Contes audiovisuels...

Pour faire un bon coup, le président de la République rompt l'équilibre d'un secteur économique, l'audiovisuel, exportateur et générateur d'emplois, puis déchire le rapport d'une commission qu'il a nommée pour en revenir intégralement à ses propositions initiales.Ce n'était donc pas un bon coup ; c'était une stratégie basée sur l'idée qu'un coup de pied dans la fourmilière de la publicité allait amener à la " nécessaire " dérégulation d'un secteur au nom d'un libéralisme que ne renierait pas une Margaret Thatcher. Dérégulation qui permet à de grands groupes privés de dynamiser (dynamiter ?) cette industrie pour la rendre plus performante, au nom de la réforme et du supposé conservatisme des acteurs économiques. Et tant mieux si ces groupes sont des groupes amis : comment ne le seraient-ils pas d'ailleurs ?Méconnaissance.Lançons un cri d'alerte au public qui aime sa télévision, et pour lequel des notions comme le pluralisme et l'indépendance sont le coeur de notre ciment social et républicain. Si ces attaques sont possibles, c'est parce que la méconnaissance des mécanismes qui produisent ce que le public voit à l'antenne est grave et ancienne.Méconnaissance sur les ressources. La redevance coûte à un foyer (pas un individu) le prix d'un timbre-poste par jour, là où la moindre offre triple play coûte 30 euros par mois. Méconnaissance sur les ressources à venir : si les intérêts des concurrents qu'on taxe le permettent, si le consommateur accepte de voir sa facture téléphonique et triple play augmenter parce que taxée. Méconnaissance sur la régulation du secteur, fondée sur un système que le monde nous envie ou nous copie qui serait in fine mis à mal dans une dérégulation immaîtrisée ou transformée de facto dans un rapport de forces qui fera que ces grands groupes privés seront eux-mêmes détenteurs d'un copyright. Méconnaissance sur les programmes. Qui a osé en France les premières séries fiction de 52 minutes ? Où est la fiction jeunesse ? Où sont nés les feuilletons quotidiens ? Où sont les documentaires, même maintenant que ce genre est devenu porteur après avoir été tiré de l'oubli ?Où ? Sinon sur un service public large, varié et divers ? Nous ne nous battons pas pour des acquis, nous ne voulons pas le retour de l'ORTF bâillonné ; nous ne voulons ni des " Perses " ni d'" Au théâtre ce soir " tous les soirs ; nous ne voulons surtout pas de cette méconnaissance, de ces présupposés politiques et idéologiques du laisser-faire.La concentration est mortelle dans un secteur qui, bien qu'industriel, touche à l'art, à la culture, à cette part d'irrationnel, parfois de folie qu'incarne souvent le " génie français ", au goût du risque, aux passions, aux envies contradictoires qui nourrissent sur les écrans, tous les écrans, une culture partagée. À moins que le projet ne soit de faire une télé de flux, avec des plateaux insipides, ne soit de destruction de programmes destinés à une longue durée dans la mémoire du public. Regardons alors, non loin hélas, l'Italie ou l'Espagne.Mais n'est-ce pas justement cela qu'on veut ? Cette politique est le reflet profond d'un refus de l'indépendance : mépris des journalistes qui, au fil des années, avaient su la conquérir et que des regroupements capitalistiques vont tout faire pour détruire ou limiter, regroupement qu'il est " nécessaire " de faciliter dans l'audiovisuel ; mépris des auteurs, des producteurs, et d'ailleurs du monde culturel en général, profondément indépendant, multiforme, et même rebelle ; mépris des spectateurs, de plus en plus infidèles aux grandes messes, de plus en plus divers eux aussi, et que le pouvoir espère formater par le biais d'acteurs économiques aux ordres ; mépris des corps constitués, simples relais du pouvoir, déni de démocratie. Cerise sur le gâteau : l'État, c'est moi, je suis propriétaire de France Télévisions, je nomme son PDG.Un affront.Quelle régression ! Nous espérons que sera compris que nous ne défendons pas des intérêts catégoriels qui ne sont pas à la mesure de l'enjeu de civilisation qui nous est proposé, que se profile un désastre économique et culturel, un affront, non à nous, mais à la pensée ; que nous défendrons corps et âme l'indépendance de notre secteur économique, que nous exigeons l'absolue nécessité de maintenir au service d'un public responsable, divers et citoyen, l'indépendance de France Télévisions qui n'est pas la propriété, ni d'un seul, ni de l'État, mais de la collectivité nationale et du savoir-vivre ensemble.
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