Revisiter le passé pour mieux penser le futur

Le plus décapant est, sans conteste, le livre d'Anthony Rowley et Fabrice d'Almeida. Dans « Et si on refaisait l'histoire ? », les deux historiens nous entraînent dans une jubilatoire reconstruction de la marche du temps, pour mieux éclairer les « bifurcations » de l'Histoire dont nous sommes pétris. Leur outil de choc a un nom, l'« uchronie ». Que ceux qui en ignoraient l'existence se rassurent, même s'ils sont adeptes de la science-fiction dont elle une source intarissable. Ce terme, inventé par le philosophe Charles Renouvier au XIXe siècle, permet, à partir d'événements connus, d'imaginer une histoire vraisemblable de ce qui aurait pu se passer « si »? Voilà comment nos deux complices, dont l'expertise ne peut être mise en doute, élaborent 16 scénarios apparemment farfelus mais fondés sur des personnages et des faits incontestables qui, tous, nous obligent à jeter un regard neuf sur notre évolution historique, économique, religieuse. Cela commence par la victoire des Perses à Salamine, en 480 av. J.-C., qui, si elle avait eu lieu, aurait fait table rase de la cité et de la liberté chères aux Grecs, en d'autres termes de la démocratie, mais nous aurait peut-être permis d'échapper à la « culpabilisation chrétienne » et aurait dessiné un Occident plus libéral et? « fraternel ». Les auteurs défrichent ensuite des terrains divers allant de la fuite réussie de Louis XVI, ce qui aboutit à la régence éclairée de Marie-Antoinette ? adieu la Révolution de 1789 ! ? aux conséquences de la guerre de 1914, si elle avait été gagnée par l'Allemagne, ou de la mort du général de Gaulle dans un accident d'hélicoptère, lors de Mai 1968. Une « histoire potentielle » qui se lit comme un roman, tant les auteurs s'en donnent à c?ur joie et font preuve d'un humour parfois corrosif. Leur but ne se limite pourtant pas à un divertissement. Il vise aussi à faire valoir que si la recherche historique n'a rien d'un « mensonge » ? ce qu'affirment certains pour mieux ouvrir la boîte de Pandore de tous les « complots rétrospectifs » ?, elle doit s'interroger sur sa part d'ombre. Et quoi de plus fascinant que l'uchronie pour s'y essayer. Ainsi des cent dernières années. En l'absence d'un krach en 1907, les États-Unis ne se seraient pas dotés d'une Banque fédérale de réserve, prêteur en dernier ressort. On imagine facilement que la loi de la jungle aurait alors abouti à une crise des subprimes tous les cinq ou sept ans. Sans la dépression de 1929, pas de New Deal de Roosevelt, de Front populaire ou d'État-providence? Et sans la crise financière actuelle, « John McCain dormirait probablement à la Maison-Blanche ». Ainsi, « l'analyse des situations potentielles » du passé peut constituer un laboratoire d'idées pour l'avenir.Dans un registre beaucoup plus classique, c'est ce que nous rappellent aussi le démographe Henri Léridon (voir encadré) ainsi que l'économiste Jean-Yves Carfantan dans un excellent ouvrage, « le Choc alimentaire mondial ». Si l'homme reste au c?ur de la problématique du futur, il faudra bien prendre en compte de nouveaux paramètres. Dont celui de la sécurité alimentaire, inséparable de la santé, du progrès économique et de la cohésion sociale. C'est ce que plaide l'auteur, qui n'a cessé de traquer l'évolution et les effets pervers du monde et du commerce agricoles. Là encore, les errements du passé viennent à l'appui d'une réflexion sur l'avenir. Pour Jean-Yves Carfantan, l'an 2000 marque un tournant majeur. Non parce qu'éclate, alors, la bulle spéculative sur les valeurs technologiques. Mais bien parce que prend fin un long cycle de baisse tendancielle des prix agricoles, fruit de la modernisation des agricultures des pays riches et de la révolution verte dans les pays pauvres. Or ce tournant intervient au moment même où « la consommation mondiale se réveille », portée par l'appétit des nouvelles classes moyennes des pays émergents, Chine et Inde en tête, alors même que les cours des intrants dérivés des ressources fossiles sont appelés à demeurer durablement élevés. Cette « nouvelle équation mondiale » est d'autant plus infernale que les surfaces consacrées à la production céréalières se contractent, que l'eau devient rare et? que le réchauffement de la planète va imposer de nouvelles contraintes.L'auteur n'exclut pas un « scénario vert » scientifique, économique et politique pour éviter le pire. Mais il passe par un sursaut de concertation internationale d'une telle ambition qu'il semble peu probable. Pourtant le « scénario noir » qu'il nous décrit, si nul n'y prend garde, à de quoi réveiller les peurs ancestrales de pénuries, de paupérisation et de révoltes sociales dans le monde. Une analyse fouillée et rigoureuse qui dépasse les craintes nées aujourd'hui de la montée du chômage et de la raréfaction du crédit. Et sonne l'alarme pour qu'un historien ne se lance pas, un jour, dans l'uchronie d'une catastrophe annoncée.Françoise Crouïgneau « Et si on refaisait l'histoire ? », par Anthony Rowley et Fabrice d'Almeida, éditions Odile Jacob, 222 pages, 17,90 euros.« Le Choc alimentaire mondial », par Jean-Yves Carfantan, Albin Michel, 294 pages, 10 euros.
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