L'Europe  ? S'il te plaît, dessine-moi un mouton à cinq pattes

Pour ceux qui ne savent plus à quelle Europe se vouer, en ces temps de crise et de repli national, deux livres jettent une lumière crue sur deux volets différents mais fondamentaux pour l'avenir de l'Union : les institutions et l'euro.Le premier, « Petits Secrets et grandes intrigues », de Derk-Jan Eppink, nous fait découvrir, avec un humour corrosif où affleure un brin de tendresse, l'envers du décor de la vie bruxelloise et strasbourgeoise. À défaut d'un Petit Prince rêvant de moutons sur une autre planète, l'auteur nous entraîne dans le sillage d'une étrange « Princesse », la Commission. Une Princesse qu'il connaît bien pour l'avoir côtoyée comme simple stagiaire puis scrutée comme journaliste néerlandais, avant d'en voir les atouts et les faiblesses comme acteur. Autrement dit comme l'un de ses 22.500 « loyaux serviteurs », dont il rappelle les convictions comme les pouvoirs limités, même s'ils se comportent comme des « mandarins ».De ce parcours de vingt-trois ans qui a mené le stagiaire du 11e étage? au 12e étage comme membre du cabinet du commissaire Frits Bolkenstein ? il décrypte d'une plume acide l'histoire de la directive sur les services, celle du « plombier polonais » ?, Derk-Jan Eppink retient quelques illusions perdues et une « poignée » de techniques peu glorieuses rendant plus acceptable l'« autisme administratif ». Mais aussi une analyse instructive du jeu institutionnel. Un processus complexe s'est instauré entre la Commission, « machine politique » hiérarchisée comme une entreprise qui recherche l'ombre et la continuité, le Parlement, ce « club politique » peu formel et bouillonnant, et le Conseil européen, ce « cirque itinérant » de chefs d'État et de gouvernement soumis aux contraintes des politiques intérieures. Le « citoyen » européen a de quoi s'y perdre, surtout depuis que l'Union compte 27 pays. Quelques clés utiles sont toutefois livrées, tant la construction européenne passe par l'art du compromis et de la conciliation « entre la rigidité nordique et la souplesse latine ». Savoureuse, sa typologie des spécificités culturelles le confirme. Mais trois pays mènent la danse, la France « qui a toujours été hors catégorie », l'Allemagne, trop souvent dogmatique, et la Grande-Bretagne, dont le « pragmatisme » masque un superbe égoïsme.Après avoir quitté Bruxelles en 2007, Derk-Jan Eppink est revenu à ses anciennes amours. Tout frais élu eurodéputé, gageons qu'il utilisera son expérience pour veiller au grain. Le Parlement n'a-t-il pas le pouvoir de « couler toute proposition de la Commission », voire de la « révoquer », ce qui fut le cas de la Commission Santer ? Mais au-delà de la polémique, il peste contre les limites d'une « puissance douce », pour ne pas dire molle. Et tente de réveiller une Princesse endormie qui a « complètement loupé la crise financière ». Si l'on en croit Christian Saint-Étienne, elle n'est pas la seule. Dans un livre plus austère, mais tenant aussi du « coup de semonce », l'économiste n'annonce pas, comme pourrait le faire croire le titre de son ouvrage, « la fin de l'euro », mais appelle à l'éviter. L'analyse mérite réflexion tant son scénario catastrophe semble possible. La crise venue d'une Amérique surendettée et lourdement déficitaire rend imaginable une chute du dollar. Au moment où l'euro dépasse allégrement 1,40 dollar, l'hypothèse d'une monnaie unique à 1,8, voire 2 dollars, en 2010-2011, n'est pas absurde. L'Allemagne pourrait y résister grâce à ses marges de man?uvre sur le front du budget, du coût du travail ou de comptes extérieurs excédentaires. En revanche, la France, qui perd des parts de marché et accumule les déficits publics, risque de vaciller. D'autres, comme l'Irlande et l'Espagne, pourraient sombrer.Ce scénario s'appuie sur une réalité : la crise accentue les écarts entre « ceux qui ont su tirer le meilleur parti » de la monnaie unique et ceux qui « n'ont pas été capables de s'adapter à la nouvelle donne ». N'épiloguons pas sur les raisons historiques, sociales, culturelles de ces divergences. Car l'euro est né d'un pari politique peu soucieux des impératifs d'une zone monétaire dite « optimale » chère aux économistes? L'« hétérogénéit頻 des pays qui y ont adhéré ne rend que plus intéressantes les propositions de l'auteur : élaborer un gouvernement économique de la zone euro, une idée qui fait laborieusement son chemin, mais aussi encadrer la « tragique et suicidaire » concurrence fiscale et sociale entre les États par une approche plus fédéraliste. Ce que fait depuis longtemps? l'Amérique. Pour Christian Saint-Étienne, cela exige un « coup de force franco-allemand », auquel il ne croit guère.Comme Derk-Jan Eppink, l'économiste n'a qu'une crainte : voir l'Union disparaître du radar international où dominent les États-Unis et la Chine. Voilà qui donne un aperçu de la tâche du nouveau Parlement européen : faire vivre et avancer l'Union. Bref, la redessiner, un peu plus « verte », un peu moins corsetée. Et plus imaginative. Françoise Crouïgneau « Petits Secrets et grandes intrigues », par Derk-Jan Eppink. Éditions Saint-Simon (248 pages, 19 euros).« La Fin de l'euro », par Christian Saint-Étienne. Éditions Bourin (152 pages, 16 euros).
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