« Le secret bancaire suisse va rapidement disparaître »

Votre livre sort au moment où, en France, le président de la République a annoncé vouloir supprimer le juge d'instruction, pour le remplacer par le juge de l'instruction. Que pensez-vous de cette réforme ?En Europe, le juge d'instruction tend à disparaître. Mais, même sans juge d'instruction, les systèmes peuvent se révéler plus ou moins indépendants du pouvoir : en Italie, où les procureurs sont désignés par un conseil de la magistrature indépendant, ils parviennent à sortir de grosses affaires de délinquance financière. Tandis que, en Allemagne, où leur statut relève plus de celui du fonctionnaire que de celui de magistrat, ils se montrent toujours très timides dès que les enquêtes touchent aux hommes politiques en vue. En fait, l'indépendance de la justice pénale dépend de l'indépendance de l'autorité de poursuite pénale par rapport à l'exécutif. En France, les procureurs doivent leur nomination et leur avancement à des décisions qui, en dernier ressort, relèvent du gouvernement, et les enquêtes ne sont ouvertes que si le parquet le décide. Ainsi, c'est bien l'indépendance du parquet qui est décisive.Vous estimez donc que la justice française n'est pas indépendante ?Qu'un garde des Sceaux ne craigne pas d'exprimer publiquement un avis sur un jugement, comme c'est régulièrement le cas, montre que, en France, il n'y a pas de réelle séparation des pouvoirs. En France, plusieurs plaintes ont été déposées contre des chefs d'État africains pour recel de détournement de fonds publics. Une première plainte a été classée sans suite par le parquet alors qu'une enquête préliminaire avait révélé que les présidents du Gabon, Omar Bongo, et du Congo Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, disposaient d'un patrimoine immobilier et mobilier extrêmement important en France évalué à 160 millions d'euros. Comme il s'agissait de chefs d'État en exercice, et qui plus est proches de la France, le parquet, qui dépend de la chancellerie, a préféré ne rien faire.Nicolas Sarkozy souhaite également dépénaliser le droit des affaires. Qu'en pensez-vous ?La dépénalisation du droit des affaires me paraît dangereuse en ce qu'elle accrédite l'idée que l'on ne peut faire des affaires proprement, et que les délits financiers faisant partie de la vie des affaires, ils sont moins graves que les autres. Cette conception ne peut qu'ouvrir la voie à la multiplication des pratiques indélicates dans la vie économique. En matière financière, la France revient quelques décennies en arrière. Il est clair que Nicolas Sarkozy partage avec Silvio Berlusconi la volonté politique de contrôler l'activité du parquet, même s'il avance moins ouvertement que son homologue italien. L'équilibre des pouvoirs est une chose fragile, et toute tentative de mettre au pas le pouvoir judiciaire met à mal cet équilibre.Plusieurs dirigeants d'UBS sont poursuivis par la justice américaine pour avoir aidé des milliers de contribuables américains à dissimuler plusieurs milliards de dollars au fisc. Quelle réflexion vous inspire ce scandale ?Cette affaire pose le problème du rôle des banques suisses comme auxiliaire de l'évasion fiscale. La Confédération helvétique ne la considère pas comme une infraction, et n'est pas tenue de fournir à un pays étranger des informations relatives à une évasion fiscale. Le refus de collaborer est donc fondé en droit, même s'il est inadmissible d'un point de vue éthique. Mais si la Suisse a pu préserver son secret bancaire pour les affaires fiscales dans l'accord signé avec l'Union européenne sur la taxation de l'épargne, c'est parce que trois États européens, à savoir le Luxembourg, l'Autriche et la Belgique, voulaient eux aussi conserver la possibilité d'opposer le secret bancaire aux demandes fiscales. L'Europe n'ayant pas voulu leur imposer la levée de cet avantage, elle n'a pas pu non plus exiger de la Suisse la levée du secret bancaire. Alors que les États-Unis l'ont exigée et obtenue ! Si les banques suisses ne signalent pas au fisc américain les comptes ouverts chez elles par des citoyens américains, elles encourent tout simplement le risque de perdre leur licence aux États-Unis.La transmission par UBS au fisc américain de l'identité de 19.000 détenteurs de comptes aura-t-elle un impact sur le secret bancaire suisse ?Oui, la Suisse se trouve de plus en plus sous pression pour abandonner son secret bancaire. Non pas celui qui protège la sphère privée, et qui est pratiqué dans tous les pays. Mais le secret bancaire qu'elle oppose aux autorités fiscales des pays étrangers va disparaître rapidement, car la pression des grands États qui souffrent de plus en plus de l'évasion fiscale à grande échelle va se faire plus forte.Quel rôle ont joué, selon vous, les paradis fiscaux dans la crise financière ?Ces États, qui permettent à des investisseurs de se camoufler par l'utilisation de sociétés écrans, fondations, trusts, « special purpose vehicles », etc., ont certainement joué le même rôle de facilitateur que dans les affaires criminelles. Mais on ne peut dire qu'ils soient à l'origine de la crise.Peut-on les faire disparaître ?S'il y avait réellement la volonté politique partagée de le faire, il suffirait que les États refusent de reconnaître juridiquement ces entités qui servent de « masque » à ceux qui veulent se cacher des fiscs nationaux. Et les paradis fiscaux disparaîtraient d'eux-mêmes, car plus personne ne pourrait faire de transactions valables juridiquement avec les entités qu'ils abritent. Seulement, la volonté politique n'existe pas au sein de l'Union car plusieurs pays membres, comme l'Autriche, le Luxembourg ou encore la Belgique, refusent l'échange d'informations fiscales. Si la volonté politique était là, ces petits États ne pourraient plus opposer de résistance.Après les scandales des fondations du Liechtenstein et d'UBS, les pays riches semblent vouloir mettre les paradis fiscaux au pas. Est-ce le début d'une nouvelle dynamique ?Je l'espère. Mais lorsque j'entends le ministre des Finances allemand s'en prendre exclusivement à la Suisse, j'ai peur que l'on ne soit dans l'exercice alibi.La Suisse est régulièrement pointée du doigt, mais que dire de la City de Londres ?En matière de criminalité financière, la justice suisse s'est fréquemment heurtée au manque de coopération de la justice britannique, qui fait preuve d'une grande duplicité. Le scandale Abacha, du nom de l'ancien président dictateur nigérian qui a détourné de 4 à 5 milliards de dollars, en fournit une bonne illustration. La Suisse a gelé les comptes litigieux, restitué des centaines de millions de dollars détournés, et condamné une dizaine de personnes pour blanchiment. Londres en revanche a laissé filer les fonds et n'a rien entrepris pour les récupérer tout en répétant qu'elle allait collaborer avec les autorités nigérianes. Tout se passe comme si, en vérité, il y avait une concurrence féroce entre places financières pour capter les avoirs privés off shore.Que vous inspire l'escroquerie Madoff ?Il n'y a pas de différence entre cette escroquerie et la crise des subprimes. L'escroc américain vendait des produits financiers qui n'existaient pas. La titrisation des crédits hypothécaires a disséminé dans le système financier des créances qui ne valaient rien. Au bout du compte, quelle différence y a-t-il entre les deux ? nBERNARD BERTOSSA, ancien procureur général de GENève
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