François Chérèque : " Il faut lier les discussions sur l'assurance chômage et le contrat de travail"

Vous venez d'être réélu à la tête de la confédération. Comment abordez-vous ce nouveau mandat ?Je l'aborde confiant. La CFDT a réalisé une étonnante démonstration en trois ans. Elle a montré une capacité à s'engager sur une réforme difficile - les retraites -, une capacité à s'opposer avec détermination à un projet néfaste - le CPE - et une capacité à se projeter dans l'avenir en mettant en débat des sujets difficiles dans la société d'aujourd'hui, comme la réforme du contrat de travail, le système de protection sociale, la place des services publics...Pensez-vous que le gouvernement va poursuivre les réformes d'ici à 2007 ?J'ai du mal à percevoir la réalité de l'action réformatrice du Premier ministre. Je doute fort aussi qu'il puisse mener, avant l'élection présidentielle des réformes importantes qui pèsent sur l'évolution de notre système social. Sauf une, que nous lui demandons d'engager, celle du dialogue social.Que souhaitez-vous sur ce sujet ?Pour le moment, le Premier ministre ne propose rien de concret. Il nous consulte sur le sujet essentiel de la place de la démocratie sociale par rapport à la démocratie politique, c'est-à-dire la place du contrat par rapport à la loi. La période préélectorale me semble très favorable pour avancer sur cette question puisque tous les partis politiques mettent en avant la nécessité du dialogue social. Nous souhaitons une loi qui prévoit que, avant toute modification législative ou réglementaire dans le domaine social, un temps de négociation soit laissé aux partenaires sociaux. S'ils parviennent à s'entendre sur le contenu d'un accord, les parlementaires pourraient ensuite légiférer à partir de l'accord.La présidente du Medef vous propose une " délibération sociale " sur certains thèmes. Que répondez-vous ?La méthode est bonne. Elle propose de commencer par un état des lieux avant d'entrer dans le vif des négociations sur deux sujets centraux, l'assurance chômage et l'évolution du contrat de travail. Dans une deuxième étape, si nous sommes parvenus à un diagnostic partagé, il faut déterminer les sujets de négociation. La CFDT est prête à s'engager dans ce travail, à condition que cela débouche sur des thèmes de négociations concrets.Vous êtes donc d'accord pour lier les deux sujets - l'assurance chômage et le contrat de travail - comme le souhaite le Medef ?Nous avons demandé à Mme Parisot de regarder le comportement des entreprises sur l'utilisation des différents contrats de travail. C'est en effet déterminant dans le système d'indemnisation des chômeurs. On ne peut pas remettre à plat l'assurance chômage sans regarder de près les évolutions du marché du travail. L'utilisation abusive des CDD par certaines entreprises entraîne des dépenses importantes pour l'assurance chômage alors que d'autres entreprises au comportement plus citoyen contribuent proportionnellement plus. Il faut donc lier les discussions sur l'assurance chômage et le contrat de travail.Que pensez-vous du contrat de travail unique prôné par Nicolas Sarkozy ?Il n'est pas question de négocier sur le contrat de travail dans les semaines qui viennent avec le patronat. La CFDT a décidé, lors de son dernier congrès, d'ouvrir ce débat en interne et je ne vais pas le fermer aujourd'hui. Nous allons proposer d'ici à la fin de l'année des réflexions sur ce sujet dans nos régions et nos fédérations. D'ores et déjà, nous avons dit que, à ce jour, nous n'étions pas favorables au contrat de travail unique, souvent présenté avec des droits qui progressent avec l'ancienneté du salarié. Un tel scénario reviendrait à faire porter la plus grande précarité sur les plus jeunes, ce que nous avons refusé dans le CPE.Comment comptez-vous poursuivre votre combat contre le CNE ?Nous avons deux angles d'attaque pour le combattre. Le premier, juridique, consiste à contester les ruptures abusives de CNE devant les tribunaux. Nous attendons un premier jugement en appel, sur un cas défendu par la CFDT, en septembre à Paris. Il va peut-être nous permettre de construire une jurisprudence et de démontrer que ce contrat ne respecte pas le droit français et international. Deuxième angle, la négociation On ne pourra pas ouvrir le débat sur le contrat de travail sans parler du CNE.Vous défendez la sécurisation des parcours professionnels. Que mettez-vous dans ce concept ?Il ne suffit pas d'un slogan pour que le contenu soit bon. Pour nous, il s'agit de construire de nouvelles sécurités pour les salariés dans le cadre d'un marché du travail de plus en plus flexible. Ce peut être, par exemple, en cas de rupture, un accompagnement supplémentaire du salarié avec le maintien d'une partie des droits qui étaient liés à l'entreprise : formation, protection sociale, tout ou partie du salaire. Nous avons déjà mis en place certains outils comme le droit individuel à la formation, la convention de reclassement personnalisé, le CDD seniors, le contrat de transition professionnelle, expérimenté dans certains sites. Tous ces outils ont été construits par les partenaires sociaux.Le PS s'engage aussi à abroger la loi Fillon sur les retraites. Seriez-vous prêt à renégocier la réforme ?Le mot abrogation n'est pas adapté à la situation. Abrogation, cela veut dire retour à 37 ans et demi pour les fonctionnaires, maintien de quarante-six ans de cotisations pour ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans, fin de la caisse complémentaire pour les fonctionnaires... Tout le monde sait que, sur ces sujets-là, on ne reviendra pas en arrière. Faire croire l'inverse, ce n'est pas bon pour le débat politique. En revanche, si le PS est élu et qu'il veut négocier une amélioration de la loi de 2003, bien évidemment la CFDT participera à cette négociation. C'est bien pour compléter la réforme de 2003 que nous avons exigé une nouvelle étape de 2008.Êtes-vous, comme beaucoup d'hommes ou de femmes politiques français, en admiration devant les modèles suédois ou danois ?J'ai aussi cette vision positive, même si ces modèles ne sont pas transposables " clé en main " en France. Mais je souhaite que ces hommes et femmes politiques retiennent trois des éléments centraux du modèle de ces pays-là : un État fort, donc une fiscalité forte, des syndicats forts et réformistes, et une pratique de la négociation collective systématique. Il n'y aura pas de possibilité d'évolution vers ce type de modèle en France si ces trois piliers ne sont pas respectés. Je demande simplement aux politiques dans la campagne, lorsqu'ils font allusion à ces pays-là, de dire s'ils défendent aussi ces principes-là, que la CFDT partage.Le gouvernement a-t-il le soutien de la CFDT pour défendre son projet de loi sur la fusion Suez-GDF ?Dominique de Villepin et Thierry Breton l'affirment et mettent en avant cet argument pour tenter de convaincre la majorité UMP de voter le texte au Parlement en septembre. François Chérèque dément dans La Tribune soutenir ce projet et plaide pour la voie des participations croisées.Le gouvernement afffirme que la CFDT soutient le projet de fusion Suez-GDF. Que répondez-vous ?Le gouvernement travestit la position de la CFDT. Nous n'avons jamais soutenu la privatisation de Gaz de France. Nous soutenons un rapprochement entre Suez et Gaz de France dans le cadre de participations croisées qui laisseraient l'État majoritaire dans le capital de Gaz de France. C'est cela la position de la CFDT, et rien d'autre. Cette position a été arrêtée en lien direct avec les fédérations concernées, qu'il s'agisse de Suez ou de Gaz de France. Nous sommes favorables à ce projet industriel de rapprochement pour deux raisons. Tout d'abord, nous pensons que si ce rapprochement ne se fait pas, Suez sera racheté par l'italien Enel. Or, ce qui intéresse Enel, c'est la partie électricité de Suez, le reste il le vendra par appartements. Ce sera un démantèlement de Suez auquel nous sommes opposés, comme tous les syndicats de Suez. Deuxième point : nous sommes d'accord à Gaz de France pour un projet industriel commun car toutes les entreprises gazières en Europe, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, passent des alliances avec des électriciens [...]. Pour assurer son avenir, Gaz de France doit passer des alliances avec un électricien. Suez, c'est l'électricien Electrabel implanté en Belgique. Nous avons fait en sorte que les deux syndicats des entreprises avancent ensemble. Nous avons obtenu des garanties sur le maintien du statut pour les gaziers, sur le maintien d'un tarif social pour le gaz et sur l'engagement de créer 1.000 emplois par an dans la future entreprise. Mais je le répète : nous sommes contre la privatisation de Gaz de France...
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