Les rejets médicamenteux menacent-ils la biodiversité ?

Dans un rapport qu'elle vient de publier, l'Académie nationale de pharmacie reconnaît que des substances médicamenteuses se retrouvent à plus ou moins forte concentration dans les différentes catégories d'eau : " Du nanogramme par litre dans les eaux superficielles douces ou marines, les eaux souterraines et celles destinées à la consommation humaine, jusqu'au microgramme, voire à plusieurs centaines de microgrammes par litre dans les effluents et les eaux résiduaires ". Des résidus dus en grande majorité aux rejets émis tout au long du cycle de vie des médicaments, depuis la fabrication des principes actifs, leur utilisation en milieu hospitalier ou ambulatoire, leurs utilisations vétérinaires jusqu'à l'armoire à pharmacie des particuliers, la collecte et la destruction des médicaments non utilisés. Ce qui concerne pas moins de 4.000 molécules actives utilisées dans la formulation de médicaments à destination humaine ou vétérinaire. Difficile pour autant de quantifier ces résidus, même si leur impact sur l'environnement peut être plus facilement observable. Ainsi, la biodiversité méditerranéenne est touchée par la contamination de rejets médicamenteux." Tout le monde prend des médicaments, et tous finissent tôt ou tard dans le milieu marin ", reconnaît Fabrice Garcia, directeur de Laboratoire d'hydrologie et de molysmologie aquatique (LHMA) à la faculté de pharmacie de l'université de Montpellier. Spécialisé dans l'analyse des contaminants en milieu marin, le LHMA a constaté " des niveaux très élevés de certains médicaments et de leurs dérivés dans les milieux aquatiques. Il s'agit souvent d'analgésiques, d'antidépresseurs, d'anti-inflammatoires et d'oestrogènes - issus des pilules contraceptives -, qui sont apportés pour l'essentiel par les cours d'eau et les stations d'épuration". Mais leur impact sur la faune marine reste à évaluer. " On s'interroge sur les conséquences que peuvent avoir sur la faune non seulement les molécules médicamenteuses, mais aussi les sous-molécules issues de leur digestion, dont on ignore tout. L'impact du mélange de tous ces éléments reste inconnu ", souligne Fabrice Garcia.Le scénario catastrophe serait de se retrouver un jour face à des poissons qui, sous l'effet des antidépresseurs et des analgésiques, se ficheraient complètement d'être pêchés et qui ne se reproduiraient plus sous l'action des oestrogènes. La Méditerranée n'est pas seule concernée, les cours d'eau aussi le sont et les scientifiques constatent même une féminisation des poissons mâles dans la Seine et le Rhône.MALFORMATIONS UROGENITALES.Pour Benoît Roig, de l'École des mines d'Alès et coordinateur du projet européen Knappe, qui doit proposer des mesures pour réduire la présence de produits et de résidus pharmaceutiques dans l'environnement, le problème des rejets médicamenteux dans la nature est plus une préoccupation qu'un danger ou un risque. " Aucune étude épidémiologique n'a été menée sur le sujet global des médicaments et les concentrations trouvées dans l'environnement sont très faibles par rapport aux concentrations utilisées dans les doses thérapeutiques quotidiennes ", note-t-il. Cependant, plusieurs études montrent que certains résidus peuvent contribuer à l'apparition de maladies ou de malformations. C'est ainsi le cas au Danemark où la présence de dérivés hormonaux fait partie des facteurs environnementaux qui contribuent à l'apparition de malformations urogénitales. Souvent montrés du doigt, les établissements hospitaliers et les industriels du médicament ne sont pourtant pas les principaux pollueurs. Ce sont surtout les rejets des individus, que ce soit par nos déjections quotidiennes ou tout simplement le rejet des médicaments non utilisés (MNU), qui sont en cause. " On manque de données sur les taux de retour vers les officines des MNU, mais il faudrait inciter les citoyens à ne pas jeter les médicaments qu'ils n'utilisent pas ", ajoute Benoît Roig. " Chaque année, nous récupérons auprès des pharmaciens près de 7.000 tonnes de MNU, précise Jean-Marie Lefebvre, animateur de la démarche environnementale des entreprises du médicament (Leem). Ils sont recyclés par des incinérateurs agréés. Mais nous avons des difficultés à mesurer le stock restant chez les particuliers et les flux de rejets sauvages dans les poubelles ou l'eau. "Un problème d'autant plus important que, si la majorité des composés sont éliminés à plus de 70 % par les stations d'épuration, en particulier les plus récentes, certains résistent. C'est pourquoi le Leem a mis en place des groupes de travail avec l'ensemble des parties prenantes (médicaments vétérinaires, entreprises de la supply chain, acteurs du traitement de l'eau et autorités sanitaires) pour optimiser le dispositif de collecte et d'élimination des MNU et limiter les rejets dans la nature. Une autre idée, venue de Suède, pourrait aussi être généralisée : la classification des médicaments en fonction de leur impact sur l'environnement. Resterait à la faire adopter par tous.
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