« À chaque crise, l'État renforce ses pouvoirs »

Le monde d'après. Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur sa vision de l'après-crise. Aujourd'hui, Pascal Salin pointe la responsabilité des banques centrales, conteste l'interprétation des politiques et redoute l'avènement d'une véritable économie mixte.interview Pascal salin professeur d'universitéPensez-vous que les autorités politiques et monétaires ont administré les bons remèdes pour surmonter la crise ?Je crains que non. Il est toujours difficile d'apporter de bons remèdes à un malade lorsque l'on se trompe de diagnostic. Les racines de cette crise sont pourtant simples. Les économistes de l'école autrichienne en avaient parfaitement décrit les causes et les mécanismes : il s'agit d'une crise d'origine monétaire, née d'un excès de création monétaire à partir des années 2000, excès correspondant simultanément à une création de crédit artificiel, sans réelle épargne en face. Un excès de crédit n'est jamais neutre en économie : il crée des distorsions dans les structures productives et les prix, en favorisant les secteurs à investissement de long terme, comme l'immobilier ou l'automobile. Des taux d'intérêt scandaleusement bas ? manipulés comme jamais dans l'histoire par les banques centrales ? envoient de mauvais signaux et faussent tous les calculs des agents économiques. Tout ceci crée des incohérences et des illusions que l'on ne peut pas maintenir indéfiniment. La crise apparaît dès lors inéluctable pour purger les excès.Croyez-vous aux vertus purificatrices d'une crise ?La crise est toujours une occasion pour permettre à l'économie de fonctionner à nouveau dans des conditions normales de transparence, de compétition non biaisée, de taux d'intérêt stables autour de 2 % ou 3 %. Sous réserve bien entendu que les gouvernements ne poursuivent pas leur politique interventionniste. Malheureusement, à chaque fois, les pouvoirs publics tentent de remédier aux crises par davantage de liquidités, de réglementations, de dépenses, ce qui prépare la bulle suivante et crée un énorme gâchis de ressources. La finance n'a pas une responsabilité majeure dans la crise. Au contraire, ce sont les banques centrales qui ont laissé croire au secteur financier que l'abondance de liquidités serait éternelle. Je récuse également l'idée d'une périodicité des crises comme une sorte de fatalisme propre au système capitaliste. Les crises ne sont pas cycliques, ce sont les erreurs des gouvernants qui se répètent à chaque crise.Comment expliquez-vous cette répétition d'erreurs collectives ?Par une interprétation erronée des événements : on reproche aux marchés ce que l'on devrait reprocher à l'interventionnisme d'État ! Et les autorités politiques ne sont pas forcément mécontentes de ces crises, qui leur permettent, aux yeux de l'opinion, d'apparaître comme les sauveurs de l'économie alors qu'elles en sont les fossoyeurs. À chaque crise, l'État renforce ses pouvoirs. Regardez ce qui se passe actuellement aux États-Unis ou en Europe : la multiplication des plans de sauvetage permet de financer n'importe quoi, n'importe comment, de soutenir des industries au gré des lobbies et d'imposer de nouvelles réglementations. La banque centrale américaine est largement responsable de cette crise mais elle sort considérablement renforcée de la tourmente. Alors même que l'expérience montre que jamais un régulateur n'a pu prévenir une seule crise ! Et que dire de l'emprunt national en France : on décide de dépenser avant même de savoir sur quoi dépenser. De même, la crise est un prétexte pour renforcer le contrôle des mouvements de capitaux, d'étendre le pouvoir fiscal des États sur les « paradis fiscaux », alors que chacun sait que ces derniers ne portent aucune responsabilité dans la crise. La crise a toujours bon dos et arrange bien des intérêts.Le monde de l'après-crise sera-t-il différent ?Je ne crois pas à un bouleversement profond du monde, ni à l'émergence d'un nouveau capitalisme. Mais j'ai deux inquiétudes sur le long terme. D'une part, que l'on reproduise indéfiniment les mêmes erreurs, notamment dans le domaine monétaire. Dans cette hypothèse, l'économie sera durablement instable et les crises cycliques. D'autre part, que cette instabilité permanente se traduise par un renforcement continuel du pouvoir politique. C'est en ce sens que le monde capitaliste change : il dérive de plus en plus vers une économie mixte, de moins en moins capitalisée et capitaliste. C'est l'un des paradoxes de nos économies modernes. Nous assistons au formidable développement des technologies de l'information qui favorisent les échanges, permettent aux marchés de fonctionner plus efficacement. Mais elles représentent également un levier puissant pour les États pour assurer leur mainmise sur l'économie.Qu'est ce qui pourrait alors changer de façon plus positive ?Il faudrait réapprendre quelque chose que l'on perd de plus en plus : la notion de responsabilité. Quelle ironie d'avoir institué dans la finance la règle du « prêteur en dernier ressort », sans parler le fameux « too big to fail » ! C'est la porte ouverte à toutes les dérives. La réglementation organise depuis trop longtemps l'irresponsabilité des agents. Le monde capitaliste est un monde avec du capital, de l'épargne et de la responsabilité. Imaginez les États-Unis avec un taux d'épargne de 20 % ! Mais il est difficile de changer l'opinion dominante. Peut-être que l'entrée dans un monde où les ressources seront plus rares incitera les États à moins gaspiller et à se rappeler que la seule véritable ressource naturelle, c'est l'homme et sa capacité d'innover.propos recueillis par Éric BenhamouDemain, suite de notre série avec l'interview d'Ed Yarde
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