Le chef de l'Etat n'a donc pas entendu le message des électeurs ?- Le président Chirac a entendu que l'emploi et la précarité, notamment celle des jeunes, étaient la préoccupation centrale de la société, qu'il fallait un véritable combat national sur ce terrain et qu'on était contraint d'avoir des résultats. Nous retrouvons cet état d'esprit qui ressemble beaucoup à cette vieille phrase de la IIIe République, "Assez de paroles, des actes". Les Français en ont assez des promesses électorales. Ils veulent une action et des résultats. La vision gaullienne de l'Etat de Dominique de Villepin et sa flamboyance de style peuvent être un atout après la rondeur du verbe raffarinien. Puisqu'il s'agit d'un combat, il faut un Premier ministre qui communique cette volonté de se battre. Sur ce point, Jacques Chirac peut compter sur Dominique de Villepin.Vous parlez là de la forme. Mais sur le fond, comment répondre aux attentes sociales ?- Comme il n'est pas question que la France s'affranchisse des règles européennes, les marges de manoeuvre économiques et financières du gouvernement sont très réduites. La croissance n'est pas au rendez-vous, le déficit est abyssal, la dette extérieure considérable. Or nous sommes à vingt-deux mois de l'élection présidentielle. Le gouvernement peut agir en menant une concertation sociale plus active dans des "Grenelle" réunissant Etat, patrons et syndicats. Ensuite, il doit choisir un ou deux dossiers concernant l'emploi sur lequel il peut avoir des résultats.Avec un virage libéral ?- Cela m'étonnerait. Je pense que le gou- vernement s'orientera plutôt vers des recettes respectant le modèle social dans la ligne de l'Etat providence. Si Jacques Chirac avait voulu prendre cette orien- tation, il aurait avalé la pilule jusqu'au bout et mis Nicolas Sarkozy à Matignon. Le chef de l'Etat a sans doute pensé que changer de politique à ce point - en mo- difiant le droit de licenciement ou le contrat de travail - ferait courir un risque à son camp en pleine course à la prési- dentielle.Peut-on comparer la situation actuelle avec le 21 avril 2002 ?- Le vote du 29 mai est plus grave que celui du 21 avril. Plus de la moitié de l'électorat socialiste, les deux tiers de l'électorat vert, l'ensemble des électeurs du PC et de l'extrême gauche ont voté non. Avec ces gros bataillons de la gauche populaire et l'électorat du Front national, on a l'opposition sociale la plus frontale qu'on ait eue en France depuis le début des années 80. C'est le retour de la lutte des classes dans les urnes. Cette protestation sociale et politique se fait à l'égard de l'ensemble de nos décideurs, chefs d'entreprise, journalistes, intellectuels, syndicats. Jamais les Français n'ont été aussi préoccupés de l'avenir de leurs enfants. Le risque, c'est la montée des extrêmes ou la désaffection totale. Les deux peuvent aller ensemble. Les expériences populistes s'appuient volontiers sur la montée des extrêmes et l'apathie de la masse.Propos recueillis par Delphine Girard
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