L'Europe est en train de rater la révolution de l'ADN

CHRonique docteur laurent AlexandreLa révolution génomique en cours, qui repose sur l'effondrement du coût du séquençage de l'ADN, va avoir d'immenses conséquences géopolitiques, en modifiant profondément l'équilibre des forces entre les nations par différents mécanismes aux effets redoutablement convergents.Selon une logique implacable, cette rupture technologique va accélérer le basculement du centre de gravité mondial que Jacques Attali avait identifié dès 1980. Quasi absente de la génomique, qui va devenir la première industrie mondiale du XXIe siècle, l'Europe ne pourra prétendre qu'à une très faible croissance de moyen terme.Le choix implicite ? et objectivement tentant, dans un contexte de crise ? de promouvoir dans l'immédiat les secteurs condamnés et les services à la personne non délocalisables exclut en effet que notre continent tienne demain sa place dans le nouvel ordre économique mondial. Il risque d'autant plus de nous condamner à une croissance faible et à des emplois à faible évolution de rémunération qu'une grosse partie des services à la personne est directement ou indirectement financée par l'impôt, alors même que la pression fiscale européenne est déjà forte.Au nom des bons sentiments et d'une vision dépassée de l'économie, les pouvoirs publics négligent parallèlement les industries du futur, notamment la génomique? Il est vrai qu'il est électoralement plus payant à court terme de baisser la TVA sur la restauration, même si ce secteur n'est soumis à aucune concurrence internationale et ne risque pas de se délocaliser.Dans le domaine agricole par exemple, la spécialisation de notre continent dans l'agriculture bio ? le refus des OGM est symptomatique de ce choix ? enchantera certes les bobos et les tenants du lobby DFE (décroissance, frugalité et écologie), mais ne nous permettra pas de lutter à armes égales avec les puissances montantes développant une agriculture plus performante, sans s'arrêter à ce genre de considérations conservatrices.Plus généralement, la faiblesse de l'Europe dans les technologies de l'ADN va l'affaiblir dans l'ensemble des industries du futur qui seront toutes irriguées par ce que les spécialistes appellent la « grande convergence » : les technologies de demain seront pour une large part à l'intersection NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et cognitique), où elles se fertiliseront mutuellement. Les conséquences pour l'attractivité technologique et industrielle de l'Europe de ce défaut de spécialisation en biotechnologie constituent un danger sous-estimé par la société et malheureusement assez irréversible.La révolution de l'ADN va par ailleurs entraîner des bouleversements démographiques qui ne sont pas encore compris. La longue éclipse japonaise qui dure depuis deux décennies démontre à quel point une démographie déclinante peut contribuer à casser une dynamique de croissance. Or l'augmentation de l'espérance de vie va être beaucoup plus rapide que ce que les démographes anticipent, parce qu'ils n'intègrent pas encore le « breaktrough génomique » qui débute.En réalité, l'espérance de vie pourrait croître dès les années 2020 de façon exponentielle et la perspective d'une espérance de vie de 200 ans à la fin du XXIe siècle est une hypothèse conservatrice. Mais cette évolution sera plus ou moins effective selon l'acceptation sociale des nouvelles thérapies issues de la grande convergence NBIC.Les sociétés de la zone Asie-Pacifique accepteront sans doute plus rapidement ces avancées que les sociétés européennes, ce qui favorisera là encore la croissance économique et démographique des nouveaux géants au détriment des pays de l'OCDE. L'écart d'espérance de vie entre les pays pourrait se creuser, et la démographie à la fin du XXIe siècle être très différente de celle envisagée.Le décalage structurel de croissance entre le reste du monde et l'Europe, qu'une absence dans les industries de l'ADN ne peut qu'accentuer, pourrait engendrer une cascade d'événements mortifères. Des revendications salariales radicales impossibles à satisfaire, en premier lieu : sauf à cultiver une vision raciste du monde, on voit mal comment le bac ? 3 français aux heures comptées et limitées pourra très longtemps gagner dix fois plus que le docteur en génomique de Bangalore ou de Shanghai. Dans des pays européens dont la stabilité est justement assise sur la loyauté de larges classes moyennes, cette frustration majeure et l'hostilité croissance aux élites politiques qui l'accompagnera vraisemblablement sont de véritables poisons. Enfin, pour paraphraser Denis Jambar, nos enfants nous haïront de leur léguer une économie inadaptée aux enjeux de demain.En définitive, la révolution génomique va accélérer le basculement du centre du monde des pays de l'OCDE vers la zone Asie-Pacifique. Ce phénomène est déjà bien engagé, tant notre retard technologique se creuse dans ce domaine crucial. Un renversement de tendance est peut-être encore possible, mais supposerait que les élites européennes s'intéressent plus aux technologies de demain issues de la convergence NBIC qu'au soutien aux industries et activités du passé ; chiche ? nlaurent. [email protected]
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